Gouverner pour quoi faire ?

Gouverner pour quoi faire ?

Il y a une chance dans notre malheur : cet argent facile que nous inventons comme un ticket de loto gagnant chaque semaine, 200 milliards de dettes programmées, grâce au parapluie de l’Euro. Qu’en faire ? Les dépenser comme avant, pour boucher les fuites ? Choix de gouvernement, choix d’avenirs.

Le Président Macron a choisi : changer de Premier ministre. La Vème République n’est plus vraiment un régime parlementaire, si elle l’a jamais été. Le Premier ministre, parmi les collaborateurs du Chef de l’Etat, n’est que le plus en vue, pas forcément le plus influent. C’est dire que critiquer celui-ci avant qu’il ait administré quoi que ce soit est de la vaine polémique. Mais le choix est bien celui-ci : administrer ou gouverner?

Cette coronacrise a révélé un déclassement général de l’état de la France, et de son Etat en particulier.

Ce n’est pas faute d’administrations, elle n’en a que trop. A l’hôpital 150.000 emplois administratifs pour 150.000 médecins. Heureusement 800.000 aides soignants viennent épauler les médecins. Et les administrateurs, puisque les infirmières font autant de papiers que de pansements. Blocages dans les urgences.

La Justice semble abandonnée à elle-même, si l’on écoute avec un peu d’oreille ce qu’avouent juges et procureurs à la Commission de l’Assemblée nationale. Ici lenteur suspecte (Tapie), là hâte suspecte (Fillon), suspicion partout : des magistrats mettent sur écoute des avocats pour coincer d’autres magistrats. Crise de confiance dans la justice.

8.000 délinquants mis en liberté pour cause de menace covidienne, mais 7.800 contrevenants, qui menaçaient l’ordre public à déambuler sans attestation, mis en garde à vue. Ainsi le covid provoqua-t-il un krach des libertés publiques, plus grave que le krach boursier, sans que le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat ou qu’un juge des libertés ne s’en émeuve. Alertes sur le droit.

La police, toujours en pointe, accusée de racisme, manifeste devant le Bataclan pour recueillir, comme pompiers et infirmiers, quelque considération à défaut d’applaudissements. On la comprend.  Mais elle aurait dû le faire dans le respect des lois, sans armes ni uniforme, elle aurait ainsi montré qu’elle avait de la tenue, ce qui, avouons-le, n’est pas toujours le cas. Lire certaines de ses feuilles syndicales devrait inquiéter un gouvernement qui n’a plus de prise sur elle. Elle n’était pas là pendant trois jours lors des affrontements de bandes tchétchènes et maghrébines de Dijon. Carences dans la police.

Bref, la crise fait apparaitre, dans les fonctions traditionnelles de l’Etat, des « dysfonctionnements », dit-on en termes administratifs.

Santé, justice, police, éducation, faut-il ajouter diplomatie ? Hélas. Le bilan de l’action extérieur de l’Etat, avec la paupérisation du réseau diplomatique et les incertitudes du réseau d’enseignement à l’étranger ne sont que les symptômes d’une politique extérieure sans prospective. Les impasses diplomatiques à l’OTAN, au Moyen-Orient, en Méditerranée et au Sahel en témoignent.

Il semble que la bureaucratie a dévoré l’Etat. L’essentiel tient par l’habitude, parfois par les mauvaises. L’Etat n’est plus vraiment dirigé par des ministres, il n’est même pas laissé aux mains des administrateurs, seulement aux pointillés des règlements.

Serait-ce parce qu’une politique de rigueur excessive aurait paupérisé l’administration ? Pas vraiment. Les dépenses publiques sont les plus élevées des pays du monde, les prélèvements aussi. Malgré ces records, la dette explose, le chômage aussi. Des entreprises qui étouffent n’embauchent pas.

Nous avons un problème d’état de l’Etat. Et les 200 milliards d’emprunts nouveaux peuvent nous aider. Pas seulement à augmenter les infirmières. Pas seulement à sauver Renault, Airbus, Air France, la Sncf. Tout cela, c’est  l’urgence, l’ancien monde. Il faut bien le sauver, en attendant, mais cela ne suffit pas.

200 milliards d’euros à rembourser

Les 200 milliards – qu’il faudra bien, quoiqu’on dise, payer– doivent être investis dans ce qui permettra justement de rembourser plus tard. Dans l’Etat ? Pourquoi pas ? L’Etat coûte. Il est un atout quand il est performant, un boulet quand il entrave. Investir dans l’allègement bureaucratique.

Par exemple, investir dans la justice, ce n’est pas perdre de l’argent. C’est restaurer de la confiance.  Investir dans les universités non plus. Plusieurs universités françaises sont entrées dans le fameux classement de Shanghai, qui nous a tant rabaissés. En mathématiques Saclay se classe première au monde. Les succès sont à portée de main.

Investir dans le « réseau France » n’est pas non plus perdre de l’argent. Comment vendre et renforcer le commerce extérieur sans des milliers de points d’appui hors de France?

L’application stop covid, téléchargée par 3% de la population, a permis de dénombrer 14 cas pour un coût de 200.000 euros par mois. Un investissement qui vient trop tard, cher, franco-français, non  compatible avec les autres. L’exemple de ce qu’il ne faut pas faire.

Gouverner n’est pas administrer.

Administrer revient à augmenter les contrôles, les rapports, c’est nécessaire. Gouverner consiste à fixer ses priorités. La priorité est de changer l’Etat. La centralisation à Paris, la concentration du pouvoir au sommet est un drame qui se compte en retard et parfois en vies.

Ensuite à redonner du souffle à la création en France. Ce monde chaotique et révolutionnaire ouvre des capacités de savoir et de confrontations inconnues. C’est une question d’état d’esprit, de mentalité, d’envie, de culture.

Se débarrasser des structures administratives handicapantes, des mille-feuilles territoriaux, des procédures, copier ce qui se fait de mieux dans le monde, étudier l’hôpital coréen, la sécurité sociale néerlandaise, la justice suédoise, l’école finlandaise, l’administration islandaise, etc… devenir ces Japonais qui prenaient tout en photos dans les années cinquante pour le refaire chez eux.

Se réinventer dit le Président ? Avec Castex ? S’il faut un Sumo pour renverser un Sumo, pourquoi pas un techno pour renverser la technocratie. Le Président Mao, qui s’y connaissait en révolutions, en bureaucraties, et en échecs disait «Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent », communisant une formule très libérale du fabuleux et sympathique Tchouang-Tseu. L’uniformité, voilà l’ennemi. Si vous ne voulez pas subir une révolution mondiale, faites-là.

 

Laurent Dominati

A.Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Pdg de la société éditrice du site « lesfrancais.press »

 

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