À Madagascar, des Français privés de vote aux élections européennes

À Madagascar, des Français privés de vote aux élections européennes

Nos compatriotes de Madagascar viennent de nous signaler une véritable « non-assistance à électeur en danger ». Inscrits sur les listes consulaires et résidents dans les régions de Fianarantsoa et de Tuléar, ils vont devoir parcourir plus de 11 heures aller-retour par route pour les premiers et quasi 24 heures pour les seconds pour … déposer leur bulletin dans l’urne des élections européennes.

Pas de bureaux de vote pour le scrutin européen ! 

« Nous sommes privés de notre droit de vote », nous ont écrit les Français habitants ces deux provinces malgaches dans un message reçu à la rédaction Lesfrancais.press. 

Consulat
©LFP

Nos ressortissants sur place ne comprennent pas que les autorités françaises aient ainsi décidé de ne pas prévoir de bureaux de votes à proximité raisonnable de leurs domiciles. Lors des derniers scrutins, législatifs et présidentiels, cela avait pourtant été possible. Rappelons que Fianarantsoa est tout de même la cinquième plus grande ville de Madagascar, et que Tuléar est la plus importante agglomération du Sud de l’île. 

Des solutions alternatives pour voter non étudiées 

Comment expliquer cette situation ? Questionnée par les électeurs Français de Fianarantsoa et de Tuléar pour comprendre cette absence de centre de votes dans leur partie géographique, l’Ambassade de France à Madagascar argumenterait de la façon suivante : « Faute de participants aux dernières élections » ! C’est donc jusqu’à Antananarivo que devront se rendre les électeurs de ces contrées. Or, personne n’imagine, même parmi les plus motivés, que ceux-ci vont se rendre aux urnes avec autant de trajet à effectuer pour rejoindre la capitale malgache. 

Des solutions alternatives ont été proposées. Apparemment, c’est par une fin de non-recevoir que celles-ci auraient été accueillies par l’administration consulaire. 

« L’administration consulaire ne devrait pas priver ainsi les électeurs d’un accès direct au bureau de vote ».

Jean-Hervé Fraslin, Président du Conseil consulaire de l’île et Conseiller AFE pour l’Afrique australe centrale et orientale.

Un siège de député européen, c’est parfois à 100 voix près

À Fianarantsoa et à Tuléar, des consulats généraux étaient auparavant présents dans ces deux chefs-lieux de province de Madagascar. Ce n’est plus le cas, sans doute sous la contrainte de restrictions budgétaires. Pourtant, ne dit-on pas que la démocratie n’a pas de prix ? Apparemment, son coût ne peut plus être supporté partout dans le monde par la France. Or, un siège de député européen se joue parfois à la centaine de voix près. 

Rencontre avec l’élu consulaire, Jean-Hervé Fraslin

Jean-Hervé Fraslin, élu à Madagascar

Jean-Hervé Fraslin, Conseiller des Français de Madagascar, membre du MoDem, président du Conseil consulaire, a répondu à nos questions. Membre de la majorité présidentielle, il est aussi Président de la Commission de l’Enseignement, des affaires culturelles, de la francophonie et de l’audiovisuel extérieur à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE)

Lesfrancais.press : « Jean-Hervé Fraslin, des Francais de Fianarantsoa et Tuléar vont devoir faire plus de 12 h de voiture pour l’un et 24h pour l’autre pour aller voter aux européennes, n’est-ce pas aberrant ? »

Jean-Hervé Fraslin : « C’est avec tristesse que j’ai appris la réduction du nombre de bureaux de vote à cinq seulement, deux à la capitale et trois en province, au lieu d’une douzaine pour les élections antérieures. J’ai personnellement émis un avis défavorable à cette mesure et ai proposé des solutions alternatives. En effet, je considère que l’administration consulaire ne devrait pas priver ainsi les électeurs d’un accès direct au bureau de vote pour leur permettre d’exercer le plus important des droits de tout citoyen : voter !»

Lesfrancais.press : « Comment cette situation est-elle justifiée par les autorités françaises ? » 

Jean-Hervé Fraslin : « L’administration consulaire justifie cette mesure par le manque d’effectif, par le coût du déplacement d’un agent qui doit aller de la capitale à une ville de province et par le temps de travail que cela implique, avec des récupérations, allongeant les délais pour traiter les opérations consulaires courantes. Je ne valide pas cette analyse car les effectifs sont similaires à ce qu’ils étaient lors des élections de 2019, 2021 ou 2022. 

Pour ces élections, des agents des différents services de l’Ambassade avaient été mobilisés, et pas seulement du Consulat. En 2024, l’ouverture de cinq ou six bureaux de vote supplémentaires aurait aussi bien pu se faire. Mais surtout l’impact serait limité si on acceptait de mobiliser les consuls honoraires et les fonctionnaires de l’Etat qui sont disponibles dans la plupart des villes concernées.

« Des arguments dangereux pour la démocratie française et la participation des Français à l’étranger »

Jean-Hervé Fraslin, Président du Conseil consulaire de l’île et Conseiller AFE pour l’Afrique australe centrale et orientale.

