Cela faisait quelques semaines que le confinement partiel pendait au nez des Pays-Bas. Le nombre de tests positifs a augmenté de manière exponentielle tandis que les températures automnales enveloppaient le pays.
Ces nouvelles mesures ont entrainé une flambée de violences, inédite aux Pays-bas, on revient sur l’historique de cette cinquième vague avant de se pencher sur les mesures prises et leurs conséquences.
Un Coronapas décrié et d’abord mal appliqué
Le « coronapas » , le passe sanitaire à la sauce hollandaise, avait été instauré avec une grande réticence et de nombreuses exceptions : pas en salles de sport, pas dans les terrasses. Le tout a créé un flou artistique.
La ville d’Amsterdam avait ainsi annoncé qu’elle ne contrôlerait pas sa bonne mise en place dans l’hôtellerie, secteur déjà sinistré depuis des mois.
Une action en deux temps
Le gouvernement a opéré un premier tour de vis dès le 2 novembre.
A cette date, il fut décidé d’élargir le « coronapas » aux terrasses des bars et restaurants et aux lieux de passage. Salles de sport, musées le mirent donc en place.
Le masque fit également son retour dans les gares, boutiques, supermarchés, collèges et universités (déplacements) et professions de contact (coiffeurs, kinés). L’annonce de la troisième dose fut faite pour les plus de 60 ans.
12 novembre : confinement partiel de 3 semaines
Devant des chiffres de plus en plus inquiétants et une situation dégradée, le gouvernement démissionnaire de Mark Rutte dut effectuer un second tour de vis. Il annonça un confinement partiel de trois semaines pour juguler la progression des contaminations.
Le secteur de la restauration principal touché
Les bars, cafés, restaurants et supermarchés doivent, depuis le 13 novembre, fermer dès 20 heures. Les commerces non essentiels et les professions de contact doivent arrêter à 18 heures.
Le retour d’autres mesures et recommandations
Il est fortement recommandé de ne pas recevoir plus de 4 visiteurs de plus de 13 ans chez soi, même si ces personnes sont vaccinées. Le télétravail redevient la norme. La distance de 1m50 est obligatoire partout où le coronapas n’est pas exigé.
Le secteur culturel épargné… pour l’instant
Ce secteur, qui a très bien mis en place les contrôles du coronapas, fut en quelque sorte épargné par le confinement partiel. Il peut continuer à fonctionner, même au-delà de 20h. Les cinémas et salles de spectacles avec places assisses ont donc été soulagées.
La famille au cœur des préoccupations
Les écoles restent bien heureusement ouvertes. Une limite de 75 personnes s’applique à l’enseignement supérieur.
Saint Nicolas, la fête familiale et enfantine du pays, a bien pu faire son arrivée dans la capitale dimanche 14 novembre même s’il fit son trajet sur les canaux.
Quelques éléments d’analyse
Ces mesures résultent de 16 000 contaminations par jour et de la nécessité de frapper un bon coup le « virus qui est partout »… Le gouvernement semble avoir effectué un travail d’équilibriste en suivant la plupart des mesures préconisées par le conseil scientifique du pays.
On note toutefois qu’aucun avis négatif de voyager n’a été repris. L’horaire de fermeture des cafés et restaurants a été décalé de 19h à 20h permettant aux enseignes de mettre en place un service très tôt dès 17h ou 17h30. Le restaurant étoilé Rijks se targue ainsi de proposer un « DUNCH », mot-valise qui unit diner et lunch.
Un pays pourtant bien vacciné en proie à une virulente 5e vague
Les Pays-Bas connaissent un taux de vaccination élevé et ces mesures sont accueillies avec froideur par ceux qui voyaient la vaccination comme la porte de sortie. Des mouvements de protestation ont donc eu lieu. Rotterdam a ainsi connu une « orgie de violence » et La Haye (siège du gouvernement) fut en proie à des violences samedi dernier.
Ces manifestations et émeutes ont lieu alors que le gouvernement étudie la possibilité d’interdire l’accès à certains lieux aux personnes non vaccinées (système 2G). Elles nous rappellent les violences du début d’année.
