Chère Françoise

Chère Françoise

Rédacteur en chef du mensuel Corsica, Constant Sbraggia anime aussi une émission politique hebdomadaire sur Corsica Radio. Parallèlement à sa carrière de journaliste, celui-ci est également un écrivain reconnu. Son œuvre littéraire a d’ailleurs été honorée, en juillet 2006, par sa distinction au titre de Chevalier des Arts et des Lettres. Aujourd’hui, nous publions son édito de la mi-janvier. Ensemble, découvrons ce que pensent les Corses, ces Français insulaires, en ce début d’année 2024.

Serait-ce un signe ? L’Obs nous rapporte cette confidence de Françoise Sagan publiée par l’hebdomadaire en 1965 : « J’aime bien les gens égarés, ceux qui ne comprennent pas où ils en sont ». Chère Françoise, que n’êtes-vous parmi nous aujourd’hui ! vous eussiez gagné la plénitude et peut-être renoncé à la vitesse, aux jeux, au whisky, à tous les paradis artificiels qui vous permirent de défier l’ordinaire à défaut d’y échapper. 

« De nos jours, nous sommes pour la plupart égarés »

Car de nos jours, chère Françoise, sachez-le, nous sommes pour la plupart égarés, et à dire vrai nous ne comprenons pas où nous en sommes. Nous voyons bien que ceux de nos contemporains qui évoluent sous la dictature – je pense à la Corée du Nord, à l’Iran, à la Russie – ou connaissent un régime autoritaire – je pense à l’Arabie saoudite, au Qatar, à la Chine – ne souffrent pas de nos maux. Mais…nous ne les envions pas, enclins que nous sommes à considérer le confort que nous procure notre bonne vieille démocratie. Sommes-nous tous conscients que les dictatures s’agitent à mesure que les démocraties faiblissent, soit qu’elles renoncent à leurs devoirs soit qu’elles fanfaronnent de démagogie ? 

Chère Françoise
©Constant Sbraggia

« Aujourd’hui, c’est notre société dans son entier qui est fatiguée tant il n’est question que d’argent »

Chère Françoise, dans cette interview que vous avez accordée au Nouvel Observateur en 1965 vous avez mis le doigt sur la plaie. Alors qu’on vous interroge sur la notoriété que vous procure la presse vous répondez : « Dans tous les articles qui ont paru, il n’est question que d’argent. Je trouve ça fatigant ». Aujourd’hui c’est notre société dans son entier qui est fatiguée tant il n’est question que d’argent, de consommation. N’est-ce pas le propre d’une société matérialiste que d’affirmer le néant ? L’absence de spiritualité, c’est-à-dire de considérations immatérielles, est ce néant. Dans ses fameux Carnets, Camus qui est insolemment à la mode, lance cette fusée qui ne semble pas atteindre la lune mais nous amène à des hauteurs salutaires : « Quand on a vu une seule fois le resplendissement du bonheur sur le visage d’un être qu’on aime, on sait qu’il ne peut pas y avoir d’autre vocation pour un homme que de susciter cette lumière sur les visages qui l’entourent »

« J’aurais volontiers picolé avec vous un soir de réveillon »

Je reviens vers vous, chère Françoise – avec qui, je l’avoue, j’aurais volontiers picolé un soir de réveillon -, pour balayer cette modernité de pacotille, épousseter nos manies consuméristes. Vous écrivez, dans Un certain sourire, « J’aurais voulu demander aux gens : Êtes-vous amoureux ? Que lisez-vous ? mais je ne m’inquiétais pas de leur profession souvent primordiale à leurs yeux ». (Ce qui dans le fond n’est pas sans rappeler le memento mori que s’échangent les moines trappistes lorsqu’ils se croisent). Vous me permettrez, très chère Françoise, de vous emprunter ces deux questions-injonctions pour accompagner mes vœux de bonheur à l’occasion de cette nouvelle année. Êtes-vous amoureux ? Que lisez-vous ? 

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