A Gaza, missiles tactiques et messages stratégiques

A Gaza, missiles tactiques et messages stratégiques

Israël a attaqué les positions du Djihad islamique à Gaza, visant et tuant ses chefs militaires. L’opération « Aube » a provoqué une cinquantaine de morts, Israéliens et Djihadistes se rejetant la responsabilité des victimes civiles dont 15 enfants. Au bout de trois jours, considérant qu’il avait atteint ses objectifs, le gouvernement israélien a accepté une trêve proposée par l’Egypte. La plupart des commentateurs retiennent qu’il s’agit de la répétition des opérations israéliennes dans la bande de Gaza depuis qu’elle l’a évacuée en 2005, surtout depuis que le Hamas en a pris le contrôle en 2007. Cette fois, l’opération « Aube » montre bien des différences. La tactique s’est perfectionnée, le message stratégique est global. 

La première fois qu’Israël mène une opération militaire sans avoir été provoqué

C’est la première fois qu’Israël mène une opération militaire sans avoir été provoqué. En 2021, « Gardiens des murs » répondait aux tirs du Hamas. A chaque fois, Israël veillait à montrer que ses actions étaient des ripostes. Cette fois, il s’agit d’une opération préparée, programmée, volontairement limitée. Comme un message.  

Le gouvernement israélien explique qu’il s’agit d’une opération préventive, car il s’attendait à une attaque du Djihad islamique après l’arrestation de son chef, Bassem Saadi, en Cisjordanie par les services israéliens. Il est possible que l’arrestation du chef du Djihad ait provoqué l’opération, mais elle était prête. Israël avait fait évacuer depuis trois jours les zones frontalières de la bande de Gaza. Elle s’inscrit dans une vision plus large.

Capture d’écran publiée par l’armée israélienne le 7 août d’un tir de roquette du Djihad islamique qui retombe sur le camp de réfugié de Jabaliya à Gaza. La communication de l’armée a été immédiate.

Précision des frappes et renseignement

Le Djihad islamique (comme le Hamas et le Hezbollah) utilise ce qu’Amnesty international appelle dans la guerre en Ukraine l’usage de bâtiments civils pour abriter des positions militaires. Entrepôts, centres de commandement, sites de tirs, lancement de roquettes sont insérés dans le tissu urbain, dans les appartements. Israël mène des frappes avec une précision impressionnante. La maison qui abritait Khaled Mansour, commandant militaire du Djihad pour le sud de Gaza, est détruite, pas les immeubles accolés. L’appartement de Tayssir el Jabiri, commandant pour le nord, est détruit, pas l’immeuble. Rien à voir avec le labourage d’obus des Russes en Ukraine. Israël se présente ainsi comme cherchant à éviter les morts collatéraux, même si cela est impossible. La précision des frappes ne pourrait se faire sans un travail de renseignement permanent. C’est le plus remarquable.

Est-il possible que l’aviation israélienne agisse au Liban, en Iran, de la même manière ? C’est une partie du message envoyé. « Nous pouvons frapper avec précision les chefs et les objectifs militaires. Chaque dirigeant peut être atteint. Sans carnage. »

Grâce au « Dôme de fer » Israël dit ne craindre aucune riposte 

Pour prévenir la riposte, Israël a encore une fois testé son « Dôme de fer », avec une réussite presque totale : 95% des roquettes auraient été interceptées. Plus de 1000 roquettes auraient été tirées, rares sont celles qui ont touché le territoire israélien. En revanche, 200 seraient tombées à Gaza, tuant des civils, dont des enfants. Israël a vite publié des vidéos montrant ces roquettes pour rejeter la culpabilité des morts d’enfants sur le Djihad. Une excuse limitée, puisqu’aucune roquette n’aurait été tirée sans l’attaque.

Le message était de dire au Hezbollah, au Hamas, à l’Iran : le « Dôme de fer » fonctionne. Israël ne craint aucune riposte. La protection de sa propre population offre au gouvernement une grande capacité d’initiative. Même si le système anti missiles pourrait être saturé, et a besoin de munitions qui coûtent cher. Le Hezbollah se targue de posséder 10.000 missiles, le Hamas en avait envoyé 4.000 en 2021.

Aucun soutien du Hamas, sauf pour une trêve. 

Le Hamas s’est abstenu de tout soutien au Djihad islamique. Pourtant, les appels n’ont pas manqué. Il est vrai que le Djihad et le Hamas sont rivaux, et règlent parfois leurs différends par les armes. Les deux sont financés par l’Iran, mais le Hamas a ses propres ressources puisqu’il contrôle la Bande de Gaza, et la gère. 

Le Hamas n’a pas voulu prendre de risques, mais il fallait que la trêve arrive vite pour ne pas passer pour des faux frères. Le gouvernement israélien était convaincu que le Hamas n’interviendrait pas. Après l’opération destructrice de mai 2021 -onze jours de guerre, 260 morts palestiniens, 13 israéliens-, le Hamas avait négocié une sorte de retour à la normale avec les Israéliens. Les 14.000 autorisations de travail accordées pour les Palestiniens qui se rendent en Israël sont cogérées. Il a aussi traité avec les Egyptiens pour ne fournir aucun soutien aux « takfiristes » du Sinaï. Le Hamas, sachant qu’il peut tout perdre, se réserve pour « la grande confrontation », en sachant qu’il vaudrait mieux éviter qu’elle ait lieu. Ainsi, il devient plus important à ménager pour Israël, à activer pour l’Iran.

Les Palestiniens sont devant un choix de plus en plus difficile. Ils avaient choisi Saddam ; ils ont, en partie, choisi l’Iran. Et les Frères musulmans. Ce qui les a coupés d’une bonne partie du monde arabe. En fait, plus personne ne s’intéresse vraiment à eux. La cause palestinienne est de moins en moins une cause. Il n’y a plus de front commun contre Israël. Depuis vingt ans, ils n’ont rien gagné, au contraire. Encore une génération de perdue.

