Pacte migratoire : les discussions sur le «mécanisme de solidarité» progressent

Pacte migratoire : les discussions sur le «mécanisme de solidarité» progressent

Les ministres de l’UE veulent financer la construction de murs et la mise en place de clôtures et de barbelés dans des pays tiers ainsi qu’un renforcement de la surveillance aux frontières de l’UE pour empêcher les migrants d’atteindre le territoire de l’Union. C’est ce qu’il ressort des négociations à huis clos menées par les législateurs européens lundi et mardi (18-19 décembre) sur le mécanisme de solidarité du nouveau pacte sur la migration et l’asile.

Le nouveau pacte sur la migration et l’asile a été présenté en 2020 par la Commission européenne. Il est composé de plusieurs dossiers législatifs qui établiront un nouveau régime uniformisé de gestion des migrations dans les États membres.

Ce pacte conserve le système actuel en vertu duquel le premier État membre dans lequel est arrivé un demandeur d’asile est responsable du dossier de ce dernier, mais cherche à introduire un mécanisme de solidarité obligatoire.

Selon le mécanisme envisagé, en cas d’afflux migratoire dans un État membre, les autres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile (système de relocalisation) ou bien en apportant un soutien financier ou matériel au pays en difficulté.

Toutefois, le mécanisme de solidarité pourrait être radicalement modifié par un ensemble de mesures proposées visant à rendre les frontières de l’UE plus hermétiques.

En outre, la Commission européenne et les ministres de l’UE souhaitent que les informations relatives aux contributions dans le cadre du mécanisme de solidarité (quel pays contribue et dans quelle mesure) restent confidentielles. Un représentant de la Commission a expliqué que la divulgation de ces informations pourrait constituer un « facteur d’attraction » pour les migrants.

Gestion de crise

Un dossier clé sur la table des négociateurs est le règlement sur les situations de crise, qui prévoit certaines règles devant être mises en place en cas de «crise» migratoire.

Pour l’instant, trois scénarios sont envisagés : une crise déclenchée par un « afflux massif » de personnes arrivant aux frontières de l’UE ; une situation de « force majeure » (une arrivée massive due à des guerres, au climat ou à toute autre urgence humanitaire) ; et une situation d’« instrumentalisation » — lorsqu’un État ou un acteur non étatique facilite le passage des migrants.

La Commission européenne, mais surtout les États membres de l’UE, auront probablement un important pouvoir décisionnel dans la gestion des crises, notamment en ce qui concerne la désignation d’une situation comme étant une situation de «crise».

La durée de la période de crise devrait être limitée à un maximum de 12 mois, et les États membres devraient pouvoir choisir eux-mêmes la manière dont ils aideront les pays en difficulté.

En cas de crise, des procédures d’urgence aux frontières seront appliquées. Plusieurs organisations de la société civile pensent que les procédures d’urgence seront défavorables aux demandeurs d’asile, car les garanties offertes aux personnes à la recherche d’une protection seront revues à la baisse en situation de crise.

« Les discussions en cours sur les propositions de crise et d’instrumentalisation sont extrêmement alarmantes. Les propositions visant à permettre aux États de ne pas respecter les normes en matière d’asile dans un ensemble vague et extensible de situations représenteraient une attaque sévère au droit d’asile en Europe », a expliqué à Euractiv Olivia Sundberg, porte-parole d’Amnesty International pour les questions migratoires au sein de l’UE.

« Cela exposerait les personnes en quête de sécurité à davantage de risques, compromettrait les réponses communes aux frontières et ferait des mesures d’urgence une norme sur l’ensemble du territoire de l’UE », a-t-elle ajouté.

Un autre débat en cours concerne des garanties que les ONG ne seront pas identifiées comme des acteurs non étatiques responsables d’une « instrumentalisation », ce qui les mettrait dans la même catégorie que la Russie ou encore la Biélorussie, qui ont déjà utilisé les migrants pour faire pression sur l’UE.

Le Parlement européen demande que des précisions soient apportées pour protéger les ONG (en particulier celles qui mènent des activités de recherche et de sauvetage en mer) d’une telle classification.

