Deux démissions sans précédent et une crise ouverte dans la principale association de gauche des Français de l’étranger : la présidente Claudine Lepage, ex sénatrice et pilier de l’association depuis les années 90 a décidé de tirer sa révérence dans une annonce au Bureau national datant du 22 octobre. Une démission suivie de près par celle de Philippe Moreau, son dévoué secrétaire général issu comme elle des réseaux militants de Munich. L’annonce a surpris des adhérents plutôt habitués à regarder avec distance les affaires du siège parisien et qui sont attachés à la figure respectée de cette ex enseignante spécialiste des questions éducatives et culturelles, élue en 2015 à la tête de l’association après une entrée au Sénat en 2008. La double démission n’a pas étonné cependant les membres des instances qui avaient constaté une dégradation nette de l’ambiance de travail à FDM ces dernières semaines.
Un climat délétère depuis la dernière assemblée générale
Claudine Lepage, qui reste en fonction jusqu’à mi novembre pour expédier les affaires courantes, a évoqué les raisons de son départ dans une lettre interne diffusée aux adhérents et que Lesfrançais.press a pu se procurer : elle y évoque « un climat délétère » au sein du nouveau Bureau issu de la dernière assemblée générale de la fin août. Cette AG a accouché d’un paradoxe évoqué par la présidente : si le rapport d’activité a été adopté à l’unanimité, quatre membres du Bureau sortant sur les sept existants se sont vus sanctionnés par le vote des adhérents. Autant de conséquences possibles de la dernière sénatoriale qui a vu les socialistes de l’étranger se diviser autour des candidatures de Ségolène Royal, Laure Pallez et Yan Chantrel.
C’est ce dernier, élu consulaire résidant au Canada, et l’écologiste de Bruxelles Mélanie Vogel qui ont été finalement élus au Sénat. Français du monde n’a pas pu jouer son traditionnel rôle fédérateur, n’évitant pas la multiplication des listes et pesant peu sur la victoire de Chantrel et Vogel. L’élection de ces deux jeunes sénateurs de gauche s’est jouée très largement en dehors du cénacle d’une association plus affaiblie que par le passé où elle arrivait à disputer aux partis le leadership d’influence pour ouvrir les portes du Sénat à ses membres. Le nombre d’élus consulaires qui adhèrent aujourd’hui à l’association est d’ailleurs moindre que par le passé. Et l’époque où une Monique Cerisier Ben Guiga, première élue socialiste à rentrer au Sénat pour représenter les Français de l’étranger, dirigeait d’une main de fer l’association et les réseaux associatifs de gauche pour les mettre en ordre de bataille lors des élections AFE semble appartenir à un passé révolu.
Les divisions de la sénatoriales ont pesé… mais pas seulement
Les douloureuses divisions de la sénatoriale ont pesé et visiblement incité une partie de la base adhérente à remanier le Conseil d’administration pour limiter la présence des militants proches ou membres du PS et en particulier de ceux qui avaient joué un rôle considéré comme diviseur à la sénatoriale et qui étaient vus comme des éléments de blocage du fonctionnement du siège. Plus largement, c’est la déconnection progressive entre les sections et le siège qui a été dénoncée par les partisans du changement.
Christophe Courtin, qui participait à sa première AG fin août le dit clairement : « une partie de la ligne associative et politique portée par l’ancien Bureau ne me convenait pas, elle devait être modifiée. L’épisode des sénatoriales et le débat sur la CFE*, le montraient. Il y a eu une clarification à l’AG ».
Le vice-président de l’association, François Boucher, évoque aussi les traces laissées par les récentes échéances politiques : « Nous avons déploré comment les dernières élections consulaires, AFE, sénatoriales, et CFE, ont été vécues à FDM avec des soutiens qui n’étaient pas à la hauteur des enjeux et ont fait de nombreux mécontents. Cela ne va pas plus loin ! Bien sûr lorsque vous espériez être élu ou que vos copains le soient, vous pouvez réagir de manière disproportionnée et parfois bien loin de nos valeurs humanistes et démocratiques ».
