Le 26 janvier dernier se tenait le Conseil d’Administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) pour voter le contrat d’objectifs et moyens (COM) 2021-2023. Y étaient présents les dirigeants de l’agence, les représentants des syndicats de professeurs et les représentants des fédérations de parents d’élèves.
Tous les trois ans, un COM est voté par le conseil d’administration de l’AEFE. Il vise à s’engager sur une période de 36 mois auprès de l’État sur différents objectifs. Ainsi, l’agence pourra recevoir les allocations budgétaires équivalentes aux dispositions engagées. Le COM 2021-2023 s’est tenu seulement en janvier 2022 car le précédent contrat d’objectifs et moyens a été prolongé à deux reprises en raison de la crise sanitaire. Il était donc très attendu des différents participants. Si pour le président du CA, Bruno Foucher, les objectifs votés paraissent tout à fait réalisables, le syndicat de professeurs, l’UNSA, est bien plus sceptique.
Un COM structuré autour de quatre axes
Le nouveau document voté a vocation à respecter les objectifs du Président de la République, présentés en 2017, comme le doublement du nombre d’élèves dans le réseau à l’horizon 2030. Pour y parvenir, le COM 2021-2023 s’harmonise autour de quatre axes majeurs, à savoir :
- Amplifier l’attractivité de l’enseignement français à l’étranger, en appuyant sur ses points forts comme l’éducation plurilingue, l’inclusion dans le système scolaire, la place du numérique éducatif et la nouvelle réforme du baccalauréat international.
- Renforcer l’Agence dans l’ensemble du réseau, en accompagnant et facilitant l’arrivée de nouveaux établissements partenaires. Pour y parvenir, seize Instituts régionaux de formation (IRF) ont été créés afin de renouveler la formation des personnels.
- Revaloriser le rôle de l’AEFE dans l’organisme parallèle, en conduisant les instituts labellisés LabelFrancÉducation et les associations de français langue maternelle (FLAM).
- Ajuster le fonctionnement de l’AEFE dans l’intention de correspondre aux défis de l’enseignement français. Pour ce faire, l’antenne se doit de poursuivre le travail débuté en termes de réorganisation et de modernisation de ses services. Une action s’appuyant sur les avertissements émis du comité d’audit instauré à l’automne 2019.
Des ambitions particulièrement denses pour une période de réalisation somme toute courte.
Un conseil sous tensions
Depuis plusieurs mois, existent de profondes divergences entre les gestionnaires et le personnel syndiqué du réseau de l’enseignement français à l’étranger. Des discordes mises en lumière lors des grèves de novembre et de janvier, mais qui se sont aussi invitées au conseil d’administration.
Pour commencer, Bruno Foucher, son président, a loué les mesures exceptionnelles apportées pendant la période de crise sanitaire, et estime que le réseau en est ressorti grandi. Des aides à hauteur de 150 millions d’euros, réparties équitablement entre les bourses, le financement des frais de scolarité pour les élèves étrangers et les avances faites aux lycées en difficultés. Seulement, si les syndicats s’accordent également à saluer l’appui du gouvernement, il leur parait important de ne pas s’en satisfaire mais de bien continuer à regarder en avant. Or, toujours d’après eux, le COM voté manque cruellement de moyens financiers et technologiques pour insuffler un nouveau souffle au réseau et respecter la demande présidentielle.
Divergence d’opinions sur la politique de plurilinguisme
L’attractivité du réseau est source de différends entre les administrateurs et les syndiqués. L’objectif est de valoriser et enrichir l’offre éducative grâce au plurilinguisme, à l’école inclusive, au numérique éducatif et à la réforme du baccalauréat. Cependant, parmi ces quatre stratégies, la politique de plurilinguisme domine largement les autres dans le discours du président au dépend des autres.
« La langue française ne peut pas être enseignée seule dans nos établissements ».
Bruno Foucher, le président du Conseil d’administration de l’AEFE
Effectivement, pour Bruno Foucher, il est impensable que le français soit la seule langue enseignée dans les établissements du réseau de l’AEFE. Seulement, la déclaration semble éloignée des réalités de terrain, du moins d’après Adrien Guinemer, le chargé de mission hors de France pour l’UNSA. Il estime que la politique du plurilinguisme est déjà effective dans les nombreux établissements français à l’étranger, étant donné que la majorité des élèves inscrits sont d’une nationalité tierce. Le partage et le mélange des langues se font donc automatiquement dans les couloirs des écoles. Aussi de nombreux établissements, comme Bruxelles par exemple, proposent des doubles cursus en français et en anglais ou en allemand, d’autres proposent l’espagnol. En sus, un nouveau bac international sera proposé aux élèves dès 2022.
Par ailleurs, le syndicat dénonce une forme de « marketing de façade » impulsé par l’Agence pour attirer de nouveaux élèves et cela pour deux raisons. Non seulement, le plurilinguisme est un objectif de longue date, mais aussi car les décisions émanent du haut sans avoir dialogué avec le personnel local. Selon Adrien Guinemer, il est contre-productif de vouloir vendre le plurilinguisme dans tous les établissements sans se demander si c’est nécessaire ou pas.
« Par exemple, est-il opportun de proposer une langue étrangère telle que l’allemand ou le chinois, dans un lycée reculé du nord de l’Afrique ? Un endroit où il serait bien plus logique d’étudier les langues locales ou seulement l’anglais. »
Adrien Guinemer, chargé des Français de l’étranger à l’UNSA
Le désaccord sur les homologations
La multiplication des homologations est également source de désaccords entre les diverses parties en présence. Si les syndicats de professeurs martèlent que les groupes privés vont créer une concurrence déloyale avec les établissements publics, l’AEFE est persuadée qu’il n’en sera rien. D’après Bruno Foucher, la demande est si importante « que la qualité du réseau ne va pas souffrir de la concurrence ». Au contraire, à ses yeux l’ouverture du réseau à de nouveaux partenaires est synonyme de remise en question et d’évolution de l’enseignement et donc de la politique d’investissement qui en découle.
Cependant, il est important de se demander si ladite qualité du réseau est toujours présente après deux ans de pandémie, de distanciel, avec des professeurs exténués qui tentent de faire entendre leurs revendications lors des grèves. Parmi elles, l’augmentation de leur salaire et la valorisation de l’offre numérique dans les établissements.
Le président du CA a dit ne pas pouvoir répondre à la question des salaires car le COM n’a pas de conséquences sur les budgets ordinaires.
« On peut le regretter mais retranscrire les moyens est un exercice difficile. C’est parce que nous avons des axes que nous pouvons soulever les moyens dont on a besoin. »
Bruno Foucher, Président du Conseil d’Administration de l’AEFE
En revanche, il a été plus explicite sur le sujet du numérique, et pour cause : appuyer l’offre numérique est un des objectifs du premier axe du COM 2021-2023. Après la période passée où le télétravail et l’utilisation du numérique sont devenus des normes, l’Agence, comme tout le monde, s’est rendue compte à quel point il était important de posséder un bon réseau numérique et en particulier éducatif. Elle souhaite donc vivement continuer de développer les outils digitaux et la maitrise de ces derniers par le personnel.
Finalement, le contrat d’objectifs et moyens pour les deux années à venir est source d’avancées pour l’AEFE, mais d’échec pour le personnel selon les syndicats.
Laisser un commentaire