Ecrivains et diplomates - Episode 1 : Rencontre avec Sébastien Ortiz

Ecrivains et diplomates - Episode 1 : Rencontre avec Sébastien Ortiz

Spécial « Ecrivains et diplomates » : A la rencontre de Fabrice Etienne et Patrick Lachaussée, écrivains et membres du corps diplomatique.

Une diplomatie ouverte sur la société

Ils s’appellent Romain Gary, Paul Morand, Jean Giraudoux ou Saint-John Perse. Ce sont ces écrivains diplomates célèbres qui ont su conjuguer les affectations prestigieuses dans des Ambassades de France à l’étranger et produire une oeuvre littéraire de haut vol. Aujourd’hui nous partons à la rencontre de leurs successeurs contemporains, des écrivains qui ont choisi la carrière diplomatique et qui publient des romans de leur temps à l’image d’une diplomatie désormais plus ouverte sur la diversité sociale et qui autorise des parcours administratifs plus atypiques.

Fabrice Etienne publie sous le pseudonyme de Sébastien Ortiz son 7ème roman avant de rejoindre à la rentrée prochaine l’Ambassade de France au Cambodge. Patrick Lachaussée, consul général de France à Genève, nous livre un premier roman à dimension sociale et humaine forte. LesFrançais.press ont pu s’entretenir avec chacun d’entre eux pour parler Lettres et Carrière diplomatique.

Première interview de cette mini-série, Fabrice Etienne, diplomate français, connu sous le nom de plume de Sébastien Ortiz.

Sébastien Ortiz, de la fascination asiatique à la  profondeur spirituelle d’un cheminement en métro.

Lesfrancais.press – Boris Faure :  Fabrice Etienne, Vous venez de faire paraitre votre septième production littéraire sous votre nom de plume de  Sébastien Ortiz. Ce roman s’intitule « Châtelet-Lilas ». Un livre atypique dans votre œuvre  qui se déroule habituellement à l’étranger. Ici il est question d’un conducteur de métro qui possède le don de lire dans les pensées de ses passagers.

Sébastien Ortiz : C’est en effet la première fois que j’écris dans un contexte français, sur la France. Jusqu’ici mes romans se passaient à l’étranger, en Inde, en Birmanie, au Japon, aux Etats-Unis.

En 2015, je suis rentré d’une affectation à l’étranger. J’ai commencé à écrire ce roman après les attentats, après un temps d’infusion dans un contexte émotionnel et collectif troublé.

D’emblée mon esprit est parti sur le mythe grec des profondeurs et sur celui d’Hercule. Il est né du constat que la ligne onze du réseau est la seule à posséder douze interstations.  Ce chiffre m’a fait penser au mythe d’Hercule et à ses douze travaux. Ce mythe apparaît en filigrane dans le livre. 

De la même manière que je me suis aussi inspiré des religions et des cultes des pays dans lesquels j’ai vécu. Ici, je me suis intéressé à la philosophie et à la mythologie grecques qui sont un des fondements de notre culture. Le procédé littéraire est donc similaire à celui de mes autres livres.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Un passage m’a frappé qui résume peut-être la philosophie du roman « Les hommes chacun dans son petit ici à suer sous le coton repassé dans cet espace de fausseté, cette immensité de prison pour un peuple entier, ces limbes de néon (…), les hommes entre parenthèses d’eux-mêmes, devenus flux, devenus fluides, les hommes que ne soulagent  pas les rêves éperdus, la rage de penser, l’idéald’une place à eux dans le monde, l’illusion d’une vie vécue ». Pouvez vous l’évoquer ? 

Sébastien Ortiz : J’ai pu m’inspirer des présocratiques, du mythe de la caverne ou du mythe d’Hadès, le passage entre le monde des vivants et des morts. Mais pour sortir de ce monde très noir j’ai essayé aussi d’introduire des éléments plus légers. Je me suis introduit dans la tête des gens pour tenter de savoir ce qu’ils pensent. Des scènes bien vivantes égayent le parcours, celles des réfugiés qui sont là pleins d’espoir, celles des lycéennes qui s’embrassent. 

J’aurais été incapable de faire un traitement frontal des attentats. Le fait que le conducteur ne voit qu’une partie de la réalité permettait un point de vue décalé : il se rend compte ainsi qu’il a transporté des jeunes qui vont au Bataclan, il passe non loin du Petit Cambodge. Je ne m’écarte pas de mon angle de départ qui est celui du conducteur de métro. 

Lesfrancais.press – Boris Faure : On aperçoit dans votre roman une référence à Jules Verne. On l’imagine faire partie de votre panthéon d’écrivains. 

