Cette présidence qui n’en finit plus …

Cette présidence qui n’en finit plus …

En temps normal, c’est à dire avant 2016, quand le ciel était bleu et que la terre était ronde, un président des États-Unis en fin de mandat était qualifié de canard boiteux – lame duck – c’est à dire un politique désormais pataud, sans pouvoir réel, dont les jours sont comptés et dont le successeur désigné lors d’une opération électorale complexe est unanimement reconnu. Autrefois, le lame duck president s’occupait de sa postérité, commençait à faire ses cartons, écrivait ses mémoires et rêvait à sa future bibliothèque présidentielle. 

10 semaines de présidence boiteuse

Il faut bien comprendre qu’aux Etats-Unis, avec une élection début novembre et une investiture généralement tenue le 20 janvier, un président devenu inéligible ou battu reste aux commandes de l’exécutif pendant dix semaines. À titre de comparaison, faut-il rappeler qu’en France, ce sont dix jours qui s’écoulent entre le résultat du second tour et le perron de l’Élysée. 

Aux Etats-Unis, les temps ne sont plus normaux, ni normés. Désormais l’eau ne mouille plus, le vert est bleu et le rouge est noir. Trente-cinq ans après la révocation du fairness doctrine ou principe d’impartialité des médias américains, la dérégulation du marché de l’information a permis l’émergence d’univers parallèles où la vérité n’est plus qu’un souvenir relatif. Le matraquage quotidien des chaines d’infox, véritable industrialisation de la méthode Coué, est devenu la norme : il suffit de répéter Benghazi à tire larigot, on l’associera pour toujours à Hillary Clinton sans jamais en comprendre ni les tenants, ni les aboutissants. Les réseaux sociaux ayant donné un formidable coup d’accélérateur à ce phénomène, on tapissera l’espace mental de l’électeur lambda avec une foule de mots galvaudés qui sont autant de clefs pour verrouiller l’opinion : Fake News, Lamestream Media, Sleepy Joe et j’en passe. 

Un scénario ubuesque

L’acteur de télé réalité qui se cache encore aujourd’hui derrière la présidence des Etats-Unis s’accroche désespérément à son mandat pour une foule de raisons. Que ce soit la perte de son immunité judiciaire ou la blessure profonde que constitue sa défaite aux urnes, son déni de réalité le pousse désormais à épouser les théories les plus fumeuses qui, si elles s’avéraient exactes, feraient du système électoral américain, certes byzantin, une copie conforme de celles républiques dites bananières.

Les cinéphiles avertis se souviendront de la scène de Citizen Kane où le journal, propriété du candidat milliardaire Charles Foster Kane, prépare deux unes pour le lendemain en attendant les résultats : soit le papelard titrera « Victoire » ou « Fraude aux urnes » ! Le compte twitter de Donald Trump n’est que l’expression moderne de cette mégalomanie infaillible, ce profond déni de réalité, une incapacité totale à concevoir la défaite. 

Scène du film Citizen Kane

Pression en Géorgie

Tout ceci nous amène au samedi 2 janvier dernier, après avoir perdu plus de 50 procès devant autant de tribunaux, Trump a tenté de peser de tout son poids sur le secrétaire d’état de la Géorgie, Brad Raffensperger. Pendant 62 minutes, il aura tout essayé, de l’influence à la menace, puis il a fini par déraper : « tout ce que je veux, c’est qu’on me trouve 11 780 voix ». Avec ces mots, il a abattu ses dernières cartes : il est prêt à tout, jusqu’à exiger qu’on change le résultat d’une élection. Son intervention et son ingérence dans le processus électoral aura des conséquences politiques et électorales gravissimes : non seulement l’enregistrement du coup de fil à Raffensperger nous rappelle les heures sombres du Watergate, son complotisme exacerbé aura indirectement contribué à la perte de la majorité sénatoriale républicaine. 

En accusant à tort et à travers les autorités électorales de l’état de Géorgie d’avoir commis une fraude massive, il aura sapé la confiance des électeurs. Il n’y aucune logique à accuser un état d’avoir opéré un bourrage d’urnes à la présidentielle, pour ensuite  demander à ses partisans de se mobiliser pour ce second tour aux sénatoriales. Ayant persuadé ses soutiens radicaux d’une immense supercherie, Trump aura commis un véritable harakiri politique. 

Fixé sur sa propre défaite, il aura emporté dans la tourmente entre un et deux sièges sénatoriaux de la Géorgie, contribuant soit à l’affaiblissement de la majorité sénatoriale républicaine ou la perte complète de celle-ci. Avec la perte d’un siège, le Sénat américain ne verrait plus qu’une majorité d’une voix pour le parti de Trump. Avec la perte des deux sièges, avec un Sénat ex æquo, c’est la future vice-présidente, Kamala Harris, qui aura la voix déterminante pour assurer la majorité démocrate. 

Victoire de Joe Biden

Quant au vice-président actuel, Mike Pence, il présidera aujourd’hui mercredi 6 janvier, le décompte des voix du collège électoral qui scellera une fois pour toute la victoire de Joe Biden. Pour la petite histoire, il paraît que Trump aurait découvert ce rôle cérémonial par le biais d’une pub télévisée du Lincoln Project : son propre vice-président prononcera les mots qui officialiseront sa défaite électorale. Que lui reste-t-il ? Un coup d’état ? 

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