13 novembre : Les Français de l’étranger se souviennent

13 novembre : Les Français de l’étranger se souviennent

Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris ont résonné bien au‑delà des frontières de la capitale. Des États‑Unis au Maroc, de Bruxelles à Athènes, des Français de l’étranger se souviennent de ce jour sombre et des heures qui ont suivi. Dix ans plus tard, ils questionnent également l’héritage de cette période et des enseignements tirés, ou pas.

13 novembre 2015 : entre émotions et mémoires

Depuis New York, Ingrid Jean-Baptiste, fondatrice du Chelsea Film Festival, confie ne plus se souvenir précisément de l’endroit où elle se trouvait lorsqu’elle a appris les attaques à Paris. « J’étais tellement choquée que ma mémoire a fait un blocage. » En revanche, elle se rappelle « avoir pris des nouvelles de (ma) famille et amis à Paris via WhatsApp et les réseaux sociaux » pour se rassurer. Dix ans après les faits, cet événement restera gravé à jamais, c’est « un jour où tout a basculé » nous confie-t‑elle. Avec le recul, elle estime que la « mémoire des victimes n’a pas été suffisamment honorée, malgré l’émotion et les hommages initiaux. »

« La mémoire des victimes n’a pas été suffisamment honorée,
malgré l’émotion et les hommages initiaux »

Ingrid Jean-Baptiste, fondatrice du Chelsea Film Festival

À Bruxelles, Ludovic n’a, quant à lui, « appris les attentats que le lendemain en consultant les nouvelles en ligne ». Il se souvient cependant avoir alors ressenti de « l’incrédulité » mais « vite rattrapée par l’angoisse de s’assurer que tous les proches en France sont sains et saufs, en particulier ma petite sœur qui était à Paris ce jour-là ». Il se remémore aussi la « tension » des heures qui ont suivi les attentats et la « traque en direct à la télévision et les réseaux sociaux », tout en conservant une « peur que d’autres attentats aient lieu ». La capitale belge sera également touchée le 22 mars 2016 par des attentats suicides à l’aéroport et dans une rame du métro tuant 32 personnes. Dix ans plus tard, ce compatriote installé outre Quiévrain partage encore son « incompréhension profonde et un sentiment d’absurdité de la violence des actes commis ».

« Cette journée a laissé une empreinte indélébile »

Philip Cordery, député des Français du Benelux de 2012 à 2017
Philip Cordery, député des Français du Benelux de 2012 à 2017

Philip Cordery, député des Français du Benelux entre 2012 et 2017, garde en mémoire ce moment funeste et les jours qui ont suivi. Bruxelles était alors l’une des villes où vivaient des terroristes qui avaient participé à l’attaque sur Paris.

Dans cette interview, l’ancien parlementaire nous raconte son expérience : de l’effroi de l’annonce à la responsabilité politique de son mandat pour, d’une part, assurer la sécurité de ses compatriotes vivant en Belgique, et, d’autre part, participer à la recherche des terroristes en fuite. Il nous livre aussi ce qu’il retient encore aujourd’hui de ces heures tragiques.

Lesfrancais.press : « Où étiez-vous lorsque vous avez appris, le 13 novembre 2015, que des attentats étaient en cours à Paris ? »

Philip Cordery : « Oui très bien. J’étais à Bruxelles. J’avais organisé un séminaire avec des proches sur mes priorités pour la circonscription. Ce vendredi soir, nous dînions dans un restaurant bruxellois lorsque la nouvelle est tombée. Au fil des minutes, à mesure que la soirée avançait, l’ampleur de l’horreur se révélait. Nous étions tous sous le choc. Autant dire que le séminaire a été immédiatement interrompu, mais nous sommes restés ensemble, unis, soudés, pour affronter collectivement ce moment d’effroi. »

Lesfrancais.press : « Quelle a été votre première réaction ? »

Philip Cordery : « La tristesse tout d’abord. Pour ces citoyens attablés à une terrasse de café, prenant du bon temps au Bataclan ou au Stade de France et qui sont tombés sous les balles de Daesh. Je pense avant tout à eux, à leurs familles, à leurs proches. L’inquiétude s’installe ensuite. 10 mois après les attentats de Charlie Hebdo, la France était à nouveau la cible des terroristes islamistes. Où allaient-ils s’arrêter ? Et quelles allaient être les conséquences pour le monde et pour nos sociétés ? Comment éviter l’embrasement et les stigmatisations ? L’esprit Charlie allait-il survivre à cette nouvelle épreuve ?

« C’est la sécurité des Français de Bruxelles et de l’ensemble de la circonscription qui a guidé mon action les jours suivants »

Philip Cordery, député des Français du Benelux 2012-17

Puis très vite c’est un sentiment de responsabilité qui se mêle aux deux premiers. Nous étions aux affaires. J’étais élu de la République et représentant des Français du Benelux. Dans la soirée, nous avons appris que les assaillants étaient eux-mêmes des Français vivant à Bruxelles. J’ai alors immédiatement pris contact avec l’Ambassade, le Consulat et le ministère de l’Intérieur. C’est la sécurité des Français de Bruxelles et de l’ensemble de la circonscription qui a guidé mon action les jours suivants. »

Lesfrancais.press : « Quelles émotions ressentez-vous encore aujourd’hui, dix ans après ? »

