J’ai épousé Poutine

J’ai épousé Poutine

Que l’on parle gaz, migrants, Ukraine, Mali, Libye, cybermonde, station spatiale ou démocratie : que faire avec la Russie ? Elle est partout, explosant ses débris dans l’espace, jetant ses mercenaires, ses hackers, ses chars sur toute faille, toute faiblesse, réelle ou imaginaire. 

Emmanuel Macron avait dénoncé un « Etat profond », tapi au Quai d’Orsay, qui s’opposerait à un partenariat avec Poutine. Pourtant, le Kremlin cultive des relais puissants dans les medias, les partis, les entreprises : « Profond réseau » ? Rares sont les pays qui entretiennent des liens aussi actifs, discrets ou bruyants. Et les Russes ont des arguments, pas seulement sonnants et trébuchants : une alliance entre la Russie et l’Europe, la France et l’Allemagne au premier rang, serait un événement majeur dans le monde, et bénéfique pour la paix. 

La France a régulièrement la tentation d’essayer, et la certitude d’échouer. Poutine préfère le conflit à l’entente et considère les Européens comme faibles, peu fiables, liés au Etats-Unis, quoiqu’ils disent. D’autant que les dirigeants européens sont incapables de mener des politiques réalistes, qui consistent à accepter les pays tels qu’ils sont, et non tels qu’ils devraient être.

Si l’on pouvait se marier avec Poutine, ce serait une chance formidable

Les relations avec la Russie sont l’exemple type de la contradiction entre l’intérêt des peuples et celui des dirigeants. Toujours la politique étrangère reste soumise aux lois de l’opinion plutôt qu’à celles du réalisme géopolitique, aussi bien du coté de Poutine que des Européens. L’un cultive sa stature martiale et nationaliste, les autres leur posture morale et démocratique. Dommage : Russes et Européens ont tout pour s’entendre, d’autant que les Russes sont européens.  

C’est vrai, si l’on pouvait se marier avec Poutine, ce serait une chance formidable. La complémentarité économique entre la Russie et l’Europe est évidente, l’une a besoin de technologies et d’investissements, l’autre de marchés et de matières premières. L’intérêt militaire est plus évident encore : un espace de paix de l’Atlantique au Pacifique, de l’Arctique à la Méditerranée, permettrait de concentrer ses forces sur les vraies menaces de la planète. Cette alliance de fait pourrait entrainer, dans le domaine industriel, spatial, digital, un essor extraordinaire, qui éviterait le condominium sino-américain dans la haute technologie. 

Une telle entente résoudrait mille problèmes, avec la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël, l’Algérie, le Sahel, le Mali, la Centrafrique, l’Azerbaïdjan, l’Arménie … Il empêcherait ce face à face manipulateur que se livrent, chacun dans son intérêt en y embringuant ses alliés, la Chine et les Etats-Unis. « Détente, entente, coopération »  et plus encore si affinités. 

Et pourtant. Est-ce l’idéologie, qui conduit Poutine à penser que « les  démocraties libérales sont mortes », que l’Occident est vraiment décadent (si c’est vrai, que dire du déclin de la Russie…), que le soleil se lève à l’est et que la Russie est asiatique ? 

Est-ce la paranoïa qui laisse à penser que les Occidentaux l’ont trompé, l’encerclent, amènent l’OTAN à ses frontières, lui prennent l’Ukraine, la mer noire, demain le Kazakhstan ?

Poutine n’a jamais montré qu’il avait envie de se marier

Est-ce la jouissance solitaire du pouvoir, qui l’enferme en sa forteresse, l’associe aux tyranneaux qui partagent les mêmes soucis: rester au pouvoir, contrôler, éliminer faibles et forts qui pourraient gêner ? Est-ce le sentiment de rester le plus beau dans le miroir déformant des autocrates, d’Erdogan à Xi Jinping, de Maduro à Khameneï, d’Ortega à Bachar, collier d’alliances hétéroclites ? 

Est-ce la tradition, qui veut que l’on n’existe que « contre » les Etats-Unis, ce qui revient à soutenir tous ceux qui s’y opposent, et à considérer les Européens comme des suiveurs? 