Bérangère El Anbassi-Borrewater, membre du Bureau national, l’affirme aussi sans détour : « depuis plus d’un an, un grand nombre de nos sections réparties sur tous les continents se sentaient délaissées par le siège parisien. Les responsables de l’époque n’ont pas pris la mesure de ce sentiment largement partagé ». La déconnection avec les sections aurait été en particulier manifeste au moment des dernières élections consulaires de mai 2021. Et les législatives au printemps 2022 sont venues enfoncer le clou : «Il ne faut pas se voiler la face, le PS a toujours été influent au sein de FDM mais avec l’arrivée de la NUPES, la donne a changé et certains ont misé sur le mauvais cheval. Ce sont de mauvais perdants qui maintenant tentent de créer la zizanie au sein de l’association ».
Guillaume Grosso, membre du PRG et président de section à Genève, fait partie des nouveaux entrants au CA et évoque, dans ce contexte troublé, la volonté de rassembler qui l’a animé à son arrivée dans les instances afin que « les blessures du passé soient vite oubliées ».
Mais la nouvelle majorité au CA et au BN a pourtant très vite décidé de mener la vie dure à une présidente pourtant respectée pour son dévouement et son parcours politique et associatif. Claudine Lepage n’a donc pas mâché ses mots face aux critiques internes qui se développaient depuis la rentrée de septembre. Elle a déploré la remise en cause systématique du travail des équipes passées, une entreprise de démolition bien éloignée des habituelles valeurs de bienveillance prônée par la « charte de Cachan », la constitution associative de FDM qui insiste sur l’humanisme et la transparence démocratique.
Pour le secrétaire général sortant, ces valeurs ont été effectivement foulées au pied : la gouvernance de l’association s’est trouvée altérée en quelques semaines et Philippe Moreau s’est très vite senti « mis sous surveillance ». « Les accusations calomnieuses proférées à l’encontre d’une des salariées de l’association » et les tensions internes ont abouti à une « cacophonie brouillonne totalement inefficace », amenant au départ inéluctable de ce militant pourtant expérimenté.
Demain, un fonctionnement « moins politicien » ?
Le son de cloche est très différent du côté des promoteurs du changement de direction. Anne Henry est résidente à Francfort. Elle est très investie dans la promotion des projets FLAM et est une membre écoutée du Conseil d’administration : elle évoque un changement démocratique issu de l’AG et souhaite à l’avenir une gouvernance d’association « moins politicienne », « plus collégiale » avec un « resserrement des liens avec les sections réparties dans le monde entier ». Elle qui a joué un rôle significatif dans la promotion de la candidature au Sénat de Yan Chantrel travaillera à la relance associative avec le nouveau Bureau.
Catherine Smadja-Froguel, présidente de la section du Royaume-Uni, qui a fait son entrée au Bureau national en août dernier, « veille à laisser les questions politiques au vestiaire ». Elle évoque le recentrage sur des sujets de fond comme l’inflation mondiale « qui affecte nos compatriotes les plus fragiles » ou « l’augmentation des frais de scolarité ». La nouvelle trésorière de l’association a déjà fort à faire pour tenir un budget et des comptes qui seront regardés de près à cause de cette transition précipitée.
Celle qui est haute-fonctionnaire issue de l’administration des finances conclut avec une pointe de malice : « pour celles et ceux qui souhaitaient utiliser ou avaient utilisé l’association pour leur promotion politique, ce n’est peut-être pas une bonne nouvelle ».
