Pourquoi les agriculteurs français se mobilisent contre le gouvernement ? 

Pourquoi les agriculteurs français se mobilisent contre le gouvernement ? 

Épuisés par toujours plus de normes, des rémunérations faibles, des charges en hausse et un manque de reconnaissance, les agriculteurs français se mobilisent et veulent une nouvelle fois alerter sur leur mal-être. 

Générer des revenus décents

Ce n’est pas un hasard si la grogne a pris sa source dans la 2ème région agricole de France (NDRL : en superficie). Les agriculteurs y touchent les revenus les plus bas du pays comme l’affirme Christophe Rieunau, vice-président de la chambre d’agriculture du Tarn, dans une vidéo sur son compte Tiktok : 

La question des faibles marges réalisées sur la production est la goutte qui a fait déborder le vase, alors qu’en 30 ans, le revenu net de la branche agricole française a chuté de 40 %, rappelle Europe 1« L’inflation ne profite pas aux agriculteurs », assure le premier vice-président de la FNSEA, Jérôme Despey, invité de France info dimanche dernier. « Nous avons toujours les prix les plus bas et ce n’est absolument pas supportable. Comment voulez-vous nourrir nos concitoyens alors que nous faisons les produits d’excellence de qualité et que nous avons fait un investissement énorme ? », interroge-t-il. Jérôme Despey appelle à « appliquer pleinement l’intégration des coûts de production » pour permettre une meilleure rémunération des agriculteurs. « Aujourd’hui, nous avons des charges qui sont très importantes de plus de 20 % et le prix de nos produits (…) n’augmente pas, et même diminue », explique-t-il.

Arnaud Gaillot, président du syndicat Jeunes agriculteurs, a estimé sur Europe 1 qu’il fallait « faire appliquer » la loi Egalim votée en 2018, à l’issue des états généraux de l’alimentation, qui prévoit que les prix payés aux agriculteurs tiennent compte de leurs coûts de production, pour éviter qu’ils ne vendent à perte.

Enfin, parmi les nombreux griefs, figurent les importations agricoles en forte hausse, notamment celles en provenance de l’Ukraine. En effet, pour soutenir l’économie ukrainienne en temps de guerre, l’Europe a facilité l’importation de produits ukrainiens, notamment la volaille et le sucre. Cet afflux supplémentaire de marchandises fragilise l’agriculture française, selon les acteurs de la filière.

« On a signé un accord de libre-échange avec l’Ukraine en 2015 et là, on accélère son application, avec notamment un démantèlement total des droits de douane qui étaient appliqués sur des produits ukrainiens », détaille Thierry Pouch, économiste aux Chambres d’agriculture de France. « Donc, ce surcroît important d’importations pénalise économiquement les agriculteurs français. »

agriculteurs français
Après de premières actions menées dans le Cantal ce mardi, c'est au tour du Puy-de-Dôme de se mobiliser dès ce mercredi 24 janvier au matin © Jérémie FULLERINGER

La taxe sur le gazole non routier

Parmi ces mesures, il en est deux qui figurent en haut de la liste : limiter la hausse du gazole non-routier, le GNR, qui ne fait plus l’objet d’une exonération fiscale depuis le 1er janvier 2024 et pèse lourd sur le quotidien des agriculteurs. « On ne peut pas prévoir des hausses de gasoil dans la situation économique catastrophique dans laquelle nous sommes », insiste Christophe Rieunau. 

L’amélioration des revenus des agriculteurs passe aussi par une diminution de certaines charges. Déjà touchés par la grippe aviaire, cette fois les éleveurs bovins doivent faire face aux frais de vétérinaire liés à la maladie hémorragique épizootique. Ils demandent à l’Etat une partie de leur prise en charge. 

Le poids des normes

Les syndicats agricoles dénoncent la lenteur du gouvernement à mettre en œuvre la « simplification » administrative promise. Moins de normes, c’est aussi ce que réclament les agriculteurs tarnais,  » pour pouvoir continuer à produire sur du long terme ». « Les agriculteurs qui nous appellent ne savent même plus ce qu’ils ont le droit de faire ou non » et ne se sentent  » pas accompagnés comme il le faut face aux défis climatiques, géopolitiques et sanitaires », a déclaré à l’AFP Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, 2e syndicat agricole.
Donnant l’exemple des haies, Arnaud Rousseau a expliqué à l’AFP: « Pourquoi les agriculteurs n’en font pas ? Parce qu’il y a 14 textes réglementaires« , alors même que chacun reconnaît les vertus de la haie contre l’érosion, pour la biodiversité, etc. 

Ces contraintes, auxquelles s’ajoutent des indemnisations jugées « trop tardives » pour des filières en crise (viticulture, élevage), ruinent « l’attractivité » dont le secteur a besoin pour renouveler ses chefs d’exploitation vieillissants.

Un autre problème porte sur la surtransposition des normes européennes par le Parlement français. Un agriculteur polonais dispose de 450 molécules dans son catalogue [réglementation européenne], pour lutter contre les maladies ou les ravageurs. Un Français n’en dispose plus que de 300 du fait des normes supplémentaires exigées par les députés français, les rendant de fait moins concurrentiel que leurs voisins européens. 

Les impasses techniques vont s’accentuer. En 2024, avec l’interdiction de la spirotétramate [insecticide] au niveau européen, les Polonais pourront continuer à utiliser des néonicotinoïdes contre le puceron cendré qui abîme les fruits. En France, les néonicotinoïdes sont interdits pour les pommes. Nos agriculteurs n’auront donc plus les moyens de lutter. Et les exemples sont nombreux. 

agriculteurs français
Des agriculteurs bloquent l'autoroute A7 dans les deux sens de la circulation près d'Albon, dans le sud-est de la France, le 23 janvier 2024.© Olivier Chassignole, AFP

L’accès à l’eau

Les quotas d’irrigation sont également dans le viseur. Depuis plusieurs années, le réchauffement climatique assèche les sols, entraînant des baisses de rendement. Les agriculteurs réclament donc un assouplissement des règles relatives à l’usage de l’eau. Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, a rappelé la nécessité d’une plus grande mobilisation sur la question « urgente » du stockage de l’eau. Il évoque également la question, « épidermique », de la préservation des zones humides, qui représentent selon la FNSEA 29 % de la surface agricole utile de la France, en raison d’une définition plus stricte en droit français qu’en droit européen.

Une loi attendue par les agriculteurs et promise par Emmanuel Macron

Pour sortir de la crise, le nouveau héros des agriculteurs, Christophe Rieunau évoque la loi d’orientation agricole promise depuis plus d’un an par Emmanuel Macron : « On a besoin d’une loi qui doit être extrêmement ambitieuse, pour pouvoir continuer à nourrir les Français. Et donner aux jeunes suffisamment de visibilité pour pouvoir s’engager sur 20-30 ans. » 

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