Sébastien Ortiz : Dans les références littéraires que j’ai utilisées, Jules Verne apparaît, c’est exact. « Voyage au centre de la terre », « Le tour du monde en 80 jours » ainsi que « Vingt mille lieux sous les mers » se sont imposés spontanément comme des références. Jules Verne est l’un des fondateurs dans la littérature de l’imaginaire et m’intéresse plus que le scientiste. Il a imaginé tous les voyages possibles, vers le haut et vers le bas. Logique de le retrouver dans le métro.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Il y a de nombreux aspects poétiques dans votre roman. Notamment l’évocation des stations fantômes, ces stations désormais fermées au public.

Sébastien Ortiz : Le métro a ses aficionados. Quand on s’intéresse au métro on en vient naturellement aux stations fantômes et c’est un peu par hasard que j’en ai entendu parler. Elles ont un pouvoir évocateur fort. A un moment du livre, le métro en traverse une remplie de personnages en costumes belle époque. Comme j’ai fait un livre entier sur les fantômes de Calcutta je n’ai pas voulu creuser cette dimension car le côté spectral peut être un peu trop envahissant. 

Lesfrancais.press – Boris Faure : Dans le livre on est frappé, notamment au départ, par les éléments techniques. On apprend à vos côtés le fonctionnement mécanique de la machine. 

Sébastien Ortiz : J’ai voulu éviter l’aspect purement documentaire même si j’ai développé une approche technique. Il y a de nombreux amateurs, anciens techniciens, retraités de la RATP, passagers passionnés de métros qui partagent des informations sur le net. J’ai voulu fonctionner un peu comme Emile Zola dans « La bête humaine », j’ai voulu me mettre dans la peau du conducteur et rendre compte qu’on parlait aussi d’une machine, renforcer le côté mécanique par opposition au côté humain qui est très présent avec la faculté du conducteur de lire les pensées et rentrer dans les têtes. Peut-être que des spécialistes du métro me feront remonter des erreurs malgré mon souci d’être précis.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Ce roman marque un retour à Gallimard. Votre premier roman « Tâleb »  a été publié dans cette maison en 2002.

Sébastien Ortiz : « Tâleb » était l’histoire d’un adolescent afghan embarqué dans une guerre qui le dépasse. J’y évoque la contradiction entre un islam d’inspiration soufie et l’idéologie salafiste.  Ce livre inaugurait mon tropisme asiate : sur mes sept livres, seulement deux ne se passent pas en Asie. Un se passe à New-York et un autre à Paris, donc.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Vous êtes écrivain et diplomate. Comment l’écrivain se nourrit-il de l’expérience des affectations à l’étranger pour écrire ?

Sébastien Ortiz : Je profite de l’impatriation qu’offrent trois ou quatre années de résidence à l’étranger pour recueillir des impressions que n’aurait pas un simple voyageur de passage. Une fois que je me suis dépouillé d’un regard exotique, des impressions superficielles et fugaces qui sont celles du voyageur, je suis en mesure d’adopter le point de vue de celui qui vit plus longtemps avec les gens du pays, qui a le temps de creuser les choses, qui peut aller aux fondements culturels d’une société. Ce que j’appelle l’impatriation, et qui est le pendant de l’expatriation, est donc précieuse à l’écrivain. Ce temps long passé sur place permet d’échapper aux lieux communs. Par exemple sur Calcutta, j’ai pu me débarrasser de l’image de la misère et de Mère Térésa à quoi continuait de se résumer la ville dans l’imaginaire collectif. Quand je réalise que je me suis dépouillé de mes premièresimpressions, qui sont forcément limitatives, et que je ne suis plus un simple voyageur, prendre la plume devient alors une évidence. Lorsque je réalise qu’il manque un livre sur le pays dans lequel je vis, je me dis que si je ne fais pas ce livre, personne ne le fera à ma place. 

Dans mon premier livre sur Calcutta, « Fantômes à Calcutta » (Arléa, 2009), j’étais encore dans une atmosphère très durassienne. Elle touche à la mélancolie des Calcuttéens. C’est aussi celle de l’écrivain Tagore, du cinéaste Satyajit Ray. C’est cette richesse culturelle et historique de la ville que j’ai pu restituer. 

Mon second livre sur la ville était centré davantage sur le métier de diplomate. Dans « La solitude du bonsaï » (Arthaud, 2019) j’ai forcé d’ailleurs le trait sur le métier. J’ai fait deux séjours à Calcutta, un comme coopérant du service national, un autre comme consul général, seize ans plus tard. L’aspect parfois un peu ridicule du métier a pu intéresser le public. J’ai exagéré certains éléments, le côté cocasse de nos relations avec nos partenaires, l’exercice un peu compassé des cocktails. J’ai joué de certains lieux communs de la diplomatie, celle des Ferrero rochers, des exercices sociaux imposés qui font partie de notre mission mais qui à terme peuvent s’avérer très lassants. J’ai pris dans ce roman ma revanche ironique sur les contraintes d’ordre social qui m’étaient imposées. 

