Quand la démographie impose ses lois 

Quand la démographie impose ses lois 

En 2023, la France n’a enregistré que 678 000 naissances. Depuis 2010, ces dernières se sont contractées de 20 %. L’indice de fécondité n’est plus que de 1,67 enfant par femme et s’éloigne du taux de renouvellement des générations qui est de 2,1. 

La tentation est grande d’imputer la responsabilité de ce déclin à la remise en cause supposée de la politique familiale. Les tenants de cette thèse mettent en avant les effets sur la natalité de la réduction du quotient familial et de la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Pour autant, la France est le pays de l’OCDE dont les dépenses publiques en faveur des familles sont les plus élevées. Elles représentent 3,6 % du PIB contre une moyenne de 2,5 % du PIB. Depuis 1980, ces dépenses se sont accrues de 1,4 point de PIB, preuve qu’il n’y a pas eu de réel désengagement des pouvoirs publics sur la durée.

La fécondité en Europe semble avoir repris son mouvement de baisse

Hier comme aujourd’hui, le lien entre politique familiale et natalité est loin d’être avéré. Après la Seconde Guerre mondiale, le baby-boom a concerné un grand nombre de pays aux politiques familiales dissemblables. Après s’être stabilisée durant plusieurs années, la fécondité en Europe semble avoir repris son mouvement de baisse initié à la fin du baby-boom dans les années 1970. En 2022, le nombre des naissances en Italie n’a été que de 393 000, le chiffre le plus bas constaté depuis 1861, date de l’unification du pays. L’indice de fécondité est désormais de 1,24. En Allemagne, cet indice fécondité est inférieur à 1,5. Sans l’apport de la population immigrée, il serait même de 1,3. 

Le pays qui a l’indice de fécondité le plus faible au monde est sans nul doute la Corée du Sud avec moins de 0,8 enfant par femme. En Occident, les États-Unis font figure d’exception grâce notamment à l’apport de l’immigration. 

Le phénomène actuel de baisse de la fécondité dépasse les pays occidentaux et concerne l’ensemble de la planète. En Colombie, l’indice de fécondité en 2022 n’était que de 1,85 enfant par femme, contre 4 en 1980. En Thaïlande, le nombre de naissances est désormais inférieur à celui des décès après avoir enregistré un recul de 30 % en 10 ans. En Iran, l’indice de fécondité n’est que de 1,7. En Chine, l’abandon de la politique de l’enfant unique et la mise en place de prestations familiales n’ont occasionné qu’un rebond temporaire de la natalité. Les Chinois ont adopté le principe de l’enfant unique, l’indice de fécondité ces dernières années ne dépassant pas 1,1.

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©Statista

La baisse de la fécondité dépasse les pays occidentaux et concerne l’ensemble de la planète

La fécondité obéit à de multiples considérations économiques, sociologiques et psychologiques rendant toutes prévisions en la matière délicates, tout comme l’élaboration de politique d’incitation ou de « réarmement démographique ». Plusieurs facteurs doivent être pris en compte. 

Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle type de la famille française comportait deux enfants ; aujourd’hui ce serait plutôt un. En cela, la France s’aligne sur la situation qui prévaut dans le reste de l’Europe depuis des décennies. Parmi les obstacles à l’arrivée de nouveaux enfants figure, en particulier, la question du logement. Les jeunes actifs éprouvent, en effet, des difficultés de plus en plus importantes pour se loger. L’augmentation des prix des logements au sein des grandes agglomérations et l’obligation pour un nombre croissant de ménages d’habiter loin de leur lieu de travail peuvent influer sur la natalité. 

L’absence de confiance dans l’avenir, sentiment de plus en plus prégnant dans un grand nombre de pays dont la France, peut conduire des couples à abandonner l’idée d’avoir des enfants. Face à l’accumulation de crises, dans une société de surinformation, le pessimisme tend à se diffuser. La montée de l’individualisme, maintes fois soulignée, ne favorise pas les naissances. Enfin, la menace climatique amènerait des couples à s’interdire de procréer. Le courant « Grinks » pour « Green Inclination, No Kids » (engagement vert, pas d’enfant), né aux Etats-Unis ferait de plus en plus d’émules.

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©histgeorufppinquie.weebly.com

Croissance économique et démographie sont intimement liées

Le recul de la natalité a et aura des effets importants dans les prochaines années. Comme l’économiste et démographe Alfred Sauvy l’a démontré, croissance économique et démographie sont intimement liées. La croissance d’un pays sur le long terme dépend, en effet, de l’évolution de sa population active et de sa productivité. Une population jeune conduit à une augmentation de la consommation et de l’investissement. Elle est un gage de diffusion rapide de l’innovation. A contrario, des populations vieillissantes provoquent un transfert croissant de charges sur les actifs, un ralentissement des gains de productivité et donc de la croissance. 

En Chine, le ralentissement de la croissance sur fond de crise immobilière est en grande partie provoqué par le vieillissement. Les Chinois s’endettent pour acheter des logements afin de se constituer un patrimoine en vue de la retraite. Or le déclin démographique aboutit à ce que ces logements demeurent inoccupés, provoquant la mise en défaut de plusieurs promoteurs et une perte de confiance en l’avenir au sein de la population.

Les besoins de personnel pour faire face au vieillissement sont incommensurables

D’ici le milieu du siècle, dans de nombreux pays occidentaux, les plus de 60 ans représenteront plus de 30 % de la population, contre moins d’un quart pour les jeunes de moins de 20 ans qui seront moins d’un quart. Au-delà des retraites, les pouvoirs publics devront financer un surcroît de dépenses de santé et de dépendance. Les besoins de personnel pour faire face au vieillissement sont incommensurables. Pour éviter une déflagration des déficits publics, les pays en fort déclin démographique pourront-ils se passer de l’immigration et comment arriveront-ils à maintenir en emploi des actifs de plus en plus âgés ? Les sociétés vieillissantes ont souvent des réflexes malthusiens qui ne font qu’aggraver la situation. Le retour du protectionnisme en est une des illustrations. Face au défi démographique des quarante prochaines années, les pays ne peuvent compter que sur une augmentation sensible de la productivité et un élargissement de la population active.

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