Les GAFA, la fin de l’adolescence

La volonté de Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, de créer une cryptomonnaie, le libra, symbolise la force et l’envie de pouvoir des entreprises des technologies de l’information et de la communication. Le libra pourrait être potentiellement partagé par 2,7 milliards de personnes adhérentes à Facebook et aux sites qui se sont associés au projet de Mark Zuckerberg. À la différence des autres cryptomonnaies, le libra repose sur un panier de monnaies existantes (dollar, euro, livre sterling, etc.). Il est doté d’une gouvernance transparente. Cette initiative a provoqué de la part des banques centrales et des gouvernements une sourde hostilité. La mise en place d’un éventuel pouvoir de création monétaire privé, mondialisé et concurrent des banques centrales inquiète.

Dans son rapport annuel, il y a quelques années, la CIA avait analysé le risque d’avènement d’un système monétaire pris en main par les réseaux sociaux. La conclusion était alors sans appel : les pouvoirs publics devaient bloquer une telle initiative.

Les plus fortes capitalisations boursières sont, au niveau mondial, Facebook, Amazon, Google et Apple. Ces quatre entreprises pèsent plus de 3 000 milliards de dollars. Elles ont, en moins de vingt-cinq ans, modifié les rapports de force économique. Durant des années, les entreprises du digital ont été considérées comme des catalyseurs de progrès, de croissance. Elles véhiculaient une image positive. Les start-up rajeunissaient le capitalisme. Elles étaient les symboles de la réussite de jeunes entrepreneurs. Aujourd’hui, elles sont craintes. Elles sont accusées d’être des prédatrices, de se comporter en rentières et de détruire des pans entiers d’activité. En s’appuyant sur leur puissance mondiale, elles sont critiquées par leur capacité à se jouer des règles fiscales des pays dans lesquels elles opèrent.

Il est également reproché au GAFA, à Facebook et à Twitter, en particulier, de peser directement ou indirectement sur le cours des élections. L’exploitation des données collectées est à l’origine, par ailleurs, de plusieurs scandales (scandale Cambridge Analyta). Que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Birmanie, en Nouvelle Zélande, les réseaux sociaux font l’objet de polémiques sur leur utilisation non transparente, tant pour des raisons commerciales que politiques.

Après avoir laisser-faire pendant plus de vingt ans, des autorités internationales comme l’OCDE ou l’ONU ainsi que les régulateurs nationaux de la concurrence tentent désormais d’imposer des règles aux GAFA.

Après l’échec de l’application des lois antitrust à Microsoft dans les années 90, les pouvoirs publics avaient abandonné l’idée de lutter contre les situations de monopoles. Or, aujourd’hui, Google capte bien souvent plus de 75 % des recherches sur Internet dans les pays occidentaux. Facebook a séduit près de 95% des moins de 45 ans et Amazon réalise près de 50% des ventes en ligne aux États-Unis. Google et Facebook maîtrisent 66% de la publicité sur Internet qui elle même représente la moitié du budget publicitaire mondial. Google et Apple équipent plus de 90% des smartphones.

L’image des GAFA se détériore depuis près de quatre ans.

L’élection de Donald Trump a contribué à modifier la donne aux États-Unis. Les relations entre le Président des États-Unis et les responsables de ces entreprises étant mauvaises. Ces derniers ne bénéficient plus de la mansuétude du pouvoir. Au début de l’année 2019, les régulateurs de la concurrence américaine ont décidé de mener des investigations spécifiques sur les entreprises du digital. Le ministère de la justice et la Federal Trade Commission se sont réparti les tâches afin de pouvoir engager des procédures anti-trust. De manière unanime, le Congrès, soutient la démarche. Les Démocrates qui jusqu’à maintenant étaient favorables au GAFA, ont changé de position tant au nom de la lutte contre la fraude fiscale qu’en raison du rôle que certaines plateformes ont joué lors de la précédente campagne présidentielle.

Les pratiques des GAFA sont contestées par leurs propres salariés. Ainsi, ceux de Google ont obtenu le rejet du contrat avec l’armée américaine qui aurait permis à cette dernière d’accéder à des informations ainsi que le rejet du moteur de recherche spécifique à la Chine doté d’un logiciel de censure.

Des pouvoirs publics à la manœuvre

L’Union européenne et les États membre privilégient la taxation des entreprises du digital. Ces dernières en logeant leurs résultats dans des pays à faible fiscalité entraîneraient un manque à gagner pour les États. En réaction, la France a décidé de mettre en place une taxe spécifique. L’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni sont ou s’apprêtent à instituer des taxes sur le chiffre d’affaires. Plusieurs États européens sont, en revanche, opposés à cette taxation (Irlande, Suède, Danemark). De peur de souffrir de mesures de rétorsions de la part des États-Unis, l’Allemagne reste discrète sur le sujet. Face à la menace américaine de sanctionner les vins français, le Président de la République, Emmanuel Macron, a indiqué que la taxe anti-GAFA serait temporaire le temps qu’au niveau international des règles soient instituées. La Commission européenne a, par ailleurs, infligé, en 2019, pour la troisième année consécutive des amendes à Google pour non-respect de la libre concurrence. Pour lutter contre les techniques d’optimisation fiscale et pour empêcher la constitution de rente, le recours à l’échelon international apparait incontournable. L’OCDE qui, récemment, a adopté des règles en matière de lutte contre la fraude, est appelée à jouer un rôle de régulation. Cela suppose néanmoins l’accord de toutes les parties prenantes.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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