Avec près de 3 millions d’expatriés français, notre communauté nationale hors de France ne cesse de croître. À la fois multiples et également uniques, plusieurs noms sont utilisés pour qualifier nos ressortissants vivant au-delà des frontières nationales. Pourquoi autant de synonymes ? Ne serait-ce que dans cette présentation, trois termes différents viennent d’être employés. Dès lors, ne serait-il pas possible de s’accorder sur un seul terme afin de consolider l’idée d’une communauté française unie à l’étranger ? Ainsi, le mot de « diapora » émerge. Mais est-il le plus juste ? Pour y répondre, Lesfrancais.press a interrogé deux expertes. Interview croisée entre d’une part, Marie-Christine Peltier-Charrier, docteure en anthropologie sociale, chercheure associée au Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) au CNRS EHESS. Et, d’autre part, Laure Pallez, ancienne élue des Français de l’étranger aux Etas-Unis, et co-fondatrice du think tank « La France et le monde en commun ».
Une diversité d’identités pour les Français de l’étranger
Lesfrancais.press : « Marie-Christine Peltier-Charrier, vous avez notamment publié un livre intitulé « Les Français de l’étranger comme catégorie politique », selon vous, les Français de l’étranger sont-ils multiples ou bien forment-ils une seule communauté ? »
Marie-Christine Peltier-Charrier : « Il y a une communauté française liée à la nationalité et à la pratique de la langue alors que les Français de l’étranger n’appartiennent pas tous, malgré l’image largement véhiculée, au cosmopolitisme global de prospérité, ils peuvent être entrepreneurs ou travailleurs clandestins, étudiants ou retraités. »
Lesfrancais.press : « Laure Pallez, vous avez exercé le mandat de Conseillère des Français de l’Etranger et vous êtes co-fondatrice du Think Tank « La France et le monde en commun », si l’on prend le nom de votre organisation, cette recherche d’unité, de partager un « monde en commun » est-elle importante chez les Français de l’étranger ? »
Laure Pallez : « La genèse de ce nom remonte à l’aventure sénatoriale de 2021. À l’époque, on cherchait un nom qui rassemble à la fois au-delà des frontières et conserve également notre ADN français.
« Nous, Français de l’étranger, avons en commun le monde et la France. »
Laure Pallez, confondatrice du Think Tank « La France et le monde en commun»
C’est tout naturellement que la rencontre des deux cercles ou encore « la lentille» (ndrl : intersection de deux cercles de même rayon) a accouché sur « France et Monde en commun » qui porte, avec fierté, notre double identité. Nous, Français de l’étranger, avons en commun le monde et la France. C’est une richesse personnelle mais également un atout pour la France. Bref, la rencontre de l’intime et la confrontation au monde extérieur, à l’autre finalement. Notre think tank est un espace de débats autour des Français de l’étranger et de l’international. Dans ce cadre, nous sommes toujours ouverts à des apports extérieurs ! »
Lesfrancais.press : « Marie-Christine Peltier-Charrier, plusieurs mots sont employés pour désigner nos ressortissants vivant hors de France. En plus de celui d’expatriés, on utilise soit l’expression d’« exilés » ou bien « vivant à l’étranger », ou encore « établis hors de France », mais très rarement le mot « diaspora », y a-t-il une raison à cela ? »
Marie-Christine Peltier-Charrier : « La diversité des appellations employées illustre la façon dont ces Français formalisent leur inclusion /exclusion, en prenant en compte à la fois leurs comportements sociaux et le double système institutionnel dans lequel ils vivent. Le remplacement du terme officiel de « Français établis hors de France » par une variété de formules renvoie à l’instabilité de leur identité, à la diversité de leurs situations. Elle exprime la tension entre les deux pôles de leur existence, mais aussi le lien qui les unit à la France, aux rapports entre pays de résidence et pays d’origine.
« Le remplacement du terme officiel de « Français établis hors de France » par une variété de formules renvoie à l’instabilité de leur identité, à la diversité de leurs situations. »
Marie-Christine Peltier-Charrier, docteure en anthropologie sociale, chercheure associée au Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) au CNRS EHESS
Le terme de diaspora renvoie à un « ensemble de pratiques dans lesquelles l’identification avec la mère-patrie est à la base de l’organisation des activités culturelles, économiques, sociales qui traversent les frontières nationales »[1] . Ce terme permet d’inclure comme membre d’une diaspora particulière, ceux qui se considèrent non seulement comme des nationaux et des binationaux vivants à l’étranger mais aussi des personnes originaires du pays concerné qui en ont perdu la nationalité[2]. »
[1] Friedman, Jonathan 2003, “Globalization , dis-integration , reorganization” , p.9inFriedman, Jonathan (ed) Globalization, The state and violence , Walnut creek , CA, Alta Mira Press, p.1-34.