Philip Cordery : « Cette journée restera à jamais gravée dans ma mémoire. Elle a laissé une empreinte indélébile, faite à la fois de douleur et de conscience : celle de la fragilité de nos sociétés, mais aussi de leur force lorsque l’unité l’emporte sur la peur. »

Lesfrancais.press : « Avec le recul, qu’a-t-on retenu de cette séquence d’attentats et d’hommages ? »

Philip Cordery : « Je veux d’abord retenir l’extraordinaire élan de solidarité et de soutien qui s’est manifesté à travers l’Europe. Partout, les hommages se sont multipliés, rappelant la vitalité de nos démocraties et la puissance du lien qui unit les citoyens face à l’épreuve. J’ai pu en témoigner partout dans la circonscription, à Bruxelles, Molenbeek, Liège, La Haye ou Luxembourg. Mais cet épisode a aussi été un rappel : celui de la nécessité absolue de ne jamais céder aux amalgames, de distinguer la lutte contre la haine de toute forme de stigmatisation. C’est ce discernement, cette vigilance et cette fraternité qui doivent continuer à nous guider. »

13 novembre : de l’effroi au vivre ensemble

À Londres, la mémoire demeure également très vive. Conseiller des Français du Royaume‑Uni, Samy Ahmar se rappelle qu’il était chez lui « ce vendredi soir, lorsque les alertes info ont commencé à apparaître sur mon téléphone. » Au fil de cette soirée tragique, il a traversé plusieurs états : « Incrédule d’abord, puis une grande inquiétude » l’a envahi. Il se rappelle que « l’ampleur de l’attaque n’était pas tout de suite connue », mais lorsque les faits se sont précisés un « sentiment d’effroi face à ce qui se dessinait » l’a alors rattrapé. Dès le lendemain, il a « participé à un rassemblement vigile spontané à Trafalgar Square ».

« Ce que nous devons continuer à défendre,
c’est notre unité, notre liberté et notre capacité à vivre ensemble
malgré la peur »

Patricia Connell, Conseillère des Français du Royaume-Uni

Également élue des Français du Royaume‑Uni, Patricia Connell rappelle que les « attentats de novembre 2015, notamment ceux du Bataclan ont marqué à jamais notre pays ».

Attentat 13 novembre à Paris
Recueillement après les attentats du 13 novembre à Paris

Selon elle, « pour toute une génération de jeunes, c’était la fin d’une forme d’innocence. Soudain, l’idée même de pouvoir être pris pour cible simplement parce qu’on vivait, riait, ou assistait à un concert est devenue une réalité ». Dix ans après ce 13 novembre 2015, « ce que nous devons continuer à défendre, c’est notre unité, notre liberté et notre capacité à vivre ensemble malgré la peur » nous a‑t‑elle confié.

« Comment en France on peut vivre de tels attentats ? »

Sophie, Française installée au Maroc

À Athènes, Florence participait ce soir‑là à une « soirée conviviale au Lycée Franco-Hellénique d’Athènes ». Elle se souvient du pic de stress lorsque « les téléphones ont commencé à vibrer (…) la température a fortement chuté au fil des messages d’alerte ».  Au Maroc, où elle vit depuis 2007, Sophie raconte sa « stupéfaction : comment en France on peut vivre de tels attentats ? » lorsqu’elle apprend, ce 13 novembre 2015, ce qui se passe à Paris. Dix ans plus tard, elle « aimerait être sûre que l’on ne revive jamais ça ». Elle nous parle aussi de son « angoisse pour ses enfants qui, bientôt, vont partir faire leurs études en France. »

Aujourd’hui la colère a laissé place à la tristesse

Installée depuis près de trente ans au Maroc, Nathalie Charpentier raconte comment, depuis Casablanca, elle a vécu les attentats perpétrés à Paris : « Je regardais un film en famille lorsqu’un bandeau d’informations est apparu en bas de l’écran précisant que des coups de feu étaient entendus dans le 11e arrondissement de Paris ». Elle appelle aussitôt sa sœur, « qui habitait à l’époque dans le 11e arrondissement » (proche du Bataclan) . Et « pendant l’appel, on entendait des coups de feu, des cris et des sirènes de police » se souvient-elle.

« Pendant longtemps, j’ai eu du mal à sortir au restaurant ou dans un lieu public. Et quand je sortais, je ne dînais jamais dos à la porte, je cherchais systématiquement la sortie de secours », nous a‑t‑elle précisé. « Aujourd’hui, le souvenir de ce carnage est moins vif bien sûr mais la cicatrice est là…à jamais. La colère a laissé la place à la tristesse » souligne‑t‑elle, le regard évasif.

« Aujourd’hui je n’oublie pas mes collègues Dominique Bernard et Samuel Patty, avec la crainte que tout cela se reproduise »

Frédéric Le Vouedec, professeur des écoles à Bratislava

Frédéric Le Vouedec,  professeur des écoles à Bratislava, se rappelle aussi son 13 novembre 2015 avec émotion : « nous avions regardé le match à la télé slovaque (…) et je suis au final resté devant la télé jusqu’à 4 heures du matin. Aujourd’hui je n’oublie pas mes collègues Dominique Bernard et Samuel Patty, avec la crainte que tout cela se reproduise.« 

Auteur/Autrice

  • Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.

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