Éloge du libre-échange

Éloge du libre-échange

L’Amazonie sauvera-t-elle la Méditerranée ? Installer des systèmes de filtrage des fleuves (80%% de la pollution vient de la terre), dépolluer les rivières, interdire les plastiques, interdire la surpêche (90% en Méditerranée), voilà ce qui pourrait être exigé par le Brésil afin de protéger la biodiversité mondiale, dont la Méditerranée représente 8%, pour 0,7% de la surface maritime. Que Lula et Mileï insèrent ce paragraphe salutaire dans un accord de libre-échange celui du Mercosur, qui, espérons-le, renaîtra des mensonges, des manifs, des émotions, parce qu’il est une chance pour l’Amérique latine, la France, l’Amazonie, et … la Méditerranée !

Le libre-échange, voilà, selon certains, « ce pelé, ce galeux, d’où viendrait tout le mal ». Les agriculteurs de toute l’Europe se sont invités à Bruxelles, au sommet des chefs d’État et de gouvernement. Ils remettent en cause la Politique Agricole Commune. Le gouvernement français, à l’entendre, aurait eu la peau de l’accord avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), en négociation depuis vingt ans, en passe d’aboutir. Halte là : on ne sacrifiera pas le bœuf limousin aux voitures allemandes ! Marre de se faire avoir : La France restera la France, baguettes et bérets. Hélas. La France reste à côté de la plaque. Au grand désarroi de nos amis et partenaires.

Hier encore, la France ne disait plus non au Mercosur. Elle demandait l’insertion d’une clause de protection de l’Amazonie. C’est vrai : l’Amazonie pourrait sauver la Méditerranée. Tout est dans tout.

La démagogie est à courte vue. La pauvreté en est le fruit amer.  

Aujourd’hui, il serait idiot qu’elle dise non aux accords de libre-échange, notamment en matière agricole, dont elle est une des premières bénéficiaires. Comme il est idiot, surtout de la part des agriculteurs, de dénoncer l’Europe et la PAC. La démagogie est à courte vue. La pauvreté en est le fruit amer.

Un accord avec l’Amérique latine serait-il « le dernier clou sur le cercueil » de l’agriculture française, comme on l’a déjà dit à propos de l’accord de libre-échange avec le Canada ?

Depuis les accords dits du « Gatt », l’agriculture est une exception. Il n’y a pas de libre-échange agricole. C’est le champ économique le plus protectionniste du monde, avec des taxes pour les importations et des subventions qui vont de zéro à 70%, (Japon). C’est la fermeture des marchés que reprochent les pays pauvres aux pays riches.

Il existe des accords de libre-échange de l’UE qui incluent l’agriculture : Canada, Corée, Japon, Australie, Chili, Viêt-Nam. Ces accords sont tellement néfastes que l’Union Européenne est le premier exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires. La France en est le premier bénéficiaire. Comme elle est la première bénéficiaire de la PAC : 9,5milliards.  Elle a battu cette année ses propres records: 84 milliards d’exportations agricoles ; 9.4 milliards d’euros d’excédents.

L’accord avec le Canada est positif pour l’Union Européenne notamment dans sa partie agricole, notamment pour la France, y compris pour le bœuf. Triomphe du libre-échange ?

Un accord de libre-échange comporte des milliers de pages, définit des quotas, supprime au fur et à mesure les droits de douane, décrit les produits, partage des normes. Par exemple, pour l’excellente viande argentine, actuellement surtaxée, les quotas prévus représentent 1% de la consommation annuelle européenne : un steak de bœuf argentin par an et par personne. Quel tsunami ! L’accord avec le Maroc impose, lui, prix et quotas.

Les Chinois finiront par vendre leur vin avant les Français. Bravo.  

Outre les quotas, les accords de l’Union européenne incluent des normes sanitaires et phytosanitaires pour vérifier la qualité des produits. Sans accord, les règles de l’OMC s’appliquent : elles interdisent d’appliquer aux autres pays ses propres normes de production. Par exemple, l’accord prévu avec le Mercosur interdit d’importer des produits qui utilisent des antibiotiques de croissance comme c’est le cas dans l’UE.

Avec ces garanties l’accord du Mercosur avait été approuvé -dans ses principes- par le gouvernement français, à bon droit. Les experts estimaient que la France serait le deuxième bénéficiaire d’un tel accord, y compris en matière agricole.

Aujourd’hui les Brésiliens peuvent fabriquer leur « cognac ». La reconnaissance mutuelle des marques et des normes interdit ce type de concurrence et permet au contraire l’exportation du vrai Cognac et du vin français, aujourd’hui surtaxé en Amérique Les Chinois finiront par vendre leur vin avant les Français. Bravo.  