[2] Collyer, Michael, 2013,” Locating and narrating emigration nations” p. 7 .in Collyer, Michael(ed)
Lesfrancais.press : « Laure Pallez, sur le site internet de votre Think Tank, vous avez publié un article intitulé « Les Français de l’étranger sont-ils une diaspora ? » signé par Marie-Christine Peltier-Charrier. Mais pour vous, le mot « diaspora », serait-il plus pertinent que le mot « expatrié » pour désigner les Français de l’étranger ? »
Laure Pallez : « Français établis hors de France, Français de l’étranger, diaspora, expatriés, parfois binationaux…Quel terme définit le mieux notre magnifique communauté ? Dans son article, l’anthropologue Marie-Christine Peltier Charrier avec laquelle nous travaillons régulièrement reprend la définition très juste de Jonathan Friedman, comme cela vient d’être évoqué dans la réponse précédente.
Selon nos baromètres, 80% des Français de l’étranger sont installés durablement dans leur pays d’accueil et seul 1 Français sur 5 envisage un retour en France. Ces chiffres tendent à nous placer durablement dans la catégorie diaspora si on reprend la définition de Jonathan Friedman, mais cela reste ouvert.
Dans les postes consulaires, on parle par exemple de « diaspora scientifique » comme un atout pour la France. Les diplomates recensent et animent cette communauté de scientifiques français par des rencontres, des mises en réseau, des partages d’expérience sous forme de « cafés des sciences ».
« Dans les postes consulaires, on parle par exemple de « diaspora scientifique » comme un atout pour la France. »
Laure Pallez, confondatrice du Think Tank « La France et le monde en commun»
Plusieurs questions se posent : quelle est la taille de cette diaspora scientifique? Est-elle permanente ou de passage à l’étranger ? Un scientifique qui a une première expérience à l’étranger revient-il en France un jour ? Nous travaillons actuellement à cette question essentielle avec une communauté de chercheurs.
Un autre élément marquant: en moyenne, 1 Français sur 3 établi à l’étranger est binational – selon le dernier rapport du gouvernement sur la situation des Français établis hors de France. Fort de ces chiffres, on constate que le sujet de la binationalité en politique épouse de plus en plus les développements de la mondialisation. Des représentants binationaux, en France et à l’étranger, ont beaucoup à apporter à notre pays par les liens qu’ils peuvent créer avec les administrations étrangères tout en respectant une éthique personnelle propre à leur engagement pour notre pays. Un équilibre fragile mais nécessaire pour construire des ponts entre les mondes, en ces temps si troublés ! »
Lesfrancais.press : « Marie-Christine Peltier-Charrier, finalement, nos Français à l’étranger sont constitués de plusieurs diasporas, et non pas d’une seule ? »
Marie-Christine Peltier-Charrier : « La catégorie politique de Français de l’étranger renvoie au lien issu d’un processus social et politique formalisé par le droit, et à son appropriation par ces Français. Il s’agit donc d’une population de nationalité française, et des binationaux dont l’une des nationalités est française, puisque cette nationalité est génératrice du processus.
« La catégorie politique de Français de l’étranger renvoie au lien issu d’un processus social et politique formalisé par le droit »
Marie-Christine Peltier-Charrier, docteure en anthropologie sociale, chercheure associée au Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) au CNRS EHESS
Ce rapport consubstantiel explique que le terme de « diaspora » ne soit pas employé par le corpus rencontré lors de cette étude qu’il s’agisse des résidents à l’étranger, des élus les représentant ou des diplomates puisqu’il s’agit uniquement d’une population ayant la nationalité française[1] » .
[1] Peltier-Charrier, Marie– Christine, 2021, “Les Français de l’étranger comme catégorie politique“, Paris, Lextenso.
Lesfrancais.press : « Laure Pallez, au sein de votre Think Tank, « La France et le monde en commun », n’est-ce pas davantage la francophonie qui réunit l’ensemble des expatriés que le concept de diaspora ? »
Laure Pallez : « Nous avons, il est vrai, le français en commun même si je pense aux 60% d’enfants français qui ne sont pas scolarisés dans les lycées français de l’étranger faute d’une offre adaptée et d’une scolarité abordable et que nous avons laissés filer sans réagir au fil des ans et qui, souvent, génération après génération ne maîtrisent plus le français. En matière de francophonie nous avons réalisé de nombreux travaux et proposé des pistes d’amélioration des dispositifs existants en 2024, année forte pour la francophonie. Il faut aussi une prise de conscience. Rayonnement culturel et éducation vont de pair mais une projection sur deux décennies est souhaitable !
Auteur/Autrice
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Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
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