Depuis quelques jours, le royaume, d’habitude si paisible, présente un visage qu’on ne lui connaissait pas, marqué par des émeutes, des violences et des pillages. Ces événements inédits se sont produits dans 12 villes du pays. Elles ont nécessité l’intervention de la police et de nombreuses arrestations. Mercredi matin, le pays s’est réveillé endolori après une 4e nuit, certes plus calme car mieux anticipée, mais qui a nécessité l’intervention des unités mobiles spéciales à Amsterdam et Rotterdam…
L’annonce du couvre-feu, le 20 janvier, par le premier ministre Mark Rutte, fut un réel coup de massue pour tout le pays. Les mots choisis lors de la conférence de presse montraient d’ailleurs toute l’impuissance politique face à l’épidémie. Le Premier ministre expliqua que « personne ne veut du couvre-feu, je n’en veux pas, Hugo de Jonge (Ministre de la Santé publique) non plus, personne n’en veut mais il est nécessaire. »
Du confinement intelligent de mars 2020 au couvre-feu de janvier 2021
Le pays, fidèle à ses traditions de libertés et de responsabilisation de ses habitants, a connu une stratégie atypique de lutte contre la pandémie. Après avoir envisagé un temps l’immunité collective (rapidement remisée au placard), les Pays-Bas mirent en effet en place un confinement « intelligent ». Ce confinement sans couvre-feu, sans attestation était le symbole de l’auto-discipline sans infantilisation et de la responsabilité collective, avec des résultats sanitaires ni pires ni meilleures qu’ailleurs.
Les mesures strictes annoncées juste avant l’hiver furent le début d’un douloureux contre-coup.
Couvre-feu : étincelles d’un ras-le bol et prétexte pour la violence des émeutiers
Si le pays refusa longtemps toute idée de couvre-feu, les variants (notamment britannique et sud-africain) le rendirent inévitable. Cette décision semble pourtant avoir mis le feu aux poudres. Nous avons contacté Xavier Falières, médecin anesthésiste français aux Pays-Bas et administrateur du groupe Facebook Information COVID-19 Français et francophiles des Pays-Bas. Ce groupe publie chaque semaine un bulletin d’informations très apprécié et renseigne inlassablement en français sur la pandémie. Xavier est choqué de voir cette violence, ponctuellement dirigée vers des structures médicales (un hôpital et un centre de tests). Il soutient le couvre-feu et souligne son efficacité quoiqu’il aurait été préférable, selon lui de le faire débuter à 20h. L’anesthésiste comprend aussi les manifestants qui expriment un ras-le bol face à une situation qui dure depuis longtemps… Il souligne toutefois qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre les manifestants et les émeutiers… Il s’étonne et regrette de voir une telle situation aux Pays-Bas.
Le dimanche de tous les dangers
Dimanche 24 janvier, des manifestants opposés aux mesures anticovid en général et au couvre-feu en particulier se sont donné rendez-vous au Museumplein d’Amsterdam comme dans d’autres villes du pays. Dès le matin, le Museumplein avait été déclaré zone d’intervention de la police habilitée à fouiller les manifestants. Dès midi, un dispositif impressionnant pour les Pays-Bas était mis en place. La police montée avait établi ses quartiers sur Apollolaan, une avenue cossue du quartier sud de la ville.
Tiphaine Hubert, libraire au Temps retrouvé et autrice, habite à quelques pas du Museumplein. Dimanche dernier, le bruit l’a incitée à regarder les informations pour savoir ce qui se passait.
« De l’appartement, nous avons vu la charge de la cavalerie. Toutefois, comme j’ai travaillé pendant des années à Nation, j’ai dit à mon mari en voyant les manifestants et le dispositif que cela ressemblait à un samedi à Paris.«
Tiphaine Hubert, libraire et autrice
Paysage social unique aux Pays-Bas
Les Pays-Bas sont une terre de compromis. Les manifestations, plutôt rares se déroulent dans le calme. Ici point de révolution, plutôt des évolutions. Volontiers directs dans les contacts quotidiens, les Néerlandais ne cherchent pas la confrontation directe socialement.
C’est pourquoi la violence de ces 4 dernières nuits a choqué nombre de Néerlandais.
Xandra Storm, professeure de français dans l’est des Pays-Bas et réputée ambassadrice de la chanson française avec son fameux orgue de barbarie déclara ainsi sur son mur Facebook :
J’ai honte. Je me rassure en croyant que 98% des Néerlandais ne sont pas des casseurs.
Xandra Storm, professeure et musicienne
La police : une réputation de cordialité et d’efficacité à souligner
Dans ce contexte explosif, il convient d’expliquer qu’aux Pays-Bas, la police a bonne réputation et ne polarise pas comme dans d’autres pays (la France notamment). Souvent sympathiques et ouverts, les agents sont, en général, abordables et appréciés. Les réactions de soutien ont ainsi été nombreuses ces derniers jours. Des supporteurs de football, notamment à Maastricht, sont descendus dans la rue pour proposer leur soutien à la police contre les émeutiers. Sur les réseaux sociaux, on voit défiler les gestes de soutien, parfois des fleurs sont données aux agents par des enfants et familles.
Ces émeutes et pillages : simple violence criminelle ou symptômes d’une colère sociale plus profonde ?
