Russie : aimer qui ne t’aime pas est du temps perdu.

Russie : aimer qui ne t’aime pas est du temps perdu.

A l’évidence, La Russie est plus européenne qu’asiatique. L’Europe aurait tout intérêt à un partenariat et plus encore, pour ne pas parler d’alliance. Nombreux sont ceux, en Europe, qui l’espèrent. Ils ont raison, mais commencent à avoir tort. Pour se marier, il faut être deux : aimer qui ne t’aime pas est du temps perdu

Dommage : aimer l’Europe est un destin russe. Les Russes vivent mieux que du temps de l’URSS, mais moins bien que les Polonais ou les Baltes, qui ont bénéficié d’autres libérations. Le PIB de la Russie reste faible, sa population diminue. Poutine rêve de puissance, se veut le fort des faibles, le flibustier du désordre occidental, soutient partout l’anti-américanisme.  Facile. Utile ? Il a, un temps, considéré les Allemands, pour leur puissance économique, et les Français, pour leurs armes et leur différence avec les Américains. Mais les États-Unis sont le seul interlocuteur auquel il veut se mesurer. 

Les États-Unis, seul interlocuteur auquel Poutine veut se mesurer.

Lavrov a moqué les Européens, qui se seraient exclus eux-mêmes des discussions sur l’Ukraine par leur inexistence. Le Format « Normandie » avec la France et l’Allemagne est jeté aux oubliettes.

Que veut la Russie ? Faire reconnaitre, par les Américains, sa sphère d’influence. Retrouver le glacis russe, patiemment constitué par les tsars puis l’URSS. Poutine a ainsi pris la Crimée, réduit la Tchétchénie, corrigé la Géorgie, arbitré entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, maintenu la Transnistrie, conforté la Biélorussie, et, dernièrement encore, la Kazakhstan. Le nouveau Président Tokaiev, pour s’affranchir de son prédécesseur Noursoultan Nazarbaïev, a réclamé l’envoi de troupes russes, moins pour tirer sur les manifestants, que pour s’afficher en fidèle vassal de son suzerain. 

Joe Biden et Vladimir Poutine (Denis Balibouse/Pool Photo via AP)

Personne n’est prêt à mourir pour le Donbass. Ni même pour Kiev. Sinon, vraisemblablement, les Ukrainiens. Mais en quoi la « finlandisation » de l’Ukraine gênerait-il qui que ce soit ? La finlandisation signifiait que rien ne se fit en Finlande de contraire aux intérêts de l’URSS. Quand on demanda à Staline pourquoi, après la guerre, ne pas occuper la Finlande, il répondit : « Pourquoi l’occuper, puisqu’ils font ce que je dis. » C’est éviter des coûts d’occupation, voire les embarras d’une résistance, comme l’avait montré les Finlandais face à l’Armée rouge.

Personne n’est prêt à mourir pour le Donbass.

Poutine pense que les Américains pourraient bien accepter sa « juste » revendication de la finlandisation de l’Ukraine. Quant aux Européens, ils ne feront rien. Qui peut croire que sanctionner la Russie la ferait changer d’avis ? Les Américains, ont suggéré de sanctionner des personnes, dont Poutine lui même. Comme si Poutine était sensible à un blocage de comptes. N’ont-ils pas, à quelques kilomètres de leurs côtes, l’exemple de Cuba : les sanctions renforcent les dirigeants, qui s’enrichissent des pénuries. ? Seule la Chine a gagné aux sanctions contre la Russie. 

Mais voilà, Poutine se trompe, lui aussi. L’intérêt des Américains n’est pas en Ukraine, c’est vrai, il est en Asie. Mais Biden ne peut se permettre, après avoir évacué l’Afghanistan, après avoir laissé le PCC prendre la main sur Hong Kong, laisser la Russie dominer la libre Ukraine : cela encouragerait la Chine à prendre Taïwan.

L’annonce qu’il n’y a pas d’accord peut être le signe d’un accord.

Normalement, rien ne devait se passer. La non-guerre a commencé : des cyberattaques massives ont eu lieu contre l’Ukraine, mais la Russie a arrêté une bande de hackers qui avait attaqué des entreprises américaines. Nordstream2 va pouvoir entrer en service, au détriment de l’Ukraine. En fait les troupes russes sont un peu des gaziers : le gaz russe passera bien par la baltique. L’annonce qu’il n’y a pas d’accord peut être le signe d’un accord mutuel pour que personne ne perde la face. Biden et Poutine, deux durs de durs qui se retiennent de faire un malheur.

