Le Qatar n’a pas d’odeur 

Le Qatar n’a pas d’odeur 

Le Qatar n’est pas un Etat, c’est un écran géant. On y voit verrues et grains de beauté. A la télévision, sur la chaîne de télé de son neveu, personne ne regardera l’émir : tous n’auront d’yeux que pour l’un de ses milliers de salariés aux sorts contrastés : M’Bappé. Il est la pointe émergée de ces forçats de la gloire qui font qu’un latéral gauche de Ligue 2 gagne bien plus qu’Alain Aspect, prix Nobel de physique, créateur d’un des premiers ordinateurs quantiques au monde. Entre la tête et les jambes, le père Noël choisit les jambes. 200 millions par an pour M’Bappé, 1M pour l’œuvre d’un Nobel. 

Mais qui parle d’argent ? Le Qatar n’est pas un État, c’est un puits sans fond. Il aurait investi, selon Deloitte, 200 milliards de dollars dans cette Coupe du monde. En comparaison, l’Europe réunit chichement 18 milliards pour que les Ukrainiens luttent contre les Russes et l’hiver. Dire qu’il y a quatre ans, Boris Johnson parlait déjà de boycott : c’était la Russie. Poutine n’avait investi que 11 milliards. II recevait Coca-Cola, sponsor, avec le tapis rouge. C’est mieux que d’envoyer des missiles sur les civils. Ou de financer les Frères musulmans.

Permettre aux dirigeants sportifs de se faire acheter en toute indépendance

 « L’argent n’a pas d’odeur », le sport et le gaz non plus. Le Président de la République l’a rappelé : « Il faut laisser le sport éloigné de la politique ». Les différentes chartes nationales et internationales qui réglementent le sport en font une règle absolue. Ce qui permet aux dirigeants sportifs de se faire acheter en toute indépendance.  

C’est parce que le sport est sans relation avec la politique que le Qatar a autant investi dans le sport, comme auparavant l’Allemagne de l’est, l’URSS ou encore la Chine. Pourquoi un Etat achèterait-il un club de foot comme Manchester city (Emirats), PSG (Qatar) ou Newcastle (Arabie) ? Aberrant ! A-t-on déjà vu un Président s’afficher en supporter, recevoir des joueurs, leur passer des coups de fil et le faire savoir ? Ridicule !

A chaque fois qu’il y a une grande compétition, des Jeux de Berlin à ceux de Moscou, on parle récupération, boycott et politique. La concentration des médias attire : 1 milliard de téléspectateurs pour la dernière finale. Profiter de l’occasion pour se montrer, défendre une cause, ajouter un message au ballon rond, c’est logique. 

Quel sort le Qatar réservera-t-il aux militants qui vont interrompre les matchs comme ce fut le cas pour PSG/OM ? La Coupe du monde de 78 en Argentine, alors dirigée par un général dictateur, avait déjà donné lieu à une campagne de boycott, et même à une tentative de kidnapping de Michel Hidalgo, entraîneur de l’équipe de France. L’entraineur argentin Cesare Menotti aurait dit à ses joueurs, avant la finale : « Nous ne jouons pas pour des tribunes remplies d’officiers, de militaires, mais nous jouons pour le peuple. Nous ne défendons pas la dictature mais la liberté. » Une façon de se dédouaner ? On accusa l’Argentine d’avoir truqué un match.

Business as usual et matchs truqués. 

Le sport est un business comme les autres : un petit monde. L’industrie du sport s’élèverait à plus de 500 milliards de dollars (et plus de 1700 milliards de paris sportifs) selon l’ONUDC. Interpol s’est même doté d’une cellule spéciale sur les matchs truqués. Le crime organisé s’est introduit dans les paris clandestins, blanchit les revenus illicites, touche les commissions sur les joueurs, infiltre les clubs, les instances nationales et internationales. 