La cause palestinienne survivrait-elle à une attaque israélienne contre l’Iran ?

Hamas, Djihad et Hezbollah sont affidés à l’Iran. La riposte iranienne à une attaque israélienne passera donc par eux. Or une attaque israélienne contre les installations du programme nucléaire iranien se précise. C’est pourquoi les frappes israéliennes contre les chefs du Djihad à Gaza ont suscité… une certaine indifférence dans le monde arabe. Protestations classiques, a minima. Et quand le chef du Hezbollah menace Israël le lendemain de la trêve, c’est à propos des explorations dans le champ gazier disputé au Liban, pas à propos de Gaza. Subliminal ? 

La cause palestinienne survivrait-elle à une attaque israélienne pour empêcher l’Iran d’avoir la bombe atomique, si les Palestiniens prenaient, comme ils le devraient, le parti de l’Iran ? 

Question vitale, non seulement pour les dirigeants qui sont des cibles, mais aussi pour l’avenir de la Palestine. La solution à deux Etats pourrait être définitivement enterrée. Il est significatif de voir que si la trêve a été vite conclue par les responsables du Djihad soumis au feu israélien à Gaza, le chef politique du Djihad islamique, à Téhéran, Ziyad al-Nakhalah, la rejetait. Les intérêts de Téhéran et des Palestiniens ne sont pas les mêmes.

D’autant qu’en Israël aussi les choses changent. La décision a été prise alors que la Knesset est dissoute. Beaucoup voient dans l’opération menée une action positive pour le Premier ministre Yaïr Lapid, en pleine campagne électorale. Elle a été conçue et approuvée par le premier ministre, le ministre de la défense Benny Gantz et le chef d’état-major de l’armée, Aviv Kohavi. Mais aussi approuvée par Netanyahu, le principal rival pour les élections prochaines. Consensus politique total. Les Arabes israéliens, qui représentent 20% de la population et qui ont des représentants au sein de la coalition gouvernementale sortante, n’ont pas envisagé de répondre aux appels du Djihad. Ils offrent une tout autre perspective à leurs cousins de Cisjordanie et de Gaza.

Un monde entre les Palestiniens de Gaza et ceux qui vivent en Israël.  

C’est ce qu’a mis en valeur Yaïr Lapid quand il s’est adressé à la population de Gaza : « Je me tourne vers les habitants de Gaza pour leur dire qu’il y a une autre vie possible. Nous savons nous protéger de ceux qui nous menacent, mais nous savons aussi comment fournir du travail, des moyens de subsistance et une vie digne à quiconque souhaite vivre en paix à nos côtés ».  Il y a un monde entre les Palestiniens soumis au Hamas, au Djihad islamique de Gaza ou au Fatah de Cisjordanie et ceux qui vivent en Israël. Paradoxalement, le vrai danger pour Israël serait la solution à un seul Etat… C’était d’ailleurs pourquoi il s’était retiré de Gaza. 

« Il y a une autre vie possible, celle que dessinent les Accords d’Abraham, le Sommet du Néguev, l’innovation et l’économie, le développement régional et les projets communs. La décision vous appartient. Votre avenir dépend de vous » voilà ce que dit Lapid, qui est aussi un message aux dirigeants du monde arabe. Le choix n’est pas entre Israéliens et Palestiniens, mais entre l’Iran, leurs alliés djihadistes, et le reste du monde arabe, avec leur nouvel allié : Israël.

« Aube » serait le commencement d’opérations plus vastes.   

Le Djihad islamique est considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, l’Union européenne et de nombreux autres pays. Cela n’explique pas totalement le relatif silence en réaction déclenchée pour la première fois à l’initiative d’Israël. Parce que chacun se demande s’il ne s’agit pas d’un début, et observe.

« Aube » serait en effet le commencement d’opérations plus vastes. Le lendemain de la trêve, Ibrahim Al-Nabulsi, chef militaire des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, branche armée du mouvement Fatah de Mahmoud Abbas, a été tué en Cisjordanie. Hasard ? Le lendemain, un haut responsable palestinien du Fatah, Saeed Alaeddine al Asous, était assassiné dans un camp au Liban. Israël est montré du doigt. Mais ce peut être un règlement de comptes interne mis sur son compte, à un moment opportun. 

L’Union Européenne a remis le texte « final » proposé aux Iraniens en même temps que la fin de l’attaque israélienne.

La capacité militaire israélienne, dans laquelle le renseignement joue un rôle fondamental, n’a pas de rival à l’heure actuelle sur ce théâtre d’opération (et peut-être ailleurs). Est-ce suffisant pour détruire les installations iraniennes ? Pour contrer le Hezbollah ? Museler les tentatives de riposte palestiniennes ? Les chefs militaires israéliens en sont persuadés, les dirigeants politiques aussi. Reste le gouvernement américain : Joe Biden n’a convaincu ni les Israéliens ni les Saoudiens de sa capacité à empêcher les Iraniens de fabriquer l’arme nucléaire. Mais le gouvernement américain a les pièces de rechange et les munitions de l’armée israélienne, notamment celles qui sont nécessaire au « Dôme de fer ». 

L’Union Européenne, coordinatrice des négociations-accords de Vienne sur le nucléaire a remis lundi, en même temps que la fin de l’attaque israélienne, le texte « final » proposé aux Iraniens. Ce texte, selon les diplomates de l’UE, ne sera pas renégocié. A prendre ou à laisser. Une proposition avec en toile de fond les attaques israéliennes. En astronomie, une telle coïncidence s’appelle une conjonction. Parlante.

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