Doragaïa, j’ai rétréci les Russes !

Doragaïa, j’ai rétréci les Russes !

Vladimir Poutine dut son ascension à un montage vidéo qui montrait le sosie d’un procureur menaçant pour Eltsine faire des galipettes avec des jeunettes. Le Procureur put être écarté, le clan Eltsine respira. Depuis ce succès, Vladimir reste convaincu que le bluff et le chantage fonctionnent. Conserver le pouvoir vingt ans et plus conforte ses certitudes. C’est pourtant un exploit assez banal chez ceux qui n’ont d’autre souci que d’éliminer la concurrence par la prison: Castro, Bongo, Kim il Sung, Eyadema, Franco, Moubarak, Mugabe et tant d’autres ont fait plus long. Tous ont affaibli leur pays parallèlement au renforcement du contrôle politique intérieur. Poutine est depuis plus de vingt ans au pouvoir (moins que Nazarbaiev, son cousin kazakh écarté), et la Russie, loin de se renforcer, s’affaiblit.

L’industrie russe est obsolète

Les Russes se sont beaucoup sacrifiés pour l’industrie. Celle-ci est obsolète. Les exportations russes reposent  à 60% sur le gaz et le pétrole. Le seul autre domaine d’exportation, les ventes d’armes, bénéficie d’un budget conséquent pour l’armée, sans rapport avec le PIB russe. Car le poids militaire et politique de la Russie est sans commune mesure avec son poids économique.

La Russie n’est plus que la 11ème économie mondiale. Elle était encore la 8ème il y a sept ans. Son PIB, en 2020, était estimé à  1480 milliards de dollars, moins que l’Espagne et le Portugal réunis. Beaucoup moins que la France. La Russie, c’est 10% de l’économie chinoise, et cela se réduit chaque année.

La population diminue

Sa population diminue, malgré l’ajout de la population de la Crimée, et continuera de diminuer. D’ici la fin du siècle, la Russie aura perdu 20 millions d’habitants.

La Russie dépend du gaz. La dépendance sans cesse répétée de l’Europe vis-à-vis du gaz russe (réelle, qu’il passe par l’Ukraine, la Pologne ou la Baltique) a pour contrepartie la dépendance de la Russie vis-à-vis de son client européen. 40% du budget fédéral dépend du gaz. Toute tension qui fait monter le prix du gaz et du pétrole sauve la Russie (et d’autres, comme les pays arabes et les Américains.)

Tout ce qui trouble le doux commerce, notamment du pétrole, intéresse Poutine

Voilà pourquoi Vladimir Poutine active partout les tensions au Moyen-Orient, en Ukraine, en Libye, ou au Mali. Tout ce qui trouble le doux commerce, notamment celui du pétrole, l’intéresse. On remarquera qu’il s’entend bien avec l’Iran, mais aussi avec l’Arabie saoudite. Avec la Syrie, mais aussi avec la Turquie. Avec l’Arménie mais aussi avec l’Azerbaïdjan. Et même avec Israël. De ce point de vue, Poutine est un pragmatique. Il sait jusqu’où ne pas aller trop loin.

Pourtant à force, il a poussé trop loin, considérant l’Europe impotente et Biden affaibli. Et s’est découvert : la Russie ne peut pas envahir l’Ukraine parce qu’elle n’en a pas les moyens. Les sanctions brandies par les Américains et les Européens ne sont rien par rapport au désastre que serait une guerre longue et meurtrière en Ukraine. Ce sont les difficultés de l’Armée rouge en Afghanistan qui ont précipité la chute de l’URSS, et la victoire de la deuxième guerre de Tchétchénie qui a fait de Poutine le maître de la Russie. Une intervention de la Russie en Ukraine qui ne serait pas un succès militaire éclatant le menacerait personellement.

Parce qu’à force d’agressions, Poutine a réduit l’aura de la Russie. Toutes les aspirations des populations du glacis russe attendent le dégel. La Géorgie est perdue depuis longtemps. A force de pressions (sur le gaz), d’humiliations et de gouvernements potiches, la Russie a perdu l’Ukraine. Il ne lui reste que la Crimée et le Donbass. Tout le reste a choisi l’Europe. Etonnant, alors que plus de 17% de la population ukrainienne a le russe comme langue maternelle. Même ces « Russes » préfèrent rester ukrainiens. L’agressivité russe a solidifié l’Ukraine.

