Un marché unique des télécoms en Europe ?

Un marché unique des télécoms en Europe ?

En présentant sa vision pour un marché unique plus harmonisé dans le secteur des télécommunications, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta s’est aligné sur plusieurs des principaux points soulevés par les grands acteurs des télécommunications de l’UE, selon un projet de rapport consulté par Euractiv.

Les dirigeants européens ont demandé à M. Letta, actuellement député (PD, S&D) en Italie, de rédiger un rapport sur l’état du marché unique de l’UE, qui sera présenté aux dirigeants de l’UE jeudi (18 avril).

Dans son rapport de 147 pages, dont neuf dédiées au secteur des télécommunications, M. Letta met en lumière que dans ce secteur, la « fragmentation des règles et des marchés au niveau national »constitue un obstacle à « l’étape finale vers un marché unique ». Pour remédier au problème, il préconise une « harmonisation maximale » des règles en matière de télécommunications.

Selon le projet de rapport, bien que le cadre réglementaire de l’UE ait « notablement amélioré le bien-être des consommateurs », il n’est pas adapté aux défis futurs.

Les anciens monopoles nationaux, qui sont maintenant les principaux opérateurs de télécommunications de l’UE, soutiennent que le cadre réglementaire de l’Union a engendré une concurrence artificielle. Selon eux, cela a réduit leurs marges à un niveau tel qu’ils ne peuvent plus investir dans de nouvelles infrastructures, au risque de détériorer la qualité future de leurs services.

Ils ont demandé un assouplissement des règles de concurrence, notamment pour permettre les fusions entre entreprises au sein des marchés nationaux.

En revanche, l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE ou BEREC), l’organisation des opérateurs de télécoms compétitifs (ECTA), et le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) s’opposent à une intervention réglementaire, arguant que le marché des télécommunications ne montre pas de défaillance de marché manifeste.

M. Letta a soutenu l’industrie en reprenant l’un de leurs arguments, à savoir que le nombre d’abonnés aux services de télécommunications en Europe est respectivement 20 et 100 fois inférieur à celui de leurs homologues américains et chinois.

M. Letta a écrit que les fusions transfrontalières devraient être encouragées, mais il a également suggéré « un certain niveau de consolidation au sein des marchés nationaux ».

Si l’industrie ne réalise pas les investissements nécessaires pour l’avenir de la connectivité« les consommateurs européens risquent de perdre les avantages qu’ils ont obtenus » jusqu’à présent grâce à la politique de concurrence, a-t-il averti.

Interrogé sur la possibilité que la consolidation aboutisse à un système similaire à celui des États-Unis, où il n’y aurait plus que trois entreprises de télécommunications, M. Letta a répondu lors d’une réunion d’information mercredi (17 avril) qu’il pouvait exister une solution intermédiaire entre cette situation et celle de l’UE, qui compte environ une centaine d’opérateurs.

Si l’industrie ne réalise pas les investissements nécessaires à l’avenir de la connectivité, « les consommateurs européens risquent de perdre les avantages qu’ils ont obtenus » jusqu’à présent grâce à la politique de concurrence, a averti Enrico Letta, ancien Premier ministre italien. ©EPA-EFE/ANGELO CARCONI

Feuille de route pour l’unification

Dans son rapport, M. Letta fait plusieurs suggestions opérationnelles et techniques pour intégrer le marché des télécommunications de l’UE, en se dirigeant vers un organisme de régulation au niveau de l’UE et en unifiant les politiques d’attribution du spectre.

M. Letta a laissé entendre que la Commission serait l’organe approprié pour unifier et mettre en œuvre une réglementation européenne des télécommunications. Il a proposé de s’inspirer des instances de gouvernance créées par les récentes législations européennes en matière de technologie, citant notamment le règlement sur l’intelligence artificielle (AI Act) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), qui ont accordé des pouvoirs étendus à la Commission.

Ce mode de gouvernance européanisé du secteur devrait être mis en place d’ici 2025, a-t-il écrit. D’ici là, il devrait y avoir « un cadre réglementaire unifié » dans l’ensemble de l’Union, « évoluant vers une autorité réglementaire unique » et une approche à deux niveaux avec les autorités nationales.

D’ici 2027 la politique en matière de spectre radioélectrique devrait être unifiée. Actuellement, les États membres sont responsables de l’attribution du spectre radioélectrique, généralement par le biais de ventes aux enchères des bandes de fréquences. Les opérateurs de télécommunications soutiennent que ce modèle de vente aux enchères décourage les investissements futurs dans les infrastructures.

L’ancien Premier ministre a également suggéré qu’un cadre commun d’attribution de la bande passante et de vente aux enchères soit mis en place d’ici 2029 pour la fréquence supérieure de 6 GHz, utilisée pour la prochaine génération de WiFi.

Concurrence loyale

Unifier le marché des télécommunications encouragerait « les investissements nécessaires » pour moderniser les infrastructures de l’Union, selon le rapport. La Commission européenne a calculé un déficit d’investissement de 174 milliards d’euros pour atteindre ses objectifs numériques d’ici à 2030.

M. Letta a également écrit qu’il était nécessaire d’équilibrer la relation entre les opérateurs de télécommunications et les grandes entreprises technologiques.

D’après lui, la réglementation antitrust du règlement sur le marché numérique (Digital Markets Act, DMA) et la réglementation de l’UE sur la modération du règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) n’ont fait que « commencer à s’attaquer efficacement » au déséquilibre réglementaire.

Neutralité du réseau

Selon le rapport, la Commission européenne devrait « fournir aux opérateurs […] une recommandation » d’ici 2024 sur la pratique de découpage virtuel du réseau 5G (network slicing en anglais). Cette pratique consiste à découper virtuellement un réseau afin que différentes applications puissent bénéficier d’une qualité de service différente.

Toutefois, cette pratique est considérée comme une menace sur le principe de neutralité du réseau inscrit dans le règlement sur le marché unique des télécommunications, qui interdit toute discrimination à l’égard des différents types de trafic internet.

M. Letta soutient dans le rapport que le découpage du réseau est important pour la robotique et l’IA, y compris la conduite autonome, et explique qu’une recommandation de la Commission « donnerait aux opérateurs plus de flexibilité et de clarté lors du déploiement des services ».

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