Tour d’horizon
Nous avons contacté plusieurs acteurs de secteurs d’activités au cœur de ces mesures : éducation, culture, santé et restauration.
Groupe info-covid
Lesfrancais.press ont pris l’attache de Xavier Falières, médecin anesthésiste et Julia Drylewicz, biostatisticienne et immunologiste computationelle.
Ils ont co-créé le groupe Facebook Info Covid qui informe brillamment la communauté française et francophone des Pays-Bas durant la crise.
Le variant Delta : principale source de la dégradation
Dans un pays qui a pourtant une bonne couverture vaccinale, Julia comme Xavier évoquent le variant Delta comme source de la dégradation.
La situation dans les écoles, où le masque n’est pas porté et sans distanciation fait qu’il se propage comme une trainée de poudre. Xavier souligne le retard pris dans l’administration de la dose de rappel chez les plus de 65 ans et les soignants et une mauvaise compliance pour la troisième dose chez les patients immunocompromis.
« L’abandon du port du masque en intérieur a été une erreur.«
Xavier Falières
Julia ajoute que le nombre de cas positifs par jour est inquiétant mais qu’il ne dit pas grand-chose car beaucoup sont liés à l’obtention du coronapas et restent pour la plupart (encore) asymptomatiques.
Un confinement partiel approprié mais pas suffisant
Julia et Xavier s’accordent sur ce point et évoquent la mise en place élargie de la 2G pour pousser ainsi qu’une incitation pour l’injection de la troisième dose.
Des médias français décalés
Xavier est pragmatique et estime que la situation actuelle dans les hôpitaux résulte d’années de coupes budgétaires, de benchmarks, d’efficacité extrême ne laissant aucun espace en cas de catastrophe sanitaire. Le système vient selon lui d’atteindre son point de rupture.
« Cela n’est pas nouveau. Déjà l’an passé au moment du premier confinement, les médias français disaient qu’il n’y avait aucune mesure en place, pas de confinement aux Pays-Bas et la vie continuait comme si de rien n’était. Comme presque partout, il y a un manque cruel de personnels et de lits mais la situation n’est pas tellement pire qu’ailleurs ».
Julia Drylewicz
La vaccination encore et toujours
Xavier estime que ce confinement partiel n’aura d’effet que s’il y a une forte stimulation à la vaccination. Julia elle craint que ces trois semaines soient un avant-goût de ce qui va arriver par la suite. « C’est un signal d’alarme pour la population qui se pensait sortie d’affaires avec un bon taux de vaccination. Malheureusement, les scientifiques savaient que si les gestes barrières n’étaient pas poursuivis, cette vague allait nous arriver dessus. Il faut que la campagne de vaccination s’accélère sinon il se peut que nous soyons obligés de prendre des mesures drastiques comme par exemple en Autriche… »
Une communauté française soutenue
Pour Xavier, le bulletin hebdo du groupe constitue un précieux soutien à beaucoup d’entre eux. Il note aussi la présence de complotistes et anti-vax purs et durs dans cette communauté et l’énergie de discuter avec eux manque… Julia sait que certains s’attendaient à des mesures et s’y préparaient mentalement. Elle regrette que d’autres se tournent vers les anti-vax et se mettent à douter de l’efficacité des vaccins. Elle constate une fatigue globale mais tente, avec le groupe, encore et toujours d’expliquer ce qui se passe.
Un impact relatif… pour ce confinement partiel
Céline Dandoy est une Française des Pays-Bas active dans le milieu éducatif. Elle dirige l’école de français, située dans le centre historique de la capitale. Si Céline et son école ont beaucoup souffert des confinements précédents, elle note avec soulagement que ces derniers mois son école a pu garder les cours en petits groupes. Durant la période avec la distanciation obligatoire, le maximum était de 4 adultes par salle de classe (5 avec le professeur).
