Lecture : Le Grand art, de Lea Simone Allegria

Lecture : Le Grand art, de Lea Simone Allegria

Il faut lire Le grand art.

Parce que c’est un vrai roman, à l’antipode de ces histoires qui prennent le sens unique du récit. (« Un roman, disait Stendhal, est un miroir qu’on promène le long d’un chemin »). Le grand art signifiant la comédie humaine puisque l’art ne tolère pas l’épithète. (De l’art il en est bien sûr question, dans ses dimensions céleste et humaine). Il faut lire ce roman parce qu’il est écrit avec talent (d’emblée le rythme, et ce sens cinématographique qui tient en haleine), ce qui fait que la lecture n’est que plaisir.

Le Grand Art
Le Grand Art

Le grand art est un roman qui comme tout roman montre l’humain, donc l’impureté, fut-ce à l’approche de la beauté absolue : l’art, qui est élévation de l’esprit. C’est déjà un vrai roman parce qu’on ne saurait lui reconnaître un genre : il y a du polar dans la façon qu’a l’auteure de malmener les événements (pour suivre sa veine – Léa Simone Allegria multiplie les références à l’histoire de l’art – je préciserai, grâce à Charles Dantzig, que c’est Balzac, dans Modeste Mignon, qui emploie pour la première fois l’expression « roman noir » : « Devenue l’héroïne d’un roman noir, elle aimait, soit le bourreau, soit le scélérat qui finissait sur l’échafaud, ou, comme sa sœur, un jeune élégant sans le sou qui n’avait de démêlés qu’avec la Sixième Chambre. ») ; des accents du roman historique tant le rapport à l’histoire de l’art lui est consubstantiel (on note, page 87, cette information clé : « jusqu’au XIXe on n’attachait aucune importance à l’authenticité » et cette sentence de l’auteure qui n’est pas moins constitutive de la narration : « Aujourd’hui c’est tout ce qui compte » ; le souffle unique du roman d’amour (ni triomphe ni échec : la simple et pauvre autodestruction qui signale la condition humaine). Ah ! J’allais oublier ! L’Italie. Enfin, Florence. La capitale de la première Renaissance joue un rôle primordial dans ce polar-roman historique-roman d’amour qui s’insinue dans les salons parisiens où se fait se défait la cote de l’art au gré de ventes aussi célèbres par le montant atteint des enchères que par le cérémonial et les codes qui les définissent. On découvre des expressions savoureuses comme « monter une chapelle dans le jardin » ou « enchère au lustre » (il y en a d’autres) qui signifient qu’on a « truffé » – comprenez « truqué » – une vente. Elles expriment avec ce charme délicieusement désuet les (mauvais) usages du marché de l’art, ces ficelles finalement un peu grosses pour les familiers des salles de vente (ce qui ne veut pas dire que la morale est sauve). On comprend surtout que « l’art est devenu une bourse des valeurs où l’on joue sur tous les tableaux » pour reprendre le mot d’Albert Willemetz. Sur le chapitre, Marc Fumaroli n’est pas le moins sévère : « Le succès des foires d’art contemporain est moins le fait du travail des plasticiens, surexposé, chacun dans le stand provisoire de leur galerie, que celui du marché très juteux qui attire à lui amateurs et collectionneurs milliardaires qui se retrouvent une fois l’an à Miami, à Bâle, à Hongkong, voire à Bruxelles et à Paris pour « socialiser » entre eux et miser au passage sur telle ou telle « tendance » nouvelle, telle ou telle performance et installation qui semble promettre un haut rendement financier, la raison d’être du genre. » La question que pose le roman est cruciale : l’art, gouverné – peut-être sous le totalitarisme – par le marché, est-il toujours intimement révélateur du Beau, du plus classique au plus inédit ? Cette autre question (ramenée à une forme affirmative) que pose Fumaroli n’est pas sans lien avec l’essence du roman de Léa Simone Allegria : « Il n’y aura jamais un mouvement équivalent à la Renaissance ou au romantisme pour s’emparer de l’univers et le régénérer. L’individualisme actuel l’empêche. »

Ce roman est aussi une comédie

Le roman est une fiction – pas une sociologie – née d’une obsession (en l’occurrence Léa Simone Allegria est une ancienne élève de l’École du Louvre, et a créé une galerie d’art en ligne, The Curators), et donc une fiction. Une fiction (sauf s’il s’agit d’un roman de science-fiction) ne doit pas être abracadabrantesque, l’auteur établit que « 10% des œuvres d’art dans les musées sont des faux » et « qu’on peut donc inventer tout un tas d’histoires autour », ce qui l’exonère d’un procès en invraisemblance. Le roman est aussi une comédie. C’est elle qui nous importe parce que c’est elle qui nous emporte. Paul Vivienne, Jean-Louis et Louis Becquerel, Marianne, Gabrielle, Zbik en sont les personnages principaux mais le lecteur a aussi son rôle à jouer : en confrontant son imagination à celle de l’auteure, le metteur en scène. C’est à cette double condition qu’on distingue le vrai roman du récit enjoué. Il y a une jouissance du roman, elle n’est ni racontable ni à raconter. Chacun doit aller à la rencontre de ces personnages de fiction qui peuplent Le grand art, considérer ce qui les animent, en devenir en quelque sorte l’excroissance. Sans quoi l’histoire ne servirait à rien. Le grand art jette un pont sur les siècles, nous invite à partager une réflexion sur l’art, éprouve nos sentiments (le pouvoir, les honneurs, la réussite, la cupidité, les amours – les vraies comme les convenues -, les orientations, les fins de cycle sinon de vie…). Et puis ça et là une allusion à la Corse (c’est que l’auteure, comme son pseudonyme ne l’indique pas, est corse). Un peu comme les citations qu’insèrent les musiciens de jazz dans le paroxysme d’une jam session.

Lea Simone Allegria
Lea Simone Allegria

Le pitch du Livre « Le Grand art »

Paul Vivienne a tout vendu. Le commissaire-priseur a dispersé des palais entiers, des bols en argent, des vieux machins que l’on fait briller depuis des siècles. Le testament du Roi-Soleil et des machines à coudre. Des momies d’Égypte avant que l’on interdise le commerce des macchabées.

Aujourd’hui, la partie lui échappe. Il ne maîtrise ni les réseaux sociaux, ni les enchères en ligne. Terminé le théâtre ; plus d’histoires à raconter. Paul Vivienne rejoint ses ombres. Jusqu’à ce qu’il découvre un mystérieux retable au fond d’une chapelle toscane. Vivienne, le désabusé, a une épiphanie : il tient son dernier coup. Son ultime chef-d’œuvre. Un tableau d’église, vraiment ? A l’heure où l’on s’arrache les Koons et les Basquiat ? Pour s’offrir une dernière gloire, ou peut-être pour séduire la redoutable experte à son côté, il lui faut à tout prix identifier ce maître inconnu de la Renaissance. Alors que l’obsession dévore Vivienne, le tableau prend son indépendance.

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