Six mois après l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, la justice américaine commençait les arrestations. Le FBI a fini par recenser 125 millions de dollars de pots de vin. 12 des 22 membres du Comité exécutif ont été, au fil des années, suspendus, écartés, poursuivis. Deux sont morts : la justice américaine n’a pas fini son enquête. Tout comme, d’ailleurs, la justice française (à propos d’un déjeuner entre Nicolas Sarkozy, Michel Platini et l’Emir). Personne n’a jamais remis en cause le choix du Qatar. Qui voudrait se priver de gaz ? 

Nicolas Sarkozy et l’Emir du Qatar dans la tribune du PSG en 2016

Boycotter supposerait refuser aussi d’acheter du gaz, de vendre des Rafale, comme on devrait le refuser à d’autres : Arabie, Chine, Egypte, Algérie, les trois quarts des pays de la planète qui ne respectent pas les droits de l’Homme, encore moins les droits des minorités sexuelles ou ceux des travailleurs immigrés. 

Selon cette logique, pourquoi donner de l’argent à tant de pays africains qui interdisent encore l’homosexualité et malmènent le droit des femmes ? Certes, on pourrait s’abstenir, comme le Danemark, d’envoyer un représentant officiel à la cérémonie d’ouverture (le sport n’est pas politique), mais oserait-on, comme le gouvernement danois (social-démocrate et bien sous tout rapport), envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda pour l’examen de leurs demandes ?

Ce monde injuste, violent, inquiétant, suscite ses propres remèdes. 

Ce monde est plein de contradictions. Il est injuste, violent, inquiétant. Heureusement il suscite ses propres remèdes, pas toujours à la hauteur des défis, mais ils existent : le droit, la coopération, la science, une certaine idée de l’humanité. L’aspiration des peuples à la paix, à la liberté, à la solidarité, à la justice, contrebalance la pente à la violence et l’ignorance.

L’Organisation Internationale du Travail et Amnesty International reconnaissent qu’avec la Coupe du monde, le Qatar a modifié sa législation. Les Népalais se refilent les filières d’émigration au Qatar tant ce qui paraît comme de la servitude leur apparaît comme une occasion : 25% du PIB du Népal vient des transferts de salaires des travailleurs népalais, qui seraient près de 400.000, selon le FMI.

Ceux pour lesquels le scandale est plus important que le spectacle se féliciteront qu’on ait parlé du scandale.  

Comme tant d’autres manifestations, la Coupe du monde est frivole, absurde, grotesque, utile, festive, joyeuse, stupide. Au Brésil, la dernière Coupe du monde devait sauver le gouvernement ; elle l’a fait apparaitre en pleine corruption. Et l’équipe brésilienne fut humiliée. L’exaltation du sentiment national est aussi festive que stupide. Il y eut ainsi une guerre du football entre le Honduras et le Salvador qui fit plusieurs milliers de morts.

Regarder les matchs, mais les yeux ouverts.

La Coupe du monde est politique et elle ne l’est pas. Elle est une affaire de fric et n’est pas que cela. Elle est scandaleuse et elle ne l’est pas. Elle est joyeuse et elle est triste. Elle est utile et elle ne l’est pas. Ceux pour lesquels le scandale est plus important que le spectacle se féliciteront qu’on ait parlé du scandale. L’aurait-on fait sans le spectacle ? Finalement le monde est bien fait : il est absurde et cela peut convenir à tout le monde. Regarder les matchs, mais les yeux ouverts. 

On ne se privera pas de foot à cause des corrompus de la Fifa, pas plus qu’on ne se privera de gaz à cause du Qatar ni de jouets de Noël à cause de Xi Jinping. « Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités », disait le gardien de but Albert Camus, autre prix Nobel. « J’appris tout de suite qu’une balle ne vous arrivait jamais du côté où l’on croyait. » La morale, comme le ballon, ne vient pas toujours du bon côté. 

Dans deux ans, Paris accueillera les Jeux Olympiques. Des jeux éthiques ? En diable.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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