Prudence à la rentrée de septembre
Dès septembre, la distance aurait pu être mise de côté mais Céline a préféré ne pas trop remplir les groupes pour une transition en douceur. Elle ajoute que les cours en ligne mis en place depuis mars 2020 restent tout aussi populaires. Elle conclut « nous ne sommes pas touchés par les dernières mesures car nos élèves apprennent dans un cadre professionnel et nous respectons la distance entre les apprenants ».
La sécurité au cœur de l’école de français
Céline rappelle les cours Zoom proposés depuis mars 2020 et sait que si un confinement plus drastique s’annonce, la totalité des cours repassera en ligne. Les gestes barrières, le nettoyage accru des salles sont rapidement devenus un automatisme.
Des mesures à toujours vérifier
Céline souligne que la situation de son école n’est jamais clairement évoquée durant les si médiatiques conférences de presse : ni HORECA ni une école publique, l’école de français est en contact avec du public sans le toucher. Céline contacte ainsi toujours le RIVM (Institut national de santé publique) pour avoir confirmation des mesures. Les dernières étaient complexes et la confirmation se faisait attendre.
« Suivant la personne que nous avons au téléphone, nous pouvons avoir deux informations différentes et le RIVM est toujours très prudent.«
Céline Dandoy
Une directrice qui tient le choc
Céline est soulagée que les écoles restent ouvertes. Pas d’école à la maison à côté de son travail. Elle profite des activités culturelles qui sont possibles, va à ses cours de théâtre et de continue à faire du sport.
Soulagement pour le secteur culturel
Les français.press ont contacté Pierre-Pascal Bruneau, de la fondation l’échappée belle, organisatrice du festival du film français Tapis Rouge. Qui mieux que monsieur culture française à Amsterdam et au-delà pour évoquer les toutes nouvelles mesures ?
Pierre-Pascal et ses équipes ont accueilli avec un énorme soulagement le fait que les mesures épargnent le secteur culturel. En effet la veille, jour de l’ouverture du festival, il avait été annoncé que la recommandations des experts était de fermer théâtres et cinémas. Il n’en fut rien et le festival Tapis Rouge, véritable temps fort culturel de la France aux Pays-Bas, a pu avoir lieu. En clôture, le mardi 16 novembre, furent projetées les Illusions perdues, la magnifique adaptation de Xavier Giannoli du roman éponyme de Balzac.
Un impact relatif sur Tapis Rouge 2021
Tapis rouge 2020 avait lourdement été touché nous rappelle Pierre-Pascal. En 2021, certaines personnes ont annulé leurs réservations par peur de la pandémie et d’autres ont probablement renoncé à aller au cinéma, dans l’attente d’une amélioration de la situation sanitaire. Il souligne que cet impact a toutefois été assez limité. La vérification des Coronapas a grandement rassuré les spectateurs.
Des événements culturels confirmés et une fondation qui peut se projeter
Fort du succès de cette troisième édition qui a accueilli plus de 2500 spectateurs, Pierre-Pascal peut nous confirmer qu’il y aura une quatrième édition de Tapis Rouge en 2022 !
Il évoque ensuite des événements, des premières avec l’intervention de réalisateurs ou d’acteurs et partage avec nous la reprise des soirées littéraires de l’Échappée Belle. Pour 2022, Pierre-Pascal nous annonce déjà plusieurs grands noms dont Yasmina Khadra, David Diop, Laetitia Colombani, Michèle Fitoussi et Anne Berest ! Un beau programme en perspective !
Des mesures malheureusement prévisibles pour la restauration
En conclusion, nous sommes allés prendre le pouls du secteur le plus touché par ce confinement partiel : la restauration.
Carole Gölitz est une Française basée à Haarlem. Elle a lancé ti bisou sa « Crêpe boutique » en juillet dernier.
Carole nous explique qu’habituellement il y 3 semaines entre 2 conférences de presse covid. La programmation serrée de la dernière présageait des mesures plus drastiques et urgentes. Carole s’attendait que le Coronapas éviterait cela. Les informations qui avaient fuité le matin annonçaient une fermeture des restaurants à 19H00, autant dire que 20h fut accueilli comme un progrès alors que quelques heures avant le moral des restaurateurs sur Haarlem était au plus bas… Les Néerlandais dînent tôt mais pour beaucoup de collègues, cela ne suffit pas pour boucler leur budget.