Pacte migratoire
Le nouveau pacte sur la migration et l’asile a été présenté en 2020 par la Commission européenne. Il est composé de plusieurs dossiers législatifs qui établiront un nouveau régime de gestion des migrations entre les États membres. [EPA-EFE/Marcin Obara]

Règlement sur les procédures d’asile

Un autre dossier épineux du pacte est le règlement sur les procédures d’asile, qui règlementerait les procédures aux frontières pour certaines catégories de migrants.

Cette procédure frontalière serait obligatoire pour les demandeurs d’asile dont le taux de reconnaissance de la protection internationale est inférieur à 20 %, pour les demandeurs d’asile qualifiés de « risque pour la sécurité » (y compris les mineurs non accompagnés) et pour les demandeurs d’asile qui cherchent à « induire les autorités en erreur ».

Il n’y aura probablement pas d’assistance juridique et de représentation gratuites au niveau administratif, y compris lors de procédures frontalières. En revanche, il est probable que des conseils juridiques gratuits (financés par l’UE) seront offerts aux demandeurs d’asile.

Un autre point de discussion porte sur la question de savoir si une demande doit être considérée comme « irrecevable » en fonction du pays d’origine et sur la possibilité d’utiliser des centres de rétention dans certains cas.

« Les discussions en cours laissent entrevoir un recours accru et obligatoire aux procédures aux frontières pour certains groupes, ce qui implique moins de garanties juridiques, plutôt qu’une évaluation juste et complète de leurs demandes d’asile », a déclaré Mme Sundberg, d’Amnesty International.

« Les personnes seraient très probablement détenues de facto et ne seraient pas considérées comme étant sur le territoire de l’UE pendant toute la durée de leur détention, qui pourrait durer plusieurs mois. Même les familles avec enfants n’en seraient pas exemptées », a-t-elle expliqué.

Ce « tri » en fonction de la nationalité  est « contraire à la convention de Genève, qui prévoit des examens individuels », a dénoncé l’eurodéputé écologiste Damien Carême, cité par l’AFP.

Un autre point sensible des discussions est la relocalisation provoquée par le regroupement familial. Les ministres de l’UE ne semblent pas vouloir reconnaître les fratries comme éligibles au regroupement familial.

« Les dirigeants européens tentent de restreindre l’accès au regroupement familial, en excluant les familles résidant légalement dans l’UE sans protection internationale », a déclaré à Euractiv Federica Toscano, de l’ONG Save the Children.

« Ce pacte met en danger les familles et enfreint de manière flagrante les droits de l’enfant. Il autorise non seulement la détention systématique des familles arrivant ensemble en Europe, mais il sépare également les enfants de leurs parents et divise les fratries », a ajouté Mme Toscano.

La dimension politique du pacte

Les eurodéputés et les ministres ont entamé la dernière étape du processus législatif, les négociations interinstitutionnelles, connues sous le nom de trilogues lundi (18 décembre).

La présidence espagnole du Conseil de l’UE a pour objectif de faire approuver l’ensemble du paquet avant de passer le flambeau à la Belgique, soit avant la fin de l’année. Toutefois, de nombreux points restent en suspens, ce qui pourrait repousser la conclusion d’un accord au début de l’année 2024.

Si un accord provisoire ne peut être conclu entre les institutions sous la présidence espagnole, les législateurs européens souhaitent y parvenir d’ici février prochain.

Le pacte sur la migration et l’asile est une nouvelle tentative de refonte des règles de l’UE en matière de migration, visant à mettre en place un système européen de gestion des flux migratoires, après l’échec d’une précédente proposition. Ces règles sont de plus en plus réclamées par les États membres au vu de l’augmentation des flux migratoires.

L’UE observe en effet une hausse des arrivées irrégulières, ainsi que des demandes d’asile.

Sur les onze premiers mois de l’année 2023, l’agence Frontex a enregistré plus de 355.000 traversées des frontières extérieures de l’UE, soit une hausse de 17%, rapporte l’AFP.

Les demandes d’asile quant à elles pourraient atteindre plus d’un million d’ici la fin 2023, selon l’Agence de l’UE pour l’asile (EUAA).

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