Les États contre les GAFA, un combat de longue haleine

Les États contre les GAFA, un combat de longue haleine

Si la crise sanitaire a renforcé les multinationales de l’information et de la communication (GAFA), les Etats tentent de renforcer la régulation de ce secteur. Que ce soit sur le terrain fiscal que sur celui du droit de la concurrence, les États ne veulent pas abdiquer. 

Depuis le salon « Vivatech », le 16 juin 2021, le Président Emmanuel Macron a déclaré qu’il jugeait le démantèlement des GAFA « légitime ». Il a ajouté « Je pense que quand on a des groupes qui ont les comportements de prédation qu’ils ont eus sur les marchés européens ou émergents sur les dernières années, qui s’attaquent à des verticaux qui ne sont pas bien régulés malgré tout le travail qui a été fait par la Commission européenne et que je salue, c’est de toute façon une question car en termes de bien-être collectif, à un moment donné ils finissent par être négatifs ». Cette déclaration s’inscrit dans le prolongement de l’accord fiscal du G7 visant à instituer un taux minimal d’impôt sur les bénéfices.

Procédures judiciaires 

Cet accord, sans nommer les entreprises digitales, les visent en premier lieu. Ces dernières ont eu tendance à optimiser leur situation fiscale en logeant leurs bénéfices issus de leur services immatériels et délocalisables au sein de pays à faible fiscalité. La volonté de mieux réguler le secteur de la communication et de l’information fait suite à l’année faste que ce dernier a connu en raison de la crise sanitaire. La tendance hégémonique des entreprises qui le composent ainsi que leur prétention d’étendre leur champ d’action, en particulier dans le domaine financier et monétaire, incitent les États à être plus incisifs. 

Les procédures administratives et judiciaires se multiplient dans tous les pays. Aux États-Unis, au mois de mai 2021, le procureur général du district de Columbia a déposé une plainte contre Amazon pour atteinte à la libre concurrence. De nombreux autres États font de même. 

Toujours aux États-Unis, Facebook, depuis le mois de décembre dernier, fait l’objet d’une enquête de la part de la Federal Trade Commission (FTC) pour abus de position dominante à travers le rachat de concurrents comme Instagram et WhatsApp. 

L’autorité allemande de la concurrence poursuit Amazon et Google pour déterminer s’ils sont en position dominante et son homologue italien a décidé d’appliquer à Google une amende de 100 millions d’euros pour avoir restreint l’accès à Android, une version du système d’exploitation mobile de l’entreprise destinée au guidage des véhicules.

Abus de position dominante 

La Commission européenne a annoncé le 4 juin l’ouverture d’une enquête concernant Facebook Marketplace, le service de petites annonces du réseau social. Elle souhaite apprécier si Facebook enfreint les règles de concurrence européenne en utilisant des données publicitaires recueillies auprès d’annonceurs afin de les concurrencer sur des marchés où il est présent, comme celui des annonces en ligne. 

La Commission examine également le respect de la concurrence par Apple en matière de streaming musical. 

En France, le 7 juin dernier, l’Autorité de la Concurrence a annoncé qu’elle était parvenue à un accord avec Google au sujet des allégations selon lesquelles l’entreprise abuserait de sa position dominante sur le marché pour diffuser des publicités en ligne. Google devra payer à la France une amende de 220 millions d’euros et modifiera certaines pratiques commerciales. 

Les régulateurs qui sont restés longtemps paralysés face à des nouvelles activités sont de plus en plus enclins à réagir, une émulation existant par ailleurs entre eux. 

Au sein de l’Union européenne, une concurrence entre les États membres et la Commission de Bruxelles se fait jour, les premiers ne souhaitant pas abandonner la totalité du pouvoir de contrôle du droit de la concurrence à la seconde. Les législations nationales imposent de plus en plus des règles « ex ante » aux entreprises du numérique qui sont contraintes de démontrer qu’elles n’enfreignent pas le respect des règles de la libre concurrence en temps réel.

Lutte contre les « monopoles » 

La directive de l’Union européenne sur les marchés numériques, si elle est adoptée, obligera les grandes technologies à se conformer à une longue liste de règles ex ante. Aux États-Unis, des parlementaires démocrates et républicains du Congrès américain ont présenté plusieurs propositions de loi ciblant directement les « monopoles » de Google, Apple, Facebook et Amazon. L’une des propositions de loi américaine interdit l’acquisition de petits groupes concurrençant les plateformes dominantes dans le seul but de les faire disparaître. Une autre vise à empêcher des groupes comme Amazon de manipuler leur marché en ligne pour promouvoir leurs propres produits. 

Si des élus des deux partis se sont unis pour les rédiger, ces textes ne sont toutefois pas assurés d’être approuvés au Congrès. De nombreux républicains mais aussi des démocrates sont hostiles à un durcissement des lois « antitrust ». Les GAFA mènent, par ailleurs, un lobbying important afin d’empêcher leur adoption. L’organisation Computer & Communications Industry Association, dont Amazon, Facebook et Google font partie, a dénoncé des propositions représentant un « virage dans les principes d’économie de marché ». Le communiqué de presse mentionne que ces lois auront « un impact sévère sur le leadership économique américain et réduiront la possibilité pour les consommateurs de profiter des services numériques gratuits ». Pour Jessica Melugin, directrice du Centre technologie et innovation du centre de réflexion Competitive Enterprise Institute, « ces textes sont des régulations à l’européenne dans le sens le plus déprimant économiquement ». 

Les Gafas peu touchés

Si les entreprises du digital doivent faciliter la vie de leurs concurrents, si elles doivent être plus transparentes sur l’utilisation des données, il est peu probable que cela diminue réellement leur domination. La valeur des actions des GAFA n’a pas été touchée par la multiplication des actions anti-trust. Les étoiles du digital arrivent à surmonter les chicanes des régulateurs. 

Ainsi, en 2018, quand la Commission de Bruxelles a forcé Google à dégrouper son service de recherche de son système d’exploitation mobile Android, après lui avoir infligé une amende de plus de 4 milliards d’euros, la quasi-totalité des acheteurs ont installé son application de recherche. Au moment de la mise en fonctionnement de leur portable, la fenêtre d’accueil présente un « écran de choix » des services de recherche qui place en tête celui de Google. Le 8 juin dernier, la Commission a déclaré que l’écran de choix classerait plutôt les services de recherche en fonction de leur part de marché… ce qui ne devrait pas trop nuire à Google.

L’or noir des données 

Depuis l’échec de la tentative de démantèlement de Microsoft, au début des années 2000, les régulateurs comme les législateurs semblaient désarmés face à l’émergence des multinationales du digital. L’accumulation des pertes, lors de la phase d’émergence de secteur ainsi que l’explosion de la bulle Internet, ont masqué ses caractéristiques monopolistiques et rentières. Les données sont vite devenues le nouvel or noir de l’économie. Plus une entreprise dispose de données, plus elle est en capacité d’en récupérer et d’exclure du marché ses concurrentes. Les données sont sources de valeurs et permettent l’élaboration de puissants algorithmes. 

Qwant, le moteur de recherche français qui ne trace pas ses utilisateurs peine à s’imposer faute d’un nombre de requêtes suffisant. Les autorités américaines ont rapidement compris le rôle des GAFA dans le cadre d’une stratégie de « soft power ». Le numérique a remplacé le cinéma en matière d’influence. 

Compte tenu des positions acquises et du rôle des applications proposées tant dans la vie professionnelle que dans la vie courante, la régulation des GAFA sera un long combat.

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