Depuis dimanche, les émeutes et pillages sont fermement condamnés par la classe politique. Pour Mark Rutte il s’agit de « violence criminelle, œuvre de bandes de jeunes qui pillent des magasins et veulent se confronter aux forces de l’ordre ».
Mardi, le maire de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb s’est adressé directement aux émeutiers qui ont pillé la ville portuaire deux soirs de suite. « Nous sommes presque 12h après l’explosion de violence qui a touché Rotterdam Zuid, alors vous êtes réveillés ? Vous êtes fiers de vous ? Fiers de ce que vous avez détruit, fiers de vous réveiller à côté de toutes ces marchandises volées ? ». Il s’adressa ensuite à leurs parents « Votre enfant vous a-t-il manqué hier ? L’avez-vous appelé pour lui dire qu’il était 21h, l’heure de rentrer à la maison ou alors avez-vous pensé, en voyant le sac rempli d’affaires volées, c’est normal que cela se passe comme ça ». Il s’adressa aussi aux commerçants « nous ne vous laisserons pas tomber, conjointement avec les assureurs et tous les autres, nous allons vous aider ».
La situation est complexe et l’agitation sociale, au-delà du couvre-feu est tangible, notamment chez les jeunes, au sein de certaines minorités et des milieux politiques de droite dure…
La violence comme symptôme
Jacques Perconte, cinéaste français qui vit entre Rotterdam et la France, nous fait ainsi savoir :
« Est-ce que les tensions qui s’expriment dans les émeutes de ces derniers jours ne sont pas aussi les signes de la colère d’une partie de la population qui se sent de plus en plus exclue du futur que se dessinent les grandes villes ? Je suis impressionné par le développement du centre-ville à Rotterdam. J’entends beaucoup parler de la gentrification à Amsterdam. Le récent scandale des allocations, la vie sociale étouffée, la relation à la pandémie (peur ou refus) et tout ce qu’elle conditionne, la crise économique, tout cela rend la situation difficile pour beaucoup de monde. Elle est même explosive. Cette crise sanitaire creuse de plus en plus les inégalités aux Pays-Bas comme ailleurs. La violence ne peut pas être une solution. Elle ne conduit qu’à la violence. Mais comme je l’ai lu/entendu sur France Culture, on ne peut pas simplement considérer ces heurts comme des actes isolés et spontanés. « La violence n’est pas un phénomène qui surgit de nulle part, elle est un symptôme » ».
Les villes en alerte maximale et des parents appelés à l’aide
Les villes sont sur le qui-vive. La police a renforcé sa présence. Des sources proches des autorités d’Amsterdam nous informent que la situation est évaluée au plus près du terrain, notamment dans les quartiers dit plus « sensibles ». De nombreux jeunes sont dehors la journée et coachs de rue et animateurs entament de nombreuses discussions et les guident vers des activités, notamment sportives.
Une mosquée a même diffusé un appel au calme a mobilisé des bénévoles pour discuter avec les jeunes de leur quartier.
Dans certains quartiers de la capitale, les mères de famille sont approchées et on leur explique le couvre-feu.
Des maires, notamment ceux de Rotterdam et Bois-le-Duc, invitent clairement les parents à jouer leur rôle en gardant leurs enfants chez eux.
Les magasins se barricadent et protègent leur vitrine.
Les réseaux sociaux sont particulièrement observés. Les jeunes y diffusent des appels à se retrouver. Des parents inquiets échangent avec leurs enfants des messages d’avertissement sur les zones à éviter dans les villes.
Eindhoven panse ses plaies
Plusieurs villes ont annoncé des mesures d’urgence. Maastricht a également annoncé des mesures d’urgence en vigueur jusqu’au 7 février. Eindhoven est également « zone à risque » et des fouilles aléatoires peuvent y être conduites.
Vincent Merk, professeur à la TU Eindhoven et formateur spécialiste des différences culturelles nous a expliqué :
« La ville d’Eindhoven a été secouée par des émeutes brèves et violentes. La cinquième ville du pays qui cultive volontiers son image de technocity avec son écosystème Brainport, n’en revient pas. Les importants dégâts provoqués suite aux violences des casseurs ont entre-temps été déblayés avec l’aide de certains habitants et le calme semble revenu. Mais la ville reste zone à risque avec règlementation spéciale pour la durée du couvre-feu jusqu’au 9 février prochain.«
Vincent Merk, professeur et formateur
Au niveau national, le ministre de la Justice a annoncé que les responsables seront punis de peines de prison.
Rutte : opération communication de crise
Après ses déclarations dénonçant la violence criminelle, Mark Rutte s’est rendu à La Haye dans le « Schilderswijk » où les émeutes ont eu lieu. Il a échangé avec les personnels d’une institution pour handicapés mentaux dont les vitres ont été brisées dimanche soir. Le Premier ministre a échangé avec les personnels de police, les commerçants de de Rotterdam et de Bois-le-Duc. Pour lui, « il s’agit de comportements strictement criminels. » Il a conclu « nous allons y mettre fin ».
Mark Rutte joue gros. Mister Téflon, qui semblait résister à presque tout, a dû présenter la démission de son gouvernement suite à un scandale lié aux prestations familiales. Sa gestion de la crise présente des fissures qui pourraient s’élargir encore plus avec la lenteur actuelle de la vaccination. La fermeté de son discours sécuritaire suffira-t-elle à convaincre les électeurs ? Verdict le 17 mars.
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