Laurence Farreng : " On ne peut pas se dire "unis dans la diversité" d'un côté, et s'imposer le fait de parler tous la même langue de l'autre"

Laurence Farreng : " On ne peut pas se dire "unis dans la diversité" d'un côté, et s'imposer le fait de parler tous la même langue de l'autre"

Députée européenne et coordinatrice de la Commission parlementaire Culture, Éducation, Jeunesse et Sports pour son groupe Renew (MoDem), Laurence Farreng participe notamment au débat annuel sur le multilinguisme organisé par cette commission. Nous l’avons interviewée.

Le Parlement européen resterait un des derniers bastions où le multilinguisme serait préservé, est-ce vraiment le cas ?

Il est vrai que le Parlement européen met un point d’honneur à permettre aux députés de travailler autant que possible dans leur langue, mais c’est inhérent à son rôle d’assemblée démocratique. En effet, c’est notamment pour assurer une plus grande transparence devant les citoyens, et évidemment pour que la connaissance d’une autre langue ne soit pas un prérequis à l’élection (ce qui poserait un problème démocratique) que le Parlement promeut autant le multilinguisme.

Mais le français est également une langue de travail dans bon nombre d’institutions internationales : Cour européenne de Justice, ONU, UNESCO, OCDE …
Et il ne faut pas oublier l’existence du Centre de Traduction des Organes de l’UE, qui fêtait ses 25 ans l’année passée, et qui est entièrement dévolu au fonctionnement du multilinguisme dans l’Union européenne.

Dans votre quotidien de députée européenne, quel est la part de la langue anglaise dans vos travaux ?

L’anglais prend nécessairement une grande part dans le travail, et cela a malheureusement été exacerbé par la pandémie. En effet, il a fallu quelques mois d’adaptation avant que le Parlement n’investisse dans des plateformes de visioconférence permettant l’interprétation simultanée, et la nécessité d’agir vite pour protéger les Européens est souvent allée de pair avec une absence de traduction des documents de travail. C’est évidemment regrettable.

Dès que c’est possible je fais le choix d’utiliser le français, mais en temps « normal », il est nécessaire pour les députés de pouvoir discuter au détour d’un couloir, ou en bilatéral au cours d’une réunion de négociations, donc sans interprétation : c’est généralement l’anglais qui sert de langue de communication usuelle, car la plupart des députés le parlent et le comprennent.

Néanmoins, et surtout depuis le départ des députés britanniques, l’anglais habituellement utilisé dans les institutions européennes n’est pas vraiment académique, mais un dialecte propre à la bulle européenne, où se glissent quelques faux-amis ou mots et concepts intraduisibles au milieu des phrases pour faciliter la compréhension de chacun et chacune. On ne peut donc pas vraiment parler d’une omniprésence de l’anglais, mais plutôt d’un « patois » européen fondé sur l’anglais.

A noter également : un grand nombre de députés de toute l’Europe sont francophones, tout comme le personnel des institutions, car résidant généralement en Belgique, en France ou au Luxembourg. Le français a encore de beaux jours devant lui dans les institutions européennes, surtout avec l’arrivée, en janvier, de la Présidence française de l’Union européenne, qui a prévu de mettre à l’honneur notre diversité linguistique et culturelle.

Laurence Farreng au Parlement européen – © European Union 2021 – Source : EP

Comment ressentez-vous cela ? Cette place de l’anglais est-elle préjudiciable dans votre travail ?

Le Parlement est un lieu où la communication interne est essentielle, car le compromis entre députés de différents bords est ce qui fait tourner la machine, donc il est nécessaire de devoir parfois s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne. Cela n’est pas toujours facile car souvent les discussions sur des sujets pointus, comme la régulation du numérique par exemple, deviennent très techniques, et des mots et concepts utilisés en anglais ne recoupent pas toujours exactement la même chose dans une autre langue de l’Union, ou n’existent tout simplement pas. C’est problématique car cela peut créer, en cas de forte incompréhension, un problème juridique ou un blocage politique. Pour éviter ces cas de figure, quelques députés font le choix de prendre des cours d’autres langues en début de mandat.

En quoi est-ce important de vouloir défendre l’usage du français dans les institutions européennes ?

Il est important de pouvoir défendre non seulement le français, mais aussi les autres langues officielles de l’Union, à la fois pour garantir la participation des citoyens, mais aussi pour la communication de l’Union européenne : beaucoup de citoyens se plaignent que l’Union leur paraît trop distante, et il est vrai que la première étape devrait être la traduction systématique de toutes les pages internet de l’Union européenne dans les 24 langues. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, et c’est pourtant fondamental.

Plus largement, il en va aussi des valeurs européennes que nous portons : on ne peut pas se dire « unis dans la diversité » d’un côté, et s’imposer le fait de parler tous la même langue de l’autre. En commission de la culture et de l’éducation, où je siège, nous organisons chaque année un événement autour du multilinguisme, pour débattre de la façon dont il peut (et doit) être sauvegardé, et depuis longtemps est établi un consensus entre nous : la « culture européenne » est en fait un rassemblement de cultures, de traditions et de langues vivantes, nourries par leurs échanges et leurs histoires.

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