Les autres arguments sont celui de la faible participation aux élections antérieures et celui de la comparaison avec d’autres pays européens qui ne permettent pas à leurs citoyens de voter hors de leur territoire. Ce sont des arguments dangereux pour la démocratie française et la participation des Français à l’étranger : ils donnent à penser que l’administration voudrait revenir sur l’exercice du droit de vote hors de France, en testant cette restriction dans certains pays.

socialistes européens

Je suis d’autant plus déçu que l’équipe actuelle du Consulat et de l’Ambassade fournit un travail très apprécié dans tous les autres domaines de son activité pour rétablir la qualité des services aux citoyens qui s’était fortement dégradée de 2018 à 2022. »

Lesfrancais.press : « Combien d’électeurs Français sont concernés ? »

Jean-Hervé Fraslin : « Au total, ce sont plus de 2000 électeurs qui n’ont plus accès à un bureau de vote en 2024 alors que c’était possible en 2019. Environ 600 électeurs étaient rattachés au bureau de vote de Tuléar et 400 à celui de Fianarantsoa, les deux villes où résident des électeurs qui vous ont écrit. Mais la mesure concerne aussi ceux d’autres villes avec plus de 400 électeurs comme Antsirabe ou Nosy Be, sans parler d’autres localités enclavées comme Fort-Dauphin, Sambava ou Sainte-Marie avec 120 à 200 électeurs inscrits.

« Une procuration en ligne est une blague »

Jean-Hervé Fraslin, Président du Conseil consulaire de l’île et Conseiller AFE pour l’Afrique australe centrale et orientale.

Ces 2000 électeurs ne se voient proposer qu’une solution : voter par procuration. Difficile pour eux d’identifier un mandataire de confiance à la capitale. Certains consuls honoraires ne sont pas disponibles pour recueillir les procurations. Et la proposition d’établir une procuration en ligne est une blague car elle nécessite une comparution en personne devant un agent du Consulat général de France à la capitale ! Ni la comparution devant un consul honoraire ni l’identification à distance par visio ne sont acceptées.. »

Lesfrancais.press : « Pensez-vous que le ministère des Affaires étrangères s’est désintéressé de cette situation ? » 

Jean-Hervé Fraslin : « Si l’exercice du droit de vote par le plus grand nombre possible de Français établis à Madagascar pour ces élections européennes était une préoccupation de ce ministère, une telle réduction du nombre de bureaux de vote n’aurait pas été validée. »

Lesfrancais.press : « Quelles alternatives auraient pu être envisagées ? »

Jean-Hervé Fraslin : « Depuis plusieurs années, je demande quel est le fondement législatif sur lequel s’appuie l’administration consulaire pour exiger qu’un de ses agents soit présent dans chaque bureau de vote pour en assurer le secrétariat. Comme si en France, il fallait dépêcher un agent de la préfecture dans chaque bureau de vote dans chaque commune rurale. Personne ne répond à cette question. 

Pourquoi un consul honoraire et un fonctionnaire d’Etat résidant sur place ne pourraient-ils pas, sur la base du volontariat, assurer ces fonctions. Je pense par exemple à des chefs d’établissement scolaires expatriés, des experts techniques ou des militaires : nous en avons dans sept villes de province à Madagascar. Ils pourraient être formés en quelques heures à l’occasion de leurs déplacements à la capitale ou par visioconférence. 

Le transport sécurisé du matériel de vote ne devrait pas poser plus de difficulté que celui des actes d’état civil ou des passeports qui voyagent entre la capitale et les 12 agences consulaires ouvertes en province… Voilà ma proposition. Elle est simple, économique et aussi écologique car elle réduit les déplacements des personnes. 

« Les Français sont attachés à l’exercice du droit de vote, personnel et confidentiel, dans l’isoloir, l’enveloppe et l’urne ».

Jean-Hervé Fraslin, Président du Conseil consulaire de l’île et Conseiller AFE pour l’Afrique australe centrale et orientale.

Elle consiste à considérer les électeurs établis en province comme des citoyens aussi importants et responsables que ceux établis à la capitale, capables d’organiser localement un scrutin dans le respect des règles républicaines. »

Lesfrancais.press : « Le vote par internet pour toutes les élections est-il une bonne solution à mettre en place ? »

Jean-Hervé Fraslin : « Le vote par internet n’est qu’une des modalités de vote parmi d’autres, pas nécessairement la plus sécurisée, ni la plus attractive. À Madagascar, nous en avions d’ailleurs été privés pour les élections consulaires de 2021, en raison d’un report. 

Les Français sont attachés à l’exercice du droit de vote, personnel et confidentiel, dans l’isoloir, l’enveloppe et l’urne. C’est un des rituels constitutifs de l’attachement à notre République. Pour le démocrate que je suis, tout ce qui tend à priver les citoyens de l’exercice de ce droit de vote est un mauvais signal. »

Auteur/Autrice

  • Jérémy Michel

    Jérémy Michel a travaillé de nombreuses années pour des élus et a coordonné les affaires publiques européennes d'une grande entreprise française. Installé à Bruxelles depuis 2000, il est actuellement coach et consultant.

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