Des initiatives certes, mais une pilule dure à avaler
Carole nous explique que certains restaurateurs commençaient juste à recréer leur équipe de personnel pour l’hiver. Outre le dunch du chef de Rijks, des enseignes ressortent leur diner box ou menus pour la maison. Le secteur espère que ces 3 semaines passeront vite et qu’un assouplissement sera apporté avec une accueil jusque 20h. La prudence est toutefois de mise.
Des médias français mal informés
Carole souligne que plusieurs médias français annonçaient allégrement l’instauration d’un couvre-feu à 20h. Ce n’est aucunement le cas. Après 20h on peut toujours circuler, faire du sport et même au cinéma ou au théâtre. Elle déplore ce manque de rigueur dans les propos des journalistes qui peut avoir de lourdes conséquences. Elle rappelle que le phénomène inverse avait eu lieu avec des correspondants néerlandais en France. Cette confusion est dommageable et peut avoir des conséquences sur les déplacements touristiques.
Une enseigne « hybride » et deux régimes de mesures
Ti bisou est un commerce de détail avec 20 à 30% de la surface totale brute en restauration. Si jamais un vrai confinement était instauré, ti bisou resterait ouvert avec une partie épicerie française (produits bretons et normands) et Carole pourrait pousser la vente à emporter.
Actuellement, les clients de Carole portent leur masque naturellement. S’ils viennent pour (petit) déjeuner, goûter ou juste prendre un café, le contrôle de leur passe sanitaire suffit pour profiter d’une galette et crêpe. S’ils souhaitent acheter des produits ou prendre une crêpe ou un café à emporter ils doivent porter le masque.
Un moral suspendu aux prochaines annonces et mesures
La ville d’Haarlem est réputée pour ses nombreux commerces et ses restaurants. L’humeur est à l’attente. La situation avec le confinement partiel est moins tendue que dans d’autres villes des Pays-Bas qui ont été le cadre d’émeutes. Carole note un ras-le-bol certain et une incompréhension… Elle souligne que les restaurateurs et commerçants font souvent tout pour appliquer au mieux toutes les mesures d’hygiène et accepter les règles de contrôle du coronapas… Beaucoup ne pourraient survivre à des mesures plus drastiques, financièrement et moralement.
Un soulagement : tout sauf un confinement
Lesfrancais.press ont également rencontré Wouter Zweers le patron du bar/restaurant MIMI, à l’ouest d’Amsterdam.
Wouter nous explique que les mesures fuitent toujours avant la conférence pour permettre un ajustement. Le souvenir du confinement total est tellement frais et encore douloureux que finalement les mesures actuelles ont été accueillies avec pragmatisme. Mimi pouvait rester ouvert et c’était ce qui comptait !
Tout avant 20H
Mimi étant un bar bistro, son chiffres d’affaires se fait entre 19h et minuit… 20h était déjà une amélioration pour le confinement partiel tout en étant une claque énorme pour tous… Il a fallu s’organiser et revoir les priorités. Tout le secteur a fait preuve d’imagination et parfois le défi semble se poursuivre.
Wouter nous expliqua : « nous avons fait le choix d’un menu plus compact, les personnes qui réservent sont invitées à faire leur choix au préalable pour permettre à notre chef Jonathan, de se préparer au mieux. Nous nous efforçons de proposer une soirée agréable à nos convives qui se termine donc avant 20h ».
Mimi garde le sourire malgré tout
Wouter nous rappelle que Mimi est une petite entreprise bien ancrée localement, avec une équipe solide. “Il nous faut tenir, pour notre équipe et nos clients. La motivation reste présente et nous gardons le sourire malgré tout ».
Wouter note toutefois un moral très touché dans le secteur de l’hôtellerie. « La peur et la colère sont présentes, des divisions existent aussi entre la solution 2G et 3G. En tant que professionnel nous ne ne voulons pas choisir et nous souhaitons poursuivre… Tous ensemble »
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