L’idée même de donner des cours d’empathie aux potaches en dit long sur l’état de notre société. On comprend que le mal – de vie ? – est profond, comme enraciné. En cause, notre pente matérialiste qui entre autres péchés capitaux nous a conduits à déprécier la littérature, désormais appréhendée par les écoliers, les collégiens et les lycéens telle une langue étrangère – comprendre avec la même indifférence, voire une fastidieuse corvée (à l’instar des cours d’éducation physique pour lesquels chacun s’octroie ouvertement une dispense).
Frédéric Beigbeder théorise que « nous vivons dans une société matérialiste qui tue l’amour, on s’offre des cadeaux au lieu de s’aimer ». Excessif ? Dans « Le matérialisme ordinaire et la satisfaction dans la vie, vers une approche segmentée » paru dans la Revue française du Marketing, Ladwein Richard pose ceci d’éloquent : « Les possessions matérielles, en prenant place dans la vie quotidienne, contribuent également à structurer l’identité de l’individu ».
Nommons le remède qui désigne le mal : la lecture
Nommons le remède qui désigne le mal : la lecture, que le ministre aurait dû recommander quotidienne. Les scientifiques ont établi que lire des livres améliore le vocabulaire, le raisonnement, la concentration et la pensée critique, et que la littérature stimule les processus cognitifs comme la perception sociale et l’intelligence émotionnelle qui peuvent contribuer à prolonger la vie.
Alain Finkielkraut, dans « L’après littérature », établit avec une désolation de philosophe battu que « nous sommes entrés dans l’âge de l’après-littérature ». Son analyse est douloureuse : « Le temps où la vision littéraire du monde avait une place dans le monde semble bel et bien révolu. Non que l’inspiration se soit subitement et définitivement tarie. De vrais livres continuent d’être écrits et imprimés, mais ils n’impriment pas. Ils n’ont plus de vertu formatrice. L’éducation des âmes n’est plus de leur ressort… »
Comment lui donner tort ?
« L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas »
Si le livre est toujours considéré, au même titre que le latin ou le grec ancien, comme une porte d’entrée vers les humanités – bientôt comme une excentricité – il ne répond plus ni aux besoins ni au rythme ni à la reconnaissance d’une société ivre de ses prouesses technologiques et idolâtre du veau d’or.
La scolarité devrait intensément participer à la sculpture de soi. Comment les pensionnaires de la rue de Valois osent-ils abandonner la lecture ? « Elle est d’abord une amitié » sait nous dire Proust. Enfin, ne crève-t-il pas les yeux qu’il en va de la vitalité de la nation ? Je renvoie monsieur Attal à ces mots de Victor Hugo (ce monstre sacré de la littérature française que ma fille élève de troisième découvrit misérablement par le biais d’un best of des Misérables…) : « L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’État qui la doit ».
Ce même Victor Hugo qui, dans ses « Faits et croyances » nous dit : « Lire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas ».
Posons-nous cette question cruciale : comment pouvons-nous endiguer le processus de déshumanisation qui gangrène notre société ? La littérature et l’amour, suggère Françoise Sagan (pour qui la vie est une œuvre) dans Un Certain sourire : « J’aurais voulu demander aux gens : « Êtes-vous amoureux ? Que lisez-vous ? mais je ne m’inquiétais pas de leur profession souvent primordiale à leurs yeux ».
Auteur/Autrice
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Journaliste, il débute à FR3 Corse puis dirige la rédaction du Figaro-Méditerranée. Il est actuellement rédacteur en chef du mensuel généraliste Corsica et anime une émission politique hebdomadaire sur Corsica Radio.
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