Libre-échange, chance des peuples

Tomate et orange, saveurs de Méditerranée. Erreur : l’une vient d’Amérique, l’autre de Chine, via la Perse et les Arabes. Avant le 15ème siècle et la première mondialisation, des inconnues en Europe. Comme le maïs et la pomme de terre, sans lesquels les Européens n’auraient pu se nourrir. Bientôt 10 milliards d’êtres humains. Nous en sommes à la troisième, quatrième révolution verte. Plus il y a d’humains, moins il y a de famines, plus l’agriculture fait des miracles. Miracles ?  Non, rationalité économique, celle des échanges. C’est vrai pour les marchés agricoles comme pour l’industrie et les services.

On comprend que les constructeurs automobiles américains se plaignent des fabricants coréens, japonais, allemands : leurs voitures sont meilleures et moins chères. Nos éleveurs sont-ils dans le même cas ? La viande française est-elle moins bonne et plus chère que la viande argentine ? Si oui, pourquoi en priver les Français ? Et les faire payer deux fois ? Une fois par un prix trop élevé, une autre fois par l’impôt. On répondra que ce n’est pas si simple. C’est vrai : d’où les quotas, les arbitrages, les reconnaissances d’appellation, et la standardisation des normes, pour lisser et rendre équitables ou équilibrés les échanges. Mais dans le fond, la logique reste la même : Les barrières économiques ne profitent qu’aux contrebandiers et aux douaniers. Les autres, producteurs et consommateurs, paient. La théorie économique le démontre, les exemples historiques le prouvent.

Le Parlement français a repoussé d’une semaine le vote de l’accord CETA, celui signé entre le Canada et l’Union européenne. Celui-ci est déjà entré en vigueur, à titre d’essai, et produit déjà ses effets. Notamment pour la France.  Ils sont positifs, y compris pour l’agriculture français.

Comme le sera l’accord avec le Mercosur. Bien sûr il faudra s’adapter. Il faudra produire autrement. Tant mieux. L’agriculture française, qui était la première en Europe, ne l’est plus. Alors qu’elle a connu une bonne année de production, elle a été commercialement déficitaire avec les autres pays de l’UE pour la première fois de son histoire. Il est urgent de la réveiller plutôt que de la plaindre. Et il serait absurde de sacrifier nos capacités économiques pour certains produits agricoles. L’avenir de la France n’est pas dans l’agriculture d’hier.

L’Afrique vient de s’engager dans un vaste accord de libre échange, qui rassemble la quasi-totalité des Etats africains. Les Américains font des offres au Japon et au Royaume-Uni post Brexit, voyant dans les accords commerciaux des alliances. Parce que le libre échange offre des nouvelles opportunités pour les producteurs, et augmente le pouvoir d’achat des consommateurs. Si vous payez moins chère votre chemise, l’argent que vous économisez vous permettra d’acheter autre chose, ou d’épargner et d’investir ailleurs. Les barrières commerciales préservent un temps les producteurs en retard par rapport à leurs concurrents, mais c’est au détriment des consommateurs et de l’économie générale du pays. Quant aux dégâts écologiques, ils sont avant tout idéologiques.

Les Romains faisaient déjà venir leur blé de Carthage car le voyage en mer était plus sûr, moins onéreux que le convoi par voie de terre. Au delà de cinquante kilomètres, vive la mer. Quand l’Afrique du nord romaine tomba, l’Empire s’écroula. Et l’agriculture de ce qui est aujourd’hui, le Maghreb aussi. Veut-on laisser l’Afrique, l’Amérique du sud dans la misère ? croit-on que la préservation des ressources est compatible avec la pauvreté ? N’est-on pas plus « écologue » dans les pays nordiques, riches et bien chauffés, qu’en Asie du sud-est ou dans le golfe du Bénin ? Quand on n’a pas accès à l’eau, on est prêt à traverser les continents à pied ou à la nage, on se moque de la pollution et des sacs plastiques. Seul le développement économique au Brésil, au Paraguay, en Argentine assurera un développement durable. Parce que dans développement durable, il y a développement. Et il n’y a pas de développement possible pour les pauvres sans accès aux marchés des pays riches. Idem pour l’Afrique.

Et pour l’Europe. Car si l’Europe est riche par rapport aux autres, elle est pauvre par rapport à ce qu’elle pourrait être. Comme la France. Personne n’est capable de fabriquer tout seul un simple crayon. Il faut du bois, des machines pour le couper, le trouer ; il faut du plomb, des machines pour l’extraire, le purifier, le transporter, le fondre, l’insérer dans le bois. Un simple crayon nécessite des échanges incalculables. Elevez des barrières, ne resteront que les champions, les cartels, les multinationales. Baissez les barrières, circulerons les marchandises, les idées, et les lois qui vont avec.

Et en plus, vous paierez moins. Vous investirez dans ce que vous savez faire de mieux. Dans des produits d’avenir. Voilà pourquoi le libre échange est toujours à l’avantage des peuples.

Mais pas forcément à l’avantage des Etats qui perçoivent les taxes, octroient quotas et privilèges. Il n’est donc pas à l’avantage des dirigeants qui y voient une diminution de leur pouvoir. Raison de plus pour l’encourager. Car il est rare que le pouvoir ait le même intérêt que le quidam, consommateur, producteur, travailleur ou citoyen.

Quand vous entendrez quelqu’un vanter le protectionnisme, sortez les tomates – ou proposez une orange. L’échange, toujours l’échange.

Laurent Dominati 

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

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