Méditerranée, une mer très chaude

Méditerranée, une mer très chaude

La Méditerranée n’est pas une. Multiple, bien sûr ; divisée, surtout. Séparée en parcelles hostiles, venimeuses. Dès le détroit de Gibraltar, que fréquentent tankers, cargos, chalutiers et passeurs, le Maroc boude l’Espagne voisine, qui a hébergé un chef sahraoui. Le Sahara occidental est la pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc. Ou le prétexte pour entretenir une animosité fondamentale qui a conduit à une rupture des relations diplomatiques.

Trois risques de guerre en Méditerranée 

Les prospectivistes recensent trois risques de guerre en Méditerranée : l’un d’eux est une guerre entre le Maroc et l’Algérie. 

Là n’est pas le plus grave : après tout, c’est un risque permanent depuis des lustres, depuis la décolonisation. L’élément nouveau, c’est le raidissement marocain. Intérieur, qui se caractérise par la poursuite des opposants ; extérieur, quand il reproche à la France un vote du Parlement européen lui demandant de respecter « la liberté d’expression et la liberté des médias », de « garantir aux journalistes incarcérés un procès équitable ». Le Maroc, qui avait habilement passé les Printemps arabes, qui construisait un consensus autour d’un système politique équilibré, se raidit. Est-ce dû à une plus grande assurance ou, au contraire, le syndrome d’une inquiétude ? 

Dans l’Algérie voisine, la question ne se pose pas. La crainte gouverne. Le pouvoir a peur, et la reporte sur tout ce qui bouge. Journaux et sites d’information critiques ont été fermés. Les quelques figures du Hirak, ce mouvement de protestation qui avait amené la chute de Bouteflika, sont en prison. La répression s’est installée. La hausse du cours du gaz a sauvé le régime de la faillite, mais le coup passa bien près. Rarement, depuis la fin de la civile contre le GIA, le régime ne fut aussi policier. Comme d’habitude, il s’en prend à la France par intermittence, parce qu’elle a accueilli une journaliste franco-algérienne promise à la prison.  

Le raidissement est général au Maghreb : la Tunisie, seul pays où la démocratie semblait s’installer, malgré les difficultés économiques et les islamistes, est redevenu un régime autoritaire. Le président a pris tous les pouvoirs. Maintenant, il active la répression. Ces trois pays, si différents, si opposés, si conflictuels, sont entrainés dans un même mouvement d’autoritarisme.

L’Union des Etats Africains condamne les propos du Président tunisien sur les « hordes de migrants »

Est-ce le prix du blé, la crainte des émeutes ? La fragilité d’un pouvoir se mesure à sa peur, à sa répression. Ces raidissements sont internes et externes. Pas seulement vis-à-vis de la France, de l’Espagne, de l’Europe, vis-à-vis des voisins immédiats, toujours suspects : voilà le tour des migrants, boucs émissaires universels. Le président tunisien Kaïs Saïed s’est fait condamner par l’Union des Etats Africains, après sa sortie contre les migrants subsahariens. Il avait dénoncé les « hordes de migrants clandestins », sources de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », la « volonté de faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique », avec « un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie. ». Une exception ? 

En Algérie, l’armée repousse les immigrés subsahariens au Sahel. 600 femmes et enfants compris ont retraversé le désert, à pied, jusqu’à Gao. Au Maroc, les immigrés dénoncent les actions de la police. En Libye, ils sont rançonnés, emprisonnés, tentent le passage en Méditerranée, en payant cher et en risquant leur vie. Le nouveau gouvernement italien renforce le contrôle des navires des ONG, il leur reproche une complicité de fait avec les passeurs. Près de 60 migrants ont été retrouvés, morts, sur les plages italiennes. 

Avec qui traiter en Libye ? Le pays est divisé en deux, en guerre civile larvée, sur fond de pétrole, de rivalités entre tribus, mercenaires Wagner et soldats turcs. Heureusement, le conflit n’a débordé ni en Tunisie ni en Égypte. L’Égypte est calme : les prisons sont pleines. Elle est, malgré tout, au bord de la faillite financière. Le FMI est à son chevet, ce qui est rarement bon signe. Au Sinaï, quelques islamistes menacent ; ce n’est pas aussi brûlant qu’à Gaza, où le Hamas envoie des roquettes sur Israël qui riposte aussitôt.