Idem en Biélorussie. Rarement dans l’histoire la Biélorussie a été indépendante. Elle a été polonaise, russe, mais biélorusse jamais. Elle le devient. Non seulement parce que Loukachenko s’oppose à tout mariage étatique avec la Russie, mais aussi parce que ses opposants, vraisemblablement plus de la moitié de la population, voient en la Russie et Poutine les partisans de leur oppression. Résultat : les Biélorusses ne veulent surtout pas des Russes.

Le glacis russe espère un dégel

Idem au Kazakhstan : les manifestations récentes (toujours liées au gaz) sont aussi des manifestations contre l’ami russe auquel Tokaïev a fait appel. Moyennant quoi les manifestants conspuent les Russes. A constituer son glacis par la force, Poutine accumule un réservoir d’hostilité, une banquise fragile.

Installer un rapport de confiance avec les Européens lui aurait permis d’éloigner les Américains

Poutine a donc réussi à diluer la Russie et sur le plan économique et sur la plan stratégique. Pouvait-il faire autrement ? Facilement. Contrairement à ce qu’il dit, il n’a pas été trompé par les Occidentaux. Ou alors il est stupide. Comment ne pas croire que les pays de l’Est, rejoignant l’Union européenne, ne seraient pas dans son alliance de fait ? Peu importe, in fine, que la Suède ou la Finlande n’adhèrent pas à l’Otan, ils sont, de fait, des alliés européens. Les Russes ont signé en 1997 (bien après l’engagement supposé de James Baker en 1990) l’acte de partenariat OTAN–Russie[1]. Que cet accord ait été décevant, c’est vrai. Ce que voulait la Russie, à l’époque, et ce qu’a raté Poutine, c’est l’installation d’un rapport de confiance avec les Européens, ce qui lui aurait permis d’éloigner les Américains. Etait-il possible d’intégrer les Russes dans l’OTAN, comme le regrette Baker aujourd’hui ? Ils ne le voulaient pas plus que les Américains.

Le tour de force de Poutine, c’est d’avoir renforcé l’OTAN, d’avoir conforté les Américains comme maître du jeu de la sécurité en Europe. Aucune menace réelle ne pèse sur la Russie en Europe. Le bénéfice de frontières paisibles serait formidable pour la Russie, et pour l’Europe. Cela aurait permis à la Russie, seul pays asiatique de l’Europe, de jouer un jeu nouveau et important en Asie, ce qu’elle ne peut faire.

Economiquement, Poutine aurait pu s’appuyer sur l’Europe. Rien qu’avec la France, les liens pourraient être amplifiés de façon spectaculaire : spatial, nucléaire, énergie: les compétences russes et françaises sont plus complémentaires que concurrentes. A tel point que la construction d’un avion commun fut un temps envisagé…

On peut toujours incriminer les Européens, voire les Français de ne pas avoir été assez ouverts. La vérité oblige à dire que Poutine a fait une erreur stratégique: fidèle à la tradition de l’URSS de vouloir diviser l’Union européenne, il croyait trouver avec les Britanniques, Hongrois et quelques autres des « alliés » de l’intérieur. Sans voir que cela ne faisait que renforcer l’Union elle-même, et le poids des Américains. Il a cru jouer au plus fin avec Erdogan, le retirant de la « coalition occidentale ». Résultat : la Turquie s’est appauvrie et se retrouve encore plus dépendante de la Réserve fédérale américaine qu’elle ne l’était de l’UE.

La Russie est le « pivot » de l’Eurasie. A ceci près que l’Eurasie n’existe pas

L’option « occidentale » écartée, Poutine joue l’option « eurasiatique ». Belle idée sur une carte : la Russie est par la géographie le pivot de l’Eurasie. A ceci près que l’Eurasie n’existe pas. Il n’y rien de commun entre les cultures de l’Asie du sud-est et celles de l’Europe. Même si, on ne sait par quel miracle, une alliance se dessinait, appuyée sur le « rêve chinois » des « nouvelles routes de la soie », le maître en serait la Chine et non l’immense et faible Russie.

La population diminue, l’armée se contracte, l’économie se concentre, le voisinage se raidit : la Russie, en un mot, rétrécit. Si cela continue, à vouloir jouer au dur avec les Occidentaux et au tendre avec les Chinois, elle finira par se faire avaler par le dragon du PCC, dans un long bâillement. Une autre route est-elle possible ? Puissent d’évidentes impasses obliger à ouvrir de nouvelles voies.


[1] Cet accord historique signait la fin à la guerre froide, entérinait un premier élargissement de l’Otan, envisageait la Russie comme un partenaire de l’OTAN. Une excellente idée, qui supposait, comme le voulait la France, une transformation de l’OTAN, avec un pilier européen.

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