Ces accords, qui imposent des normes européennes, en supposent l’existence. La bureaucratie bruxelloise, avec ses 30.000 fonctionnaires, est bien réduite par rapport aux 30.000 fonctionnaires du ministère de l’Agriculture français. Les fonctionnaires européens, avec leurs normes absurdes pour mesurer la courbure de la banane ont sauvé les agricultures européennes.

« Sans la PAC, l’agriculture française n’aurait pas connu un tel développement depuis un demi-siècle ». 

J’ai participé à une négociation comme ambassadeur à propos de la banane. Les experts de la Commission ont démontré que la courbe de la banane était différente de celle du plantain. Ils ont pu négocier avec l’Equateur et d’autres pays latino-américains pour éviter une amende à l’OMC en raison des subventions aux planteurs de Guadeloupe et de Martinique. Les autres pays de l’Union européenne portaient peu d’intérêt au sort de la banane guadeloupéenne. Par solidarité européenne ils faisaient bloc. Ainsi furent sauvés les régimes dérogatoires pour la banane comme pour de nombreux autres produits agricoles.

Site tlpac

En 2019, les aides de la PAC représentaient 74 % du résultat courant avant impôt des exploitations agricoles françaises. La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, avoue : « Sans la PAC, l’agriculture française n’aurait pas connu un tel développement depuis un demi-siècle ». Un agriculteur français reçoit – en moyenne- plus de 27.000€ de subventions. « Le total de ces dépenses, qui correspond au coût pour les contribuables nationaux ou communautaires, s’élève à 19,7 Md€ en 2022, soit 47 % de la valeur ajoutée brute de la branche agriculture (41,6 Md€). Il est de 25,9 Md€, soit 62 % de cette valeur ajoutée agricole, si on ajoute le coût du financement de la protection sociale des agriculteurs, dont l’estimation est toutefois difficile et donnée à titre indicatif. » selon l’institut (français) Fipeco.

Avoir « la tête en bas », c’est refuser la main tendue par l’Amérique latine.

Quelle profession peut se vanter de tels subsides ? Cela ne va pas sans contrainte. Les contraintes françaises sont plus exigeantes que celles de nos voisins puisque la France est déficitaire vis-à-vis des Européens, qui pourtant subissent les mêmes normes européennes. La bureaucratie française et l’inadaptation de notre filière agroalimentaire aux demandes mondiales en est la cause. Pourquoi en serait-il différemment de l’agriculture et de l’industrie ? L’industrie francise a chuté, pas à cause de l’Europe, à cause de nos propres déficiences, réglementaires ou fiscales.

Peut-on ignorer, y compris en matière agricole, ces nouvelles puissances comme l’Inde, la Chine, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine ? L’accord avec le Mercosur n’a pas seulement d’intérêt en matière agricole, c’est le cinquième marché mondial, essentiel pour les technologies d’avenir, les métaux rares et les minerais. Longtemps laissé aux Américains, pourquoi l’abandonner aujourd’hui aux Chinois ?

En Amérique latine, restée ignorée de l’Europe alors qu’elle en est aussi proche culturellement que les États-Unis, la France était aimée, admirée. Le nombre d’Alliances françaises en témoigne. Avoir « la tête en bas », pour reprendre l’expression des agriculteurs en colère (tout le monde est en colère, une colère toujours « légitime »), c’est refuser la main tendue par l’Amérique latine.

Rejeter l’Amérique latine pour soi-disant sauver la vache normande n’a pas de sens, rein ne l’empêche de brouter son herbe, et même celle  du voisin (il faut bien importer de quoi nourrir les bêtes, ce qui démontre la fausseté de la notion dévoyée de « souveraineté alimentaire »). « Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable ! » ironisait La Fontaine.

Le Brésil devrait demander un traité de dépollution de la Méditerranée. Pourquoi ne voir que la paille dans l’œil du voisin ?

L’agriculture française a besoin, comme tous les produits français, d’excellence. Elle ne peut pas tirer les prix (et les salaires) vers le bas. Les subventions sont des aides à la transformation. Elles se justifient ainsi. Sinon elles n’ont aucune raison d’être ni du point de vue économique ni du point de vue social. S’il y a des agriculteurs malheureux, il y en a aussi de bien portants. Le patrimoine des agriculteurs en France est supérieur au patrimoine moyen des Français. Dans tous les métiers, il y a des malheureux qui ne sont pas pour autant subventionnés.

Avant ce changement de pied sur l’accord avec le Mercosur, Emmanuel Macron voulait y inclure une clause contre la déforestation de l’Amazonie. Adoptée. Pourquoi pas ne pas insérer des clauses de protection de la biodiversité dans les accords internationaux ? Mais ce devrait être là encore des accords gagnant-gagnant : le Brésil devrait demander en retour un traité de dépollution de la Méditerranée. Pourquoi ne voir que la paille dans l’œil du voisin ?

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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