En marge de la 33e session de l’Assemblée des Français de l’étranger, nous avons rencontré Jean-Yves Leconte, sénateur représentant les Français établis hors de France. Nous avons abordé avec lui les sujets au cœur de l’actualité de la France et des Français de l’étranger. Un entretien sans langue de bois avec le sénateur socialiste, élu depuis 2011, et membre de la commission des lois et des affaires européennes au sénat.
Le confinement et la covid-19
C’est lors d’un déplacement à Chicago que le sénateur a appris la fermeture des frontières américaines aux voyageurs en provenance d’Europe le 12 mars. Tout s’enchaina rapidement ; Macron annonça la fermeture des écoles puis ce fut le confinement. Revenu à Varsovie, il prit le dernier vol vers Paris le 15 mars afin de voter le 1er texte sur les restrictions de liberté et l’état d’urgence sanitaire. Jean-Yves Leconte parle d’un véritable choc.
« On a vu en quelques semaines revenir des choses que nous pensions devenues à jamais impossibles comme la fermeture des frontières en Europe et l’impossibilité de circuler entre différents pays ».
La semaine suivante, il utilisa le dispositif « lotdodomu », mis en place par le gouvernement polonais pour permettre aux personnes résidentes en Pologne de rentrer dans le pays, afin de rentrer chez lui. Il effectua ensuite deux trajets en voiture entre la Pologne et la France, le passeport diplomatique dont il dispose lui permettant, effetivement, de passer sans trop de difficulté certaines frontières.
A Paris ou de Varsovie le Sénateur a notamment travaillé sur les projets de loi de finances, les textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire et à la mise en place des conditions de quarantaine pour les personnes qui entrent en France.
Après la stupéfaction des débuts, le sénat s’est rapidement mis au travail à distance. Pour lui, c’est la plus longue période de mandat sans voyage depuis son élection !
Le sénat a ensuite travaillé en mode hybride depuis le déconfinement même s’il était possible de travailler en présentiel en respect d’un protocole strict.
Bilan enseignement à distance et rentrée AEFE
Jean-Yves Leconte formule son admiration pour le directeur Olivier Brochet et sa gestion de la rentrée qui fut un défi majeur en pleine crise inédite. De manière générale, Jean-Yves Leconte estime que le directeur et les enseignants méritent d’être salués car ils n’ont pas ménagé leur peine.
L’enseignement à distance (EAD) était un défi majeur et seuls quelques pays (avec risque de guerre ou soulèvement) y étaient préparés. Les familles, parfois confinées dans une seule pièce avec un téléphone ont été très éprouvées tout en devant continuer à s’acquitter des frais d’écolage.
Les 50 millions accordés en plus pour les bourses répondent à un besoin réel et, selon lui, des critères plus souples permettraient d’aider encore plus de familles…
Un manque de moyens
Jean-Yves Leconte souligne qu’un travail doit être fait au niveau de l’égalité de traitement entre les familles françaises et étrangères.
Le sénateur socialiste juge sévèrement certains parlementaires de la majorité qui ont voulu démontrer que le système en gestion directe était mauvais. On a ainsi vu une différence entre les établissements conventionnés ou partenaires plus flexibles et les EGD ne pouvant pas agir sur les frais de scolarité sans l’aval du ministre.
Il rappelle la nécessité d’aider encore plus le réseau en évoquant également le drame du Liban.
Le sénateur tient à souligner que l’avance de trésorerie ne pourra être remboursée sur 12 mois compte tenu du contexte actuel.
« Le pouvoir politique n’a pas donné à l’agence les moyens de répondre le plus adéquatement possible à la crise ».
Il salue l’évaluation de l’enseignement à distance engagé par l’AEFEet constate aussi des retards et décalages d’un établissement à l’autre et souligne le besoin d’harmoniser l’enseignement à distance.
Gestion du Covid par le gouvernement et seconde vague
Jean-Yves Leconte rappelle que cette crise est un défi nouveau pour tout le monde, y compris pour les scientifiques. Il ajoute toutefois que l’on n’est pas obligé de mentir, de dire que ce n’est pas grave et regrette un certain discours infantilisant…
Le sénateur porte un regard d’autant plus critique que notre pays et notre continent sont des terres de libertés. En France, beaucoup d’injonctions infantilisantes sont formulées, alors qu’il faut faire appel au sens civique. Les mesures de contraintes ne peuvent durablement porter leurs fruit, ce qu’il constate actuellement en Pologne
Le sénateur rappelle ce qu’il avait dit en séance :
« L’improvisation du gouvernement n’avance pas masquée ».
