Le 21 novembre 1806 à Berlin, Napoléon prend un décret interdisant le commerce avec les îles britanniques. Ce décret instaure le fameux blocus continental dont l’objectif était d’asphyxier la « perfide Albion ». À défaut de pouvoir vaincre les Britanniques en débarquant sur leur sol, Napoléon avait décidé de s’engager dans une guerre économique de grande ampleur. Si ce blocus fut l’un des plus importants de l’histoire, il ne fut pas le premier. Un des plus anciens répertorié par les historiens date, en effet, de la guerre du Péloponnèse (431 à 404 avant notre ère). D’autres suivirent, du siège de Constantinople aux embargos contre l’Iran ou la Corée du Nord en passant par le blocus de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale.
Les trains de sanctions commerciales mis en œuvre à l’encontre de la Russie sont sans précédent
Les embargos et, plus largement, les sanctions économiques sont des armes à double tranchant car pénalisant les deux parties, les États subissant les sanctions et ceux qui y sont à l’origine. Ils désorganisent les circuits de production et frappent durement les populations concernées. Ils provoquent des réactions en chaine avec la prise de mesures de rétorsion. Le succès de tels dispositifs est souvent difficile à apprécier. L’efficacité d’un embargo suppose que tous les acteurs en acceptent les règles. Le blocus continental napoléonien contre l’Angleterre ne fut jamais étanche, plusieurs pays dont la Russie, surtout à partir de 1811, n’ayant pas joué le jeu. Face à l’importante baisse du chiffre d’affaires des commerçants et des industriels, à plusieurs reprises, l’Empereur fut contraint d’assouplir son décret et d’accepter la reprise des échanges avec l’Angleterre. A contrario, l’économie britannique a gagné en résilience, ce qui a facilité son décollage lors de la première révolution industrielle.
Les trains de sanctions commerciales mis en œuvre à l’encontre de la Russie depuis le début de l’invasion de l’Ukraine sont sans précédent même si elles n’échappent pas aux règles de la diplomatie. Celles-ci demeurent graduées afin d’éviter une montée aux extrêmes. Il ne faut pas oublier que, pour reprendre la formule de Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », cela vaut évidemment pour la guerre économique et tout particulièrement pour celle qui concerne l’Ukraine et la Russie.
Cette dernière n’a pas décidé de pratiquer la politique de la terre brûlée en fermant le robinet du pétrole et du gaz, comme elle le fit en incendiant Moscou en 1812 après l’arrivée de Napoléon afin de le priver de toutes subsistances. Les Occidentaux pour éviter l’apparition de divisions ont prudemment exclu des sanctions ces deux produits indispensables à leur économie.
Au nom de la préférence donnée à la vie sur l’économie, la lutte contre l’épidémie de covid-19 a entrainé la plus grande récession de ces soixante-dix dernières années. Aujourd’hui, les pays occidentaux doivent faire face à un nouveau choc économique, conséquence de la guerre en Ukraine et des sanctions prises à l’encontre de la Russie. La hausse des cours menace la croissance de nombreux pays et en premier lieu ceux qui sont en voie de développement. Dans de nombreux pays, le pouvoir d’achat des ménages et les taux de marges des entreprises s’érodent. Les conséquences de cette guerre ne doivent évidemment pas faire oublier que cette dernière constitue une épreuve morale et physique pour les populations directement concernées, et ne doivent pas être sous-estimées.
Dans un passé proche, les augmentations du prix des céréales et de l’énergie ont généré de nombreuses émeutes et révolutions en particulier au sein des pays les plus pauvres. La guerre commerciale contre la Russie ne doit pas aboutir à une légitimation du protectionnisme au nom du souverainisme économique dont seraient ensuite victimes les pays émergents et en développement. Si tel était le cas, l’embargo perdrait en force rapidement et pourrait amener à une partition du monde.
La guerre en Ukraine amène les États à ne pas désarmer les dispositifs exceptionnels institués lors de la crise sanitaire
S’ils doivent répondre aux problèmes conjoncturels des consommateurs et des producteurs, les gouvernements occidentaux ne peuvent pas, pour autant, se résoudre à un maintien indéfini du « quoi qu’il en coûte » sans prendre le risque, à terme, d’une implosion financière.
La crise sanitaire vécue comme une guerre a conduit les autorités à s’immiscer dans la gestion de l’économie privée en multipliant les aides, répondant ainsi à la demande des populations. La guerre en Ukraine amène les États à ne pas désarmer les dispositifs exceptionnels institués lors de la crise sanitaire. De temporaire, ils ont tendance ainsi à devenir pérennes. Pour les administrations, le retour aux situations antérieures, aux situations d’avant-crise a toujours été délicat. Il est difficile de se priver de moyens de pression.
La demande de soutien public tend à devenir automatique.
Pour les populations, être épaulées, soutenues, assistées devient rapidement une habitude dont il est éprouvant de se défaire. Leur sensibilité aux crises a augmenté ces dernières décennies, leur succession rapide ayant plutôt fragilisé qu’endurci les populations. La demande de soutien public tend à devenir automatique. Existe-il des limites au quoi qu’il en coûte ? Certainement ! Dans le passé, l’emballement des dettes a toujours amené des mouvements de correction plus ou moins violents. La mutualisation des risques pour être supportable ne peut qu’être exceptionnelle. La seule porte de sortie passe par le retour de la croissance supposant que l’épargne, abondante par ailleurs, soit affectée à des investissements réellement productifs.
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