Le problème d’Israël n’est pas le Hamas mais l’Iran. Qui n’est pas que le problème d’Israël.  

Le nouveau gouvernement israélien, composé d’ultra et d’extrémistes sous la houlette de Netanyahou, n’est pas dans une logique de conciliation. Son problème n’est pas le Hamas. C’est l’Iran, et son allié le Hezbollah, bien installé au Liban. La milice considérée comme terroriste par l’UE et les États-Unis a tout de l’honorabilité, sans elle, il n’y a pas de gouvernement : l’Etat libanais s’est effondré, comme la monnaie, comme l’économie. 

Rosh Hanikra, à la frontière entre Israël et le Liban, le 14 octobre 2022
(photo : YOSSI ALONI/FLASH90)

Israël-Iran : là est le deuxième scénario de guerre en Méditerranée, une extension de la guerre, puisque les attaques israéliennes sont régulières contre les bases iraniennes en Syrie. Avec cette inconnue : l’armée russe installée à Lattaquié a été vidée de sa substance par la guerre d’Ukraine. Un handicap pour la Syrie, qui voulait s’éloigner de l’Iran et rejoindre le giron des pays arabes. N’est-ce pas l’occasion pour Israël de régler son compte à l’Iran, qui a refusé l’accord proposé par l’Europe et les États-Unis sur l’arme nucléaire ? L’Europe peut-elle accepter la bombe iranienne ? Cela entraînerait une prolifération dans tout le Moyen-Orient, à moyen terme. Mais à court terme, un blocage du détroit d’Ormuz.

Le troisième risque de guerre touche l’Europe : c’est la Turquie malade.  

Le troisième risque de guerre est juste à côté, il concerne directement l’Europe : c’est la Turquie. Elle est en ruine. Par le tremblement de terre – plus de 40.000 morts-, plus encore par la politique aberrante d’Erdogan. La Livre turque s’est effondrée, l’économie va mal, et, refrain connu, en cas de crise, les prisons sont pleines. Erdogan joue sa réélection dans quelques mois. Inutile de dire qu’il utilisera tous les moyens pour gagner. Au-delà d’emprisonner élus et journalistes, fonctionnaires suspects et récalcitrants, de la fraude et autres subtilités, Erdogan peut déclencher un conflit, à Chypre ou en mer Égée pour provoquer un réflexe nationaliste et arrêter quelques traîtres. Du classique. La guerre d’Ukraine le rend, pense-t-il, intouchable. A voir : la Grèce, l’Italie, la France ne pourront laisser faire. Aussi peut-il se tourner vers un conflit plus latent, celui contre les Kurdes de Syrie. Tout dépend, encore une fois, des Américains. C’est peut-être agaçant, mais, que ce soit en Ukraine, au Maroc, en Iran ou en Turquie, ce sont encore les Américains, qui ont les meilleurs arguments.

La criminalité est organisée. S’arrête-t-elle en Italie ?  

Avec eux, la Grèce est plus tranquille. Elle a retrouvé sa stabilité économique. Son appartenance à l’Union Européenne l’a sauvée. Elle accueille les touristes sur ses plages, après l’interruption de la Covid. Le calme rayonne : les touristes viennent du nord, les migrants remontent du sud, quand ils ne sont pas refoulés en Turquie. La route des Balkans vers l’Europe commence là. Chaque pays a ses bandes criminelles, qui organisent le trafic des migrants, des drogues, des armes. Petits cartels qui ne sont pas encore devenus assez grands pour se faire la guerre comme au Mexique. Du Monténégro à l’Italie en passant par l’Albanie et le Kosovo, la criminalité organisée s’immisce dans la politique, la justice, la police. Est-ce que cela s’arrête à l’Italie ? 

A ce tour des rivages méditerranéens, qui laisse de côté bien des questions (sécurité des routes commerciales, accès à l’eau potable, urbanisation, pollution, énergie, sécheresse, sous-alimentation, biologie marine…), une première conclusion s’impose : seule l’Europe offre un élément de stabilité et de solidarité. Hélas, on ne peut pas dire qu’il existe une politique européenne en Méditerranée.

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