Migrations, un durcissement progressif et mondial

Migrations, un durcissement progressif et mondial

Le dernier sommet de l’UE a été consacré en partie aux migrations. Les divergences ont souvent divisé les pays, les uns seraient trop ouverts, les autres trop fermés, les quotas et les critères de Schengen peu respectés. La dernière crise entre l’Italie et la France a montré que les invectives venaient vite, sur un sujet souvent manipulé à des fins intérieurs, et très difficile à traiter puisqu’il s’agit aussi de pauvreté, d’exil, de misère et de morts. 

L’UE, la Commission et Frontex

Récemment encore, la Commission avait eu beaucoup de mal à faire accepter son plan en « 20 points » pour encadrer l’action des ONG, coordonner les sauvetages en mer et désigner les ports de débarquement. 12 pays (dont la France, l’Italie et l’Allemagne) ont accepté le principe de « 8000 relocalisations »  proposé par la France il y a quelques mois.

Cela paraît limité quand l’agence Frontex estime qu’il y aurait eu 330 000 entrées illégales dans l’Union européenne en 2022. Une augmentation de 64% par rapport à 2021, le chiffre le plus élevé depuis 2016. 924 000 demandes d’asile ont été déposées dans un des pays de l’UE. Au cours de l’année 2021, 340 500 ressortissants de pays non-membres ont reçu l’ordre de quitter l’UE mais seulement 21 % des déboutés ont été effectivement expulsés.

Certains pays de l’est souhaitent pouvoir ériger des murs à leurs frontières, ce qu’ont déjà fait l’Autriche ou la Hongrie. La Pologne a dû faire face à une manœuvre de la Biélorussie qui faisait venir des migrants pour leur faire franchir la frontière. La Pologne a utilisé des fonds européens pour dresser une barrière, les autres pays aimeraient donc que l’UE finance leurs murs.

Le Conseil européen, lors de sa dernière réunion, n’a pas donné son aval, mais a validé le principe de renforcer les moyens de surveillance des frontières et leur équipement. « Aucun mur ne sera construit avec les deniers européens » a déclaré la Présidente de la commission. Pourtant c’est déjà le cas en Pologne.

L’aide au développement

Autre sujet : les retours. L’aide au développement, la coordination des politiques d’attribution des visas, les accords portant explicitement sur le contrôle des migrations par les pays de transit, comme la Turquie, le Maroc, ou la Lybie, paraissent consensuels.

Cependant, quelles que soient les mesures prises Etat par Etat, tant qu’une définition commune du droit d’asile ne sera pas adoptée par l’ensemble des 27, on constatera des divergences dans le traitement des demandes, le taux de refus et l’exécution des reconductions. 

La Commission a proposé d’accélérer le filtrage aux frontières et les procédures de demande d’asile. Elle souhaite renforcer l’Agence de l’UE pour l’Asile et Frontex qui devrait être composé de près de 10.000 garde-frontières en 2030. 

Schengen II

Le contrôle des entrées devrait être mieux coordonné avec le système « Schengen II », une communication automatique du traitement des dossiers qui impliquera qu’un rejet dans un pays s’appliquera dans tous les autres. Les demandes d’asile continueront d’être traitées par le pays de première entrée, les demandeurs pourraient être placés en rétention pendant trois mois, temps dévolu au traitement de leur dossier.

Dans les Balkans, l’UE a augmenté son aide financière et signé des protocoles d’accord avec la Macédoine du nord, l’Albanie, le Monténégro et la Serbie. 

La réunion des ministres s’oriente vers un durcissement progressif de la politique migratoire de l’UE, l’Allemagne, pays qui voit dans l’immigration une réponse à son déclin démographique et un moyen de stabiliser sa population active, semble de plus en plus isolé. De fait, la patron allemand du PPE, Manfred Weber, aujourd’hui dans l’opposition au chancelier Scholz, a déclaré récemment que le mot « mur » n’était plus un tabou. 

C’est un mouvement que l’on constate mondialement. Le Danemark, gouverné par une coalition de gauche, a repris la mécanique du Royaume-Uni visant à faire traiter les demandes d’asile dans un pays étranger. Par une série de mesures restrictives, le Danemark a diminué le flux de demandeurs d’asile ( -82%) et d’immigrés ( -24% d’entrées). 

Le traitement des demandes délégué à un pays tiers, comme le font le Danemark et le Royaume-Uni ne fait que suivre un mouvement déjà amorcé, notamment dans les pays méditerranéens. Chacun tente de faire refouler les migrants par les autres. C’est la cas des Etats-Unis avec le Mexique, le cas de l’Europe avec la Turquie et d’autres.  

Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations, plus d’un tiers des personnes qui ont tenté de traverser la Méditerranée ont été interceptées et ramenées en Libye par les gardes-côtes libyens. Entre juin 2019 et 2020, 2600 décès ont été enregistrés. 3231 en 2021 selon le HCR. 

Les Européens sont écartelés entre le devoir de porter secours et le refus d’accueillir des flux d’immigrés clandestins. D’où la pratique de faire appel aux pays de transit pour les contrôler. Le nouveau gouvernement italien accuse les ONG (financées par des associations allemandes) d’aller chercher les migrants et de devenir de fait complice des réseaux criminels de passeurs. Les réseaux sont mondiaux. Ces derniers mois, un des principaux passeurs, turc, ayant fait venir 1800 migrants au Royaume-Uni a été arrêté. Un autre, d’Érythrée, a été arrêté aux Emirats arabes unis. La traite humaine revient avec les réseaux criminels.

Hausse du nombre de migrants internationaux

Au Niger, 700 migrants du Mali, du Sénégal, de Gambie, sont revenus d’Algérie après trois jours de marche dans le désert au mois de novembre. Les Algériens repoussent systématiquement les migrants traversant la frontière au Sahara. Plusieurs milliers selon les Nations Unies. 2000 par mois selon MSF. Au Maroc, les migrants subsahariens sont bloqués par les autorités marocaines. Tandis que des milliers de Marocains tentent la traversée vers l’Espagne. En Asie, en Birmanie ou en Corée, les portes restent fermées. En Amérique centrale, les refoulements s’accentuent. Partout, les migrants sont victimes de bandes criminelles. 

Le nombre de migrants internationaux a augmenté ces cinquante dernières années. Selon les estimations, 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance en 2020, soit 128 millions de plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970. Cela représente 3% de la population mondiale. En Europe, c’est 5% de la population de l’UE, soit 24 millions. L’Allemagne accueille le plus de réfugiés sur le continent, 2 234 900 exilés. Elle a reçu 190 000 demandes d’asile ; la France 120.000. 40% des demandeurs d’asile viennent de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. Les Italiens sont le premier pays pour les naturalisations : 131.000 en 2021, la France 74 000.

En France, le gouvernement a déposé un projet de loi sur l’immigration qui, parmi les mesures principales, prévoit une carte de séjour destinée aux « métiers en tension » (notamment le personnel médical), et des mesures législatives pour faciliter les expulsions. Le débat sera, comme d’habitude, houleux.

La question des migrations est nationale, européenne, internationale, et mondiale. Plus il y a de migrants et tout porte à croire qu’il y en aura de plus en plus, pour des raisons de démographie et de différences de niveau de vie, plus il y a aura de lois pour les limiter. Mais la réussite de ces politiques ne se mesurera pas à la hauteur des murs ou au nombre de migrants, plutôt à la capacité d’intégration dans les sociétés d’accueil. 

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