Poutine peut-il sortir vainqueur de tout cela ? Forcément, puisque Poutine sera encore en place quand Biden finira son mandat. Personne, pour l’instant, ne semble en mesure de s’opposer à lui en Russie. Il en est ainsi de tous les autocrates, jusqu’à ce qu’ils tombent. D’où leur peur perpétuelle.

Est-il possible qu’une guerre ait lieu, une vraie guerre, comme celle du Donbass, avec des civils sous les bombes ? La stupidité, l’auto-allumage, le souci du prestige peuvent aller loin. Andropov, ancien chef du KGB devenu patron de l’URSS, était convaincu d’une attaque éclair de l’Amérique, et avait mis au point une attaque nucléaire préventive. Il fallut que Thatcher, informée par des sources internes au KGB, alerte Reagan pour inverser les signes. Ce fut un vrai risque de 3ème guerre mondiale, par l’auto intoxication de dirigeants effrayés. Tout est possible par bêtise.

Poutine gagnant ? La Russie perd un peu plus chaque jour de sa force. Sur cette pente, elle sera plus faible après Poutine qu’avant. Elle est en Syrie, qu’y gagne-t-elle ? Une flotte vieillissante en Méditerranée, qui a toutes les peines à se protéger ? Des batteries de missiles qui regardent passer les avions israéliens bombarder leurs alliés syriens et iraniens ? Elle s’oppose aux Turcs, qu’elle cajole par ailleurs, dans une alliance aussi solide que la Neva gelée. Et les Turcs dévissent. Leur niveau de vie est désormais inférieur à celui de 2008, avant l’arrivée d’Erdogan au pouvoir.

Malgré les rodomontades, les armes russes sont moins performantes qu’annoncé.

La Russie a repris pied en Afrique, en Libye, en Centrafrique, au Mali. Pour quels intérêts ? Avec quels ressentiments de la part des populations et des gouvernements africains, qui ne voient dans les mercenaires que des pilleurs. Les bénéfices économiques de la Russie en Afrique restent très inférieurs à ceux du … Japon.  Mieux vaut construire des Toyota que d’exporter des soldats.

L’Algérie a refusé les dernier Sukhoï, comme l’Egypte, comme l’Indonésie.

Partout la Russie apparait comme un soutien aux pirates, autocrates, mercenaires, hackers, et autres corrupteurs et pilleurs de tombes. Est-ce un bénéfice « stratégique » ? Tant qu’elle exportera des armes, la Russie sera intouchable. Sauf que malgré les rodomontades, les armes russes sont moins performantes qu’annoncé. L’Algérie, vient, contre toute attente, de refuser les dernier Sukhoï. Comme l’Egypte. Comme l’Indonésie. Les Sukhoï, comme les batteries sol-air, comme les missiles hypersoniques, ne sont pas les merveilles survendues.

Occuper la Crimée, tenir en respect les supplétifs syriens des Turcs, peut-être. Rivaliser dans la course aux armes technologiques actuelles est plus difficile. Dans dix ans, malgré un budget militaire important, les armes russes ne seront plus au point : couvrir tout l’arsenal militaire, du spatial aux armes légères, revient trop cher. Là aussi, des accords avec la Russie seraient profitables.

La Russie est dans l’impasse, l’Europe aussi.

La Russie est donc dans l’impasse. Elle repose sur un nuage de gaz. Le pire serait de croire à la force. Bien dommage, car l’Europe perd un allié potentiel naturel. Les efforts faits par la France se sont perdus dans l’incertitude, bloqués par l’aimant américain, que les menaces russes renforcent. Est-il possible de faire comprendre à la Russie qu’on l’aime ? Est-il possible d’être aimé par la Russie ? Peut-être est-ce trop tard. L’impasse russe est une impasse aussi pour l’Europe, au seul bénéfice des Américains, et des Chinois. Que c’est triste l’amour ! Dire qu’il faudrait revenir se coucher dans le lit de l’OTAN.

Laurent Dominati

a.Ambassadeur de France

a.Député de Paris

Président directeur général de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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