La poudrière américaine vue du Canada par un élu des Français de l'étranger !

La poudrière américaine vue du Canada par un élu des Français de l'étranger !

Comme vous, j’ai regardé avec effroi les images qui nous viennent des Etats-Unis : manifestations monstres, débordements, émeutes insurrectionnelles dans tous les grands centres urbains américains.

Vu du Canada

Comprenez qu’au Canada, tout particulièrement dans les provinces anglophones, nous sommes en permanence sous l’influence culturelle, économique et intellectuelle de notre pays voisin. Tout ce qui se passe aux Etats-Unis est immédiatement ressenti par les canadiens. Force est de constater que vous soyez à Vancouver, Halifax ou Toronto, à quelques exceptions près, nous consommons en permanence des séries américaines, nous regardons leurs émissions de télévision, nous suivons leur actualité autant, sinon plus que celle qui nous est propre. Nos amis anglo-canadiens on beau jeu d’insister sur les trois ou quatre mots qu’ils prononcent différemment des américains, cela fait longtemps qu’ils ont été colonisés intellectuellement par leurs voisins de palier.

La perméabilité culturelle est si grande que depuis des décennies, certains compatriotes canadiens s’imaginent pouvoir invoquer le 5e amendement dans le contexte judiciaire, que leur liberté d’expression est garantie par un 1e amendement ou que l’on peut commencer un impeachment contre n’importe quel élu du pays. Malgré de profondes différences historiques entre les deux pays, la question des conflits raciaux, du racisme systémique est tout aussi prégnante au Canada, surtout à l’égard des autochtones dites Premières Nations. En revanche, les villes canadiennes n’ont jamais été en prises aux émeutes raciales comme aux Etats-Unis.

L’étincelle

Après quatre années d’une présidence chaotique et profondément clivante, le désastre économique conséquent aux mesures prises pour enrayer la pandémie, un taux de chômage battant tous les records historiques, la maigreur du filet social et l’effet amplificateur des réseaux sociaux, deux affaires graves se sont télescopées au cours de ces derniers mois : Ahmaud Arbery abattu par deux apprentis justiciers, et les images terribles de l’assassinat de George Floyd par le policier Derek Chauvin.

L’événement de Milwaukee a rappelé aux américains le niveau de violence ordinaire avec lequel fonctionne depuis trop longtemps la police américaine : en 2019, ce sont 1099 américains qui sont morts aux mains des forces de l’ordre. Les Afro-Américains forment 25 % de ces décès alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population. Ces statistiques confirment le ressenti de la population qui a en mémoire les noms d’Oscar Grant, Eric Garner, Walter Scott, Bettie Jones, Botham Jean, Eric Reason, Tamir Rice et d’autres encore.

Le problème policier

Outre les éléments déclencheurs cités plus haut, quels sont les racines du problème policier américain ? Selon certains anciens policiers, comme Norm Stamper de Seattle, il y a un manque de standards fédéraux : chaque police municipale agit en vase clos avec ses propres règles. Stamper appuie là où ça fait mal et remet en cause la course à l’armement des forces de police, l’obsession des chiffres qui pousse aux résultats comme le nombre d’amendes, le nombre d’arrestations. Stamper remet aussi en question l’omerta qui existe entre collègues et conduit à la tolérance d’abus. Parmi les solutions proposées : davantage de formations, une meilleure compréhension des maladies mentales, plus de femmes, une police de proximité et la dépénalisation et légalisation des drogues douces.

De l’autre côté du spectre, les commentateurs de la droite dure américaine, comme Heather Mac Donald, sont convaincus qu’il y a une guerre contre la police aux Etats-Unis et que le contexte actuel est directement imputable au comportement des Afro-Américains, principaux responsables de leur sort …

Comme l’explique bien le journaliste Carlos Lozada, l’ancien policier Norm Stamper avec son approche réfléchie, avec ses idées réformatrices, sera l’invité permanent des médias du centre et de la gauche américaine comme NPR et Heather Mac Donald fera le tour des plateaux conservateurs américains de Limbaugh à National Review.

C’est là une des clefs du problème ! Aucun dialogue politique n’existe aux Etats-Unis, nous sommes loin de l’époque où s’écharpaient Gore Vidal et William F. Buckley Jr. autour des grandes questions de société. De surcroit, l’abolition du fairness doctrine en 1987, qui assurait l’obligation d’un équilibre idéologique, a permis la naissance de médias hyper orientés comme la Fox News. Deux Amériques se côtoient sans se parler, sans se connaître, jusqu’au conflit.

Un problème social et politique

La question des violences policières aux Etats-Unis ne saurait passer sous silence une foule d’autres problèmes. Il y a bien entendu le racisme systémique qui conduit les populations non-blanches américaines à être surreprésentées dans le système carcéral et à être davantage victimes du chômage et de la pauvreté. S’ajoute à cela un système politique qui permet des découpages électoraux fantasmagoriques, exemples parfait de  gerrymandering, qui aboutissent à la mise sous tutelle de populations non blanches ainsi divisées et sous représentées dans le paysage politique.

La question Trump

À moins de cinq mois des élections, le président des Etats-Unis, Donald Trump, très affaibli par sa gestion catastrophique de la pandémie, a réagi avec fureur lors des nuits d’émeutes : la situation est profondément embarrassante pour celui qui veut projeter une image d’homme fort sur la scène internationale. C’est dans cet état d’esprit qu’il a sommé les gouverneurs des états, menaçant de déployer l’armée américaine dans les rues des villes.

Que faire ? Comment suivre l’actu ?

Tout d’abord, de grâce, ne calquez pas votre grille de lecture franco-française sur ce problème américain. N’imaginez pas un seul instant tirer des parallèles ou des conclusions hâtives et gardez-vous de donner de leçons sur les réseaux sociaux. Si le sujet vous tient à cœur, commencez par écouter attentivement, lisez, documentez-vous sur l’histoire de ce grand pays. Je vous conseille en particulier, de l’incontournable Howard Zinn et son A People’s History of the United States. Rien ne vaut un avis éclairé !

Informez-vous avec une multitude de sources, n’écoutez pas un seul média américain. Balayez le spectre de NPR et PBS à Fox News en passant par CNN, CBS, ABC et NBC. On ne peut le répéter assez : consultez les grands journaux américains comme le New York Times, Washington Post, Wall Street Journal, Los Angeles Times et au moins un quotidien d’une ville comme le Chicago Tribune, le San Jose Mercury News ou le Star Tribune de Minneapolis-Saint Paul.

Marc-Albert Cormier est conseiller consulaire pour la circonscription de Toronto au Canada.

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