Il dénonce le changement du tout au tout par rapport aux masques et souligne que masques et gel hydroalcoolique étaient amplement disponibles dans de nombreux pays alors qu’absents en France.
Il souligne une incapacité à gérer cette pénurie et, sans pitié, lâche :
« On ne demande pas à un énarque de faire du commerce international ».
Une seconde vague redoutée et redoutable
Il ajoute qu’il faut toutefois faire preuve d’humilité car, si certains pays ne s’en sont pas trop mal sortis pour l’instant, dans certains pays tentant de bien faire de manière rationnelle les résultats obtenus ne sont pas nécessairement plus brillants dans des pays à la gestion chaotique. Même si les chiffres sont difficilement comparables.
Le sénateur constate que les moyens nécessaires au secteur de la santé ne sont qu’une très faible partie du coût de l’arrêt de l’économie.
Il s’inquiète de l’incapacité d’avoir une gouvernance capable de répondre à ce défi humain inédit. Il compare la France à l’Allemagne où Angela Merkel sait que la science n’est pas faite d’une accumulation de certitudes mais de scepticismes et de pensées rationnelles.
Le sénateur formule des regrets : pourquoi ne pas avoir tout fait pour augmenter la capacité des hôpitaux sur la période et pourquoi avoir considéré les tests comme le remède miracle durant la fin de l’été. L’absence de test rapide ne permet pas de contrer la propagation du virus et plusieurs jours sont nécessaires entre le test, le résultat, l’identification des cas contacts…
Ces dernières semaines, ajoute-t-il, le nombre de tests a augmenté mais les délais évoqués ci-dessus ne permettent pas de ralentir la progression de l’épidémie.
Français de l’étranger, aides covid etc
Notre entretien a lieu juste après une audition du sénateur par les commissions commerce extérieur et finances au sujet des entreprises tenues par les Français de l’étranger. Le sénateur note une volonté claire d’aider sur les bourses mais l’absence de volonté ailleurs notamment pour les entreprises ou aides sociales… Il dénonce avec véhémence le scandale des aides sociales avec des critères impossibles rendant peu de personnes éligibles au moment où cela est le plus nécessaire.
Depuis mai, le sénateur avait indiqué au ministre que le système ne fonctionnerait pas en la forme. Selon lui, prétendre qu’il faut 3 mois d’interministériel pour changer est pour le moins problématique….
Le prêt garanti par l’état est un élément essentiel pour préserver les entreprises qui contribuent au rayonnement de la France ainsi que les Alliances, les Chambres de commerce et d’industrie.
Jean-Yves Leconte estime qu’il convient aussi d’aider les entreprises créées par les Français de l’étranger. Les 160 millions pour l’Afrique via Proparco sont, pense-t-il, plus une incarnation du discours de Ouagadougou du président Macron qu’une réponse à des besoins spécifiques des entreprises créée par des Français à l’étranger.
Il ressent une grande inquiétude pour ces gens qui ont investi toute une vie et vivent un véritable drame. Il critique avec force la non-aide aux entreprises créées par les Français de l’étranger par un gouvernement qui se targuait de vouloir favoriser la présence et le rayonnement de la France à l’étranger. Selon le sénateur :
« il semblerait que les bons Français soient ceux qui rentrent et participent aux relocalisations. »
6 ans d’Assemblée des Français de l’étranger et 33e édition en forme hybride
En 2014, Jean-Yves Leconte (ancien vice-président de l’Assemblée) avait soutenu une Assemblée des Français de l’étranger sans parlementaire. Six ans après il constate toutefois que l’Assemblée bénéficierait à utiliser le travail des parlementaires tandis que ces parlementaires ont besoin de l’AFE, de ses liens, de ses échanges et conseils.
Durant cette période, le travail commun ne s’est pas fait. Si les parlementaires sont régulièrement auditionnés, c’est toutefois un constat d’échec qui doit être dressé. Selon le sénateur, l’assemblée apporte la vision globale des Français de l’étranger.