Lesfrancais.press – Boris Faure : Dans votre carrière diplomatique vous avez connu des pauses avec des périodes entièrement dédiées à l’écriture. Avez-vous besoin de ce retranchement du monde ?

Sébastien Ortiz : C’est la nécessité d’écrire qui m’a conduit à apprécier un certain isolement et à faire des pauses dans la carrière. L’écriture nécessite beaucoup de temps libre et je me mets généralement en disponibilité pour m’y adonner. On peut prendre des notes quand on est dans l’action en poste à l’étranger mais on a besoin d’isolement pour écrire.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Vous avez connu également des phases personnelles méditatives. Vous avez même failli devenir moine bouddhiste plutôt que diplomate.

Sébastien Ortiz : Dans « Dans un temple zen » (Arléa ,2017), j’évoque ce que j’ai vécu à vingt ans en me retirant dans un temple bouddhiste à Taïwan. C’est vrai qu’à un moment je me suis posé la question de formuler des vœux bouddhistes.  C’est en empruntant à un recueil de poésie d’Apollinaire que je me suis rendu compte alors de mon attachement viscéral à la France et à sa culture. J’ai donc finalement passé les concours du Quai d’Orsay en faisant le choix de l’action contre celui de la pure contemplation. Je crois en fait que l’idéal se trouve dans le juste milieu, entre la tentation de l’ascétisme et la pure distraction pascalienne. Etre diplomate écrivain diplomate correspond justement à cette voie moyenne entre l’implication et le retrait.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Dans les pays qui jalonnent votre parcours, il y a l’expérience forte vécue en Birmanie comme conseiller culturel et directeur de l’institut français.

Sébastien Ortiz : J’y ai passé quatre ans à une époque charnière, entre 2008-2012. La junte était au pouvoir et la scène artistique était muselée. L’Institut français était le seul centre culturel du pays depuis 1961. Cela donne une certaine responsabilité en tant que lieu de liberté identifié par le public birman. Les élites artistiques du pays y ont trouvé un refuge. Nous y avons accueilli quantité de performeurs, de photographes, de musiciens birmans qui n’avaient nulle part où montrer leur travail. Nous bénéficiions de l’extra-territorialité si bien que ce qui se passait dans nos murs échappait à la censure des autorités. En 2010, avec l’ouverture du pays, la parole s’est libérée. Notre mission s’est transformée puisque d’autres Etats ont ouvert des lieux culturels. La scène artistique s’est diversifiée de façon incroyable. Aujourd’hui, je suis attristé par la fermeture brutale du pays après une décennie de liberté d’expression. Mon livre « Portraits birmans » (Arléa, 2012) s’est voulu un hommage à cet extraordinaire peuple birman dont nous voyons aujourd’hui encore tout le courage. 

Lesfrancais.press – Boris Faure : Le Quai d’Orsay compte plusieurs figures d’écrivains diplomates célèbres. Pouvez-vous nous dire si ces figures vous ont inspiré ?

Sébastien Ortiz : Romain Gary fait partie des figures des écrivains diplomates qui m’inspirent. Il ne fait pas partie du cénacle. Il a fait un passage de seulement quinze ans dans la diplomatie, ce qui lui a conféré un certain recul par rapport à la carrière. Il fait aussi écho à la nouvelle sociologie du ministère qui s’est ouvert à toutes les classes sociales ces dernières années. Il venait d’un milieu modeste. Sa marginalité et son caractère m’ont toujours inspiré. Je le lisais à l’adolescence. Je n’aurais jamais eu l’idée de passer le concours du quai d’Orsay sans lui. Après une relative traversée du désert sa popularité explose aujourd’hui et son entréedans la Pléiade est un juste retour des choses. J’aime assez  également Jean Giraudoux qui a été le précurseur de la Direction générale de la mondialisation et donc de notre action en faveur de la langue et de la culture françaises à l’étranger. Il n’est plus très lu mais c’est quelqu’un d’intéressant.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Fabrice Etienne (Sébastien Ortiz), pouvez-vous nous parler de votre avenir diplomatique et de votre prochaine affectation ?

Sébastien Ortiz : Ma prochaine affection sera comme Premier conseiller à Phnom Penh. J’en suis très heureux. Je vais continuer à creuser mon sillon asiatique. C’est le principe de plaisir qui prévaut dans une carrière certes un peu hachée mais qui me donne aussi le loisir de demander des postes selon mes goûts et mes envies.

Lesfrancais.press – Boris Faure : Merci à vous et donc bons vents vers l’Asie.

Phnom Penh
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