Une association extrêmement politique à ses origines
L’association ADFE devenue Français du Monde a été créée en mars 1980 par des proches de François Mitterrand sur des bases très politiques, sans que cela n’offusque personne. Répondant à l’omnipotence de la droite à l’étranger qui contrôlait jusque-là les élections locales et le Sénat sur le collège des Français de l’étranger, la gauche hors de France s’était ainsi dotée d’un bras armé électoral et d’un réseau mondial fondé sur l’action locale de ses membres constitués en sections. Si la base de ADFE FDM a toujours été composée de militants associatifs, son Bureau a quant à lui toujours été présidé par des personnalités politiques membres du parti socialiste. L’élection du ou de la future présidente de FDM sera donc regardée avec attention car elle pourrait signifier la perte de la direction de l’association par un PS affaibli qui ne compte plus que deux sénateurs contre quatre il y a dix ans : l’ex ministre Hélène Conway-Mouret et Jean-Yves Leconte joueront d’ailleurs leur réélection en 2023 s’ils confirment leur candidature attendue.
La revendication d’un recentrage sur l’associatif
Le souhait officiel de recentrage associatif peut apparaître dans ce contexte très politique comme le signal d’une transition forte souhaitée par une majorité d’adhérents de base. Rééquilibrage géographique, valorisation plus nette du travail local, aide financière des sections, la transition, si elle a lieu, a généré des tensions au niveau central. Un Yalta interne au réseau de gauche de l’étranger serait peut-être en préparation : l’associatif à FDM, la gestion des élections et des affaires partisanes aux partis.
Mais ce rêve d’une association « à l’état pur » est-il pour autant réaliste ? Tant que les élus consulaires se revendiquant de FDM participeront à l’élection sénatoriale et joueront un rôle dans les campagnes législatives, la création d’une identité 100 % associative relèvera du voeu pieux, de l’idéalisme ou dans certains cas, de la pure posture tactique. Alors que la nouvelle identité visuelle de l’association va être présentée bientôt, nous saurons demain à quoi ressemblera cette « Maison commune » de la gauche associative de l’étranger. Ce nouvel étendard sera-t-il capable de rassembler une gauche aujourd’hui en quête d’unité mais qui a encore du chemin à faire pour ne laisser aucun militant sur le côté ? Les socialistes seront-ils au fond les seules victimes de ce jeu de chaises musicales ? FDM sortira-t-elle renforcée de cet épisode dont beaucoup se seraient dispensés ?
Une crise en forme de transition salutaire ?
Claudine Lepage, malgré l’annonce de sa démission, se voulait rassurante en nous écrivant le jour de la Toussaint que « l’association continuera à fonctionner car la continuité est assurée ». Une volonté de dédramatiser partagée par le président du groupe Ecologie et Solidarité à l’Assemblée des Français de l’Etranger, Baptiste Heintz, qui a tenu à saluer le « sincère sens des responsabilités » de Philippe Moreau et Claudine Lepage qui « ont préféré céder leurs places » alors qu’ils ne se retrouvaient pas dans la nouvelle orientation attendue de l’association. Au fond beaucoup réalisent aujourd’hui qu’il ne sera pas simple de remplacer une personnalité aussi expérimentée que Mme Lepage. Les militants ont visiblement été nombreux à lui rendre hommage sur le forum de l’association. Comme un parfum de regrets ? Claudine Lepage et Philippe Moreau resteront membres du conseil d’administration, leur démission ne concernant que leurs rôles au sein du Bureau. Une influence conservée dans les instances qui pourrait être utile pour conseiller (ou recadrer?) la nouvelle équipe dirigeante.
L’équipe des Français.Press souhaite le meilleur au nouveau Bureau de FDM et se tiendra informée des résultats de l’élection d’un nouveau Président(e) et d’un nouveau Secrétaire général(e).
*Cet été, la liste présentée par le groupe de gauche à l’AFE à l’élection de la caisse des français de l’étranger (CFE) n’avait pas été soutenue par le Bureau national de FDM et l’avait pourtant emporté. Une faute politique reprochée par certains aux membres du BN sortant.
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