Cette 33e édition, en pleine pandémie, s’est tenue sous forme hybride. Les difficultés techniques et organisationnelles ont été nombreuses. Jean-Yves Leconte s’étonne que l’AFE n’ait pas regardé comment le sénat avait procédé pour l’hybride et souligne que le MAEE fonctionne toujours en distanciel via le téléphone (pas de visioconférence). Il ajoute que cette édition aurait pu être l’occasion d’ouvrir en virtuel l’assemblée aux autres élus consulaires mais aussi et surtout aux Français de l’étranger en général pour les mobiliser pour le scrutin à venir.
Il constate un manque de moyens et l’absence d’un secrétariat dédié.
« La démocratie exige un minimum de dépenses ».
Une assemblée qui devrait avoir plus de moyens propres
Au niveau de l’organisation, il regrette que certaines auditions n’aient que peu mobilisé…
Le sénateur Leconte affirme que l’AFE nouvelle mouture avait connu des débuts prometteurs ; avec 90 membres sans règlement intérieur le défi était grand. Elle pâtit par manque de moyens et prérogatives. Elle devrait, selon le sénateur, pouvoir voter, par exemple, les instructions sur les bourses, les orientations de l’action sociale ou du Stafe et il ne devrait pas s’agir de circulaires de la DFAE ou de l’AEFE.
Le sénat a, explique-t-il, des administrateurs qui constituent de véritables béquilles et soutiens des sénateurs. L’AFE n’a rien de tout cela.
Les rapports AFE sont méritoires mais complexes car rédigés sur une semaine dans des conditions loin d’être idéales.
Jean-Yves Leconte, dans une démarche volontaire, indique que les parlementaires sont disposés à accompagner un débat budgétaire pour que l’AFE ait plus de moyens pour agir de manière crédible dans l’intérêt des Français de l’étranger.
Fiscalité des non-résidents
Lorsque nous nous retrouvons, les discussions concernant la fiscalité des non-résidents battent leur plein et un amendement visant à revenir sur la suppression (votée en 2018 et devant s’appliquer l’année prochaine) du caractère libératoire de la retenue à la source pour certains revenus, et pensions perçues par des non-résidents vient d’être voté commission des finances de l’Assemblée nationale.
Le sénateur Leconte rappelle le constat sans appel à revenus égaux un non-résident paie plus d’impôts qu’un résident.
La situation n’est pas égale. La législation change trop souvent entrainant de nombreuses erreurs dans les déclarations. C’est une réelle préoccupation et le sénateur reformule 2 revendications :
-l’application de la jurisprudence « Schumacker » partout dans le monde et non pas seulement en Europe
-la suppression de CSG CRDS sur les revenus immobiliers pour les non-résidents partout dans le monde et non pas seulement en Europe.
Il reste donc beaucoup à faire en la matière…
Elections de mai 2021 et vote Internet
Le sénateur estime que le report des élections, évidemment nécessaire, aurait pu être annoncé avant ainsi que lui et le groupe « Français du monde/ADFE » le demandaient…
Le vote internet est problématique en raison de la faillite de Scytl. Certains pays opérant aussi avec cette société semblent avoir pris plus de précautions que la France.
Jean-Yves Leconte rappelle que le vote internet ne peut être la seule modalité de vote et cela nécessiterait de changer la loi ce qui ne serait pas correct si peu de temps avant le scrutin. Si le vote Internet est une nécessité pour les Français de l’étranger, ce n’est pas idéal et requiert une confiance totale envers le prestataire avec une nécessité de ne pas tracer tout en s’assurant qu’on ne « truande » pas. Le vote Internet constitue, estime le sénateur, un complément de vote parfait.
Pour le scrutin de mai 2021 se pose la question de la faisabilité du vote à l’urne si des pays interdisent les rassemblements en raison de la pandémie… Le sénateur rappelle les incertitudes que cela engendre sur le scrutin sénatorial prévu en septembre, qui nécessite un corps électoral renouvelé.
Laisser un commentaire« Les conseillers des Français de l’étranger ont, ces six derniers mois, constaté et accompagné les difficultés des Français. Il est essentiel de continuer dans ce sens. Pour l’aide sociale, il est primordial de renforcer leur capacité d’influence afin qu’ils prennent part aux décisions réelles. On a besoin de progresser dans la réforme pour donner plus de pouvoirs aux élus. »