Est-ce le style, qui ne voit la politique que dans le rapport de force, B-A-BA simpliste, qui conduit à menacer, par les chars, les missiles, les mercenaires, les cyberattaques, le gaz, les lobbies, des interlocuteurs forcément naïfs, faibles et changeants ? 

Quelles que soient les raisons, jamais Poutine n’a montré qu’il avait envie de se marier.

Ce serait pourtant facile. L’Europe a une belle dot. C’est l’intérêt de la Russie. Soit, la Russie serait sans doute plus forte, mais Poutine moins. Non qu’il serait obligé de devenir un démocrate (de toute façon, ceux qui pourraient emporter une élection en Russie ne sont pas plus démocrates que lui), ni un défenseur des droits de l’Homme. 

Prendre la Russie comme elle est, avec le gouvernement qu’elle a, Poutine tel qu’il est.

Les Européens pourraient, dans une politique réaliste, prendre la Russie comme elle est avec le gouvernement qu’elle a, Poutine tel qu’il est. Ce qu’elle fait dans de nombreux cas. Mais Poutine devrait renoncer au Donbass. Plus qu’au Donbass : à sa figure, à son image de mâle alpha auprès du peuple russe. 

Il a déjà perdu l’Ukraine, passée dans le camp européen, et ne s’y résout pas. Il est persuadé que les conflits gelés sont une arme, sans voir que cela renforce l’OTAN et les Etats-Unis, seuls bénéficiaires des tensions. Si le « Format Normandie » avec la France et l’Allemagne n’obtient rien, vers qui se tourner pour les pays voisins de Poutine ?

Il faut d’autres approches pour préparer un mariage. Partout, des solutions sont possibles : au Moyen-Orient, en Afrique, en Méditerranée, et même en Ukraine. La Russie tsariste, la France républicaine et l’Empire britannique firent alliance, alors que leurs rivalités et leurs idéologies s’opposaient plus fortement qu’aujourd’hui. Comme si la diplomatie avait disparu de l’univers mental des dirigeants ! 

On n’est pas obligé de s’aimer pour se marier. On se marie pour la paix et pour l’avenir. Il y a mille ans, l’évêque Liutprand était ambassadeur à Byzance, capitale orthodoxe. Il y négocia deux mariages. L’un fut une réussite, l’autre un échec humiliant. Une alliance durable entre l’Orient et l’Occident de l’Europe aurait évité à Byzance de devenir Istanbul. L’avenir de la Russie, c’est l’Europe. La paix de l’Europe, c’est la Russie.

Opposer des sanctions économiques aux chars relève de la de la confusion. Soit on arme, soit on calme.

Beaucoup, ici, ont déjà épousé Poutine, et vont jusqu’à expliquer que Poutine serait le vrai démocrate et Bruxelles une  dictature. Du coup, leur crédibilité s’étiole. Tout cela manque de sincérité. D’autant que c’est en Russie qu’il faut convaincre.

Non pas en soutenant les ONG « étrangères », ni les « démocrates », laissons cela aux Evangélistes, qu’ils montrent l’exemple en Arabie saoudite, mais en renforçant ce que la Russie tient d’européen en elle. Pour épouser la Russie, il faut se faire plus beau, plus belle : investir dans la jeunesse, le savoir, l’université, la culture, la science, serait la meilleure façon de faire l’amour, pas la guerre. 

Investir et investir encore, suppose d’abandonner une politique de sanctions inefficaces et humiliantes. Croit-on vraiment que des sanctions empêchent Poutine de jouer de la force ? A-t-il seulement fait semblant de chercher une solution en Crimée? Les Iraniens ruinés ne continuent-ils pas à enrichir l’uranium ? Quand les sanctions ont-elles contraint un pays à changer de politique ? Une bataille se mène avec des armes, pas avec des douanes. Opposer des sanctions économiques aux chars relève de la gesticulation ou de la confusion. Soit on arme, soit on calme.

Si le conflit s’amplifie en Ukraine, si le cycle des menaces, sanctions, interventions, n’est pas interrompu, la Russie s’enfoncera dans le déclin qu’elle masquera par des provocations – car elle n’a pas les ressources de son rêve de puissance- et l’Europe dans la crainte et la dépendance. Preuve que leurs destins sont en partie liés.

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire