Catherine Colonna, nouvelle Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a ouvert le 9 juin la conférence annuelle de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union Européenne. Elle y a prononcé le premier discours qui donne sa vision globale de la politique de sécurité commune.
La guerre d’Ukraine donne un nouveau relief à ce qui paraissait hier encore convenu : boussole stratégique, industrie de défense, capacité de déploiement rapide, boussole stratégique, OTAN… la nouvelle Ministre des Affaires étrangères espère avoir plus de chance de se faire entendre avec le retour de la guerre en Europe.
En revanche, si elle évoque la « Communauté politique européenne », elle ne précise pas plus avant son contenu. A propos de l’Afrique et de l’Indopacifique, deux échecs français, en invoquant le temps long, elle annonce que les luttes d’influence ne font que commencer et que les Européens feraient mieux de s’y intéresser et de ne pas laisser la France seule. En revanche, rien sur les menaces nouvelles, très proches, au Moyen-Orient et en Méditerranée. Ce sont peut-être des sujets trop brûlants.
Nous publions le discours de Catherine Colonna, qui risque d’être une référence. Nos lecteurs pourront ainsi se faire une idée par eux-mêmes.
« Le retour de la guerre sur notre continent, à nos frontières, a bouleversé le paysage géopolitique. L’agression de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier, dans le prolongement de l’annexion illégale de la Crimée et de l’intervention armée dans l’Est de l’Ukraine, initiées en 2014, de même que les violations répétées du droit international par Moscou, ont ravivé des réflexions au long cours sur l’ordre politique international, sur l’architecture européenne de paix et de sécurité, sur le respect du droit international, mais aussi sur les notions de souveraineté et de responsabilité.
La guerre en Ukraine constitue un tournant, elle a des répercussions globales, d’ordre stratégique, d’autres recompositions ont cours, loin de nos frontières.
Les décisions prises par de nombreux pays européens de réinvestir massivement dans leur défense, de se porter candidats à l’adhésion à l’OTAN ou à l’Union européenne, ou de participer pleinement à l’action de l’Union européenne en matière de sécurité et de défense, sont autant d’illustrations visibles des recompositions qui sont à l’œuvre et sont appelées à se poursuivre. Elles vont aujourd’hui dans le sens d’une plus grande unité des Européens et d’un renforcement simultané de l’Union européenne et de l’OTAN.
La guerre en Ukraine constitue un tournant et restera un défi pour toute une génération d’Européens. C’est une véritable tragédie pour le peuple ukrainien, elle a aussi des répercussions globales, d’ordre stratégique, car d’autres recompositions ont cours, loin de nos frontières, mais aussi sur le quotidien des populations à travers le monde qui subissent, comme conséquences de la guerre choisie par la Russie, les pressions inflationnistes sur les produits de base tels que le pétrole, le gaz et le blé, avec des effets potentiellement catastrophiques dans les pays les plus vulnérables.
Si le retour de la guerre en Europe était un test pour notre solidité, pour notre solidarité et pour notre unité, ce test, nous l’avons réussi. Nous sommes aujourd’hui renforcés dans notre unité, renforcés dans notre solidarité. Cette guerre a aussi rappelé la nécessité d’une Union européenne qui soit mieux armée pour faire face à la compétition croissante entre les puissances, qui soit capable de faire face à des crises de haute intensité et capable de devenir un véritable partenaire de confiance et un partenaire autonome.
À cet égard, ces derniers mois ont été riches d’enseignement, ô combien. Ils ont d’abord montré que l’impulsion que nous avons donnée depuis 2017 pour doter l’Union européenne d’outils en matière de sécurité et de défense était pertinente. Je pense notamment à la Facilité européenne de paix, que nous avons bien fait de créer, et qui nous a permis d’apporter un soutien militaire rapide et décisif à l’Ukraine, avec 2 milliards d’euros, dont plus de 92% désormais de matériel létal.
Je veux ensuite souligner la contribution essentielle et structurante que constitue l’adoption d’une Boussole stratégique, à la fois ambitieuse et réaliste. Ce premier Livre blanc de la défense européenne à l’horizon 2030 est un signal stratégique majeur face à la dégradation inédite de notre environnement de sécurité entraîné notamment mais pas seulement par la guerre en Ukraine.
Nous devons éviter d’analyser les défis d’aujourd’hui et de demain avec le regard et les schémas d’hier
En se dotant d’une feuille de route pour les dix prochaines années, l’Union européenne franchit un nouveau cap dans sa politique de défense et de sécurité pour faire face au retour de la compétition de puissances, à la persistance de crises dans son voisinage et pour agir partout où son action est sollicitée et où ses intérêts sont en jeu. Elle se donne ainsi pour vocation de devenir un véritable acteur géopolitique, au service de la paix, du droit, de la sécurité et de la stabilité, dans son environnement géographique proche comme dans les espaces stratégiques contestés ; je pense bien sûr au cyber, au spatial, au maritime ou à l’aérien.
C’est parce que nous devons éviter d’analyser les défis d’aujourd’hui et de demain avec le regard et les schémas d’hier, que l’entrée des Européens dans cette « nouvelle ère » rend d’autant plus essentielle la mise en œuvre, non seulement concrète mais complète de notre Boussole stratégique.
Accélérer le renforcement de notre base industrielle et technologique européenne
À cet égard, je voudrais relever plusieurs points qui nécessiteront une vigilance constante des Européens pour les prochaines années.
D’abord, nous devrons accélérer le renforcement de notre base industrielle et technologique européenne et en résorber les lacunes critiques. Il y en a. Il nous faut pour cela entretenir la dynamique enclenchée au Sommet de Versailles, au mois de mars et au Conseil européen, tout récemment, en concrétisant les propositions de la Commission et du Haut Représentant. En particulier, il nous appartiendra d’adopter rapidement les propositions législatives sur la mise en place à court terme d’une task- force conjointe d’acquisition de défense et à plus long terme, d’un programme pérenne d’investissement européen ambitieux.
Une capacité de déploiement rapide, une présence maritime coordonnée
Deuxièmement, dans le domaine des opérations européennes, nous devrons opérationnaliser les propositions de la Boussole visant à rendre l’UE plus robuste et plus agile, en capitalisant notamment sur l’expérience sahélienne. Je pense en particulier à la capacité de déploiement rapide, aux présences maritimes coordonnées et aux modalités d’un recours accru à l’article 44 du traité qui ont déjà fait, vous le savez autant que moi, l’objet de très nombreux échanges.
Troisièmement, nous devrons également faire de l’Union européenne un acteur de sécurité incontournable dans les nouveaux espaces contestés, je le mentionnai il y a un instant, avec le développement de nouvelles stratégies sur le spatial de défense, la politique de cyberdéfense et en matière de sécurité maritime. Les différents outils qui composeront la boîte à outils hybride et qui permettront de mieux faire face aux tactiques dites grises, utilisées par nos compétiteurs sont non seulement essentiels, mais aussi indispensables.
Quatrième point de vigilance, nous devrons ensuite articuler davantage les instruments dont nous disposons pour conduire un politique étrangère globale qui soit au service de nos valeurs et de nos intérêts. Notre action à l’égard de chaque région du monde ne peut plus être prise isolément, et il nous appartient d’apporter des réponses pluridimensionnelles, comme nous le faisons face à la crise ukrainienne. Nous savons le faire, nous venons de le démontrer. Développons ce modèle. Il y a bien d’autres sujets et bien d’autres territoires.
La réponse à la guerre en Ukraine a souligné l’unité de la « famille transatlantique » et la formidable complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN.
Enfin, et ce n’est pas mince, nous devrons poursuivre notre réflexion commune sur la manière de faire évoluer nos partenariats, afin que, plus que jamais, nous répondions au besoin d’une approche collective, cohérente et complémentaire pour défendre nos valeurs et l’ordre international basé sur des règles.
Je pense tout d’abord à nos partenaires traditionnels en matière de sécurité et de défense, au premier rang desquels les États-Unis et, pour les États qui en sont membres, l’OTAN. La réponse à la guerre en Ukraine a souligné l’unité de la « famille transatlantique » et la formidable complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN. L’Alliance transatlantique est le fondement, évidemment, incontestable de la défense collective des États qui en sont membres.
Disposer de tout l’éventail des capacités et des ressources pour agir de manière autonome et décisive
Et parallèlement, en complément, en appui, ensemble, nos efforts pour construire une Europe plus souveraine en matière de défense ne feront que renforcer l’Alliance, car les capacités que nous développerons profiteront également à l’OTAN. Il est en revanche indispensable, lorsque les Européens doivent prendre leurs responsabilités pour assurer la réponse à une crise faisant peser une menace directe sur leurs intérêts, que nous disposions de tout l’éventail des capacités et des ressources pour agir de manière autonome et décisive.
Vient ensuite la question de la manière d’optimiser nos relations avec les pays de la famille européenne qui ne sont pas, ou pas encore, ou plus, pour l’un d’entre eux, dans l’Union européenne, au profit de notre sécurité commune. La guerre en Ukraine, j’y reviens une fois encore, a souligné plus que jamais les valeurs mais aussi les défis que nous avons en commun. Nous devons donc bâtir un espace qui permette de nous réunir et d’échanger, sans chercher à dupliquer ni à déposséder des organisations existantes. C’est tout l’esprit du projet de Communauté politique européenne proposée par le Président de la République. Cette communauté n’est pensée ni comme une alternative, je veux le répéter, ni, évidemment, comme une tentative d’entrave au processus d’élargissement. C’est un objectif en soi que de dynamiser le processus d’élargissement, sans attendre l’adhésion, et de trouver une base pour multiplier dès à présent, le plus vite possible, les coopérations concrètes avec l’Union européenne.
Afrique et l’espace indopacifique
Enfin, je souhaiterais enfin évoquer les relations avec les partenaires au- delà de notre continent, avec lesquels notre sécurité est pourtant intrinsèquement liée. Je pense notamment aux deux géants que nous avons pour voisins : l’Afrique et l’espace indopacifique.
S’agissant de l’Afrique, nous avons tracé des perspectives avec le Sommet UE-Union africaine. Les défis sont immenses, nous le savons bien, nous le mesurons chaque jour, en particulier au Sahel, et nos compétiteurs stratégiques s’emploient avec un réel talent à nous décrédibiliser et à tenter de gagner du terrain à nos dépens. Nous devons faire preuve de patience stratégique, car je suis convaincue que l’intérêt des Africains comme des Européens, à long terme, est d’avancer main dans la main. Je souhaite que nous ayons bien cette perspective et cet impératif en tête. Parions sur le long terme et sur notre avenir commun.
S’agissant enfin de l’Indopacifique, il s’agit d’un espace essentiel pour nos intérêts. Là, se jouent également les équilibres stratégiques et le futur du multilatéralisme. Le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indopacifique qui s’est tenu en février a permis d’incarner l’engagement européen à travers des actions concrètes de coopération pour mettre en œuvre la stratégie européenne. Il nous faut, la route étant tracée, la suivre et ne pas perdre en élan.
Sortir d’une certaine forme de naïveté
Face à la fragmentation du monde, face à la tentation du repli, face au recul du respect des normes, ou face tout simplement à l’absence de norme, l’Europe ne peut se résigner à être spectatrice du retour à une logique de puissances qui pourrait compromettre sa sécurité et ses valeurs. Tous ces aspects sont essentiels pour concrétiser cette souveraineté européenne, à laquelle nous nous sommes efforcés de donner davantage corps, avec succès, je crois, tout au long de notre Présidence du Conseil de l’Union européenne.
Cette notion de souveraineté européenne est d’abord le signe que l’Europe est en train de sortir d’une certaine forme de naïveté pour faire face, comme elle le doit, de manière unie et solidaire à un environnement stratégique qui est de plus en plus dangereux »
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