Verrouillage des frontières françaises : les conséquences hors de l'UE

Verrouillage des frontières françaises : les conséquences hors de l'UE

Au JO du 31 janvier 2021, publié le 30 janvier 2021 à 23h45, figure un décret, intitulé décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Ces mesures concernent les expatriés, avec un risque d’isolement.

Interdiction de rentrer sur le territoire français ?

« Toute entrée en France et toute sortie de notre territoire à destination ou en provenance d’un pays extérieur à l’Union européenne sera interdite sauf motif impérieux »

Le Premier ministre Jean Castex

Concrètement, les personnes franchissant la frontière devront fournir le résultat d’un test PCR négatif datant de moins de 72 heures avant le départ et remplir une attestation expliquant le motif impérieux de ce déplacement. Le document devra être accompagné des justificatifs et pourront faire l’objet d’une vérification.

Les compagnies de transport seront en charge de l’exécution de cette directive, elles pourront donc refuser l’embarquement. Aux points d’accès terrestres de l’UE, les polices frontalières des autres Etats-membres ont reçu des consignes pour veiller aux contrôles. Ces dispositions s’appliquent à tous même aux expatriés.

Des motifs impérieux ?

Pour accéder à la France, il vous faudra donc justifier que vos motivations constituent un motif impérieux au sens du gouvernement français.

Il existe 3 types de motifs impérieux :
  • d’ordre personnel ou familial
  • de santé
  • professionels

Vous pouvez retrouvez tous les détails et les pièces justificatives à produire en cliquant sur ce lien « Motifs et documents à fournir » (fin du document téléchargé).

Des dispositions inédites pour les expatriés

L’alinéa 4 de l’article 1 du décret indique, donc, que :

« [s]ont interdits, sauf s’ils sont fondés sur un motif impérieux d’ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l’urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : 
« 1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l’Union européenne, Andorre, l’Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse ;
« 2° Au départ ou à destination des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution, à l’exception des déplacements entre la Guadeloupe et la Martinique. »

Cet alinéa permet, comme indiqué plus haut, au ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Veran, d’imposer aux compagnies aériennes le refus d’embarquement pour toute personne DE NATIONALITE FRANCAISE, s’elle ne fournit pas un motif impérieux pour justifier de son retour en France.

Une restriction inconstitutionnelle ?

Contrairement aux dispositions de plusieurs décrets publiés depuis juin 2020 qui imposent des obligations de prises de tests PCR préalablement à un embarquement, les dispositions décrites ci-dessus imposent une obligation légale à un ressortissant français limitant de facon « faciale » son retour en France. 

Ce type de disposition ne relève pas de circonstances factuelles concernant la disponibilité ou le coût de tests PCR dans la juridiction concernée, mais, cette fois, relève du statut juridique du ressortissant lui-même.  En analyse constitutionnelle, ce type de restriction, appelle « restriction faciale » ou « restriction explicite » est bien plus grave qu’une simple restriction circonstancielle liée a un état de fait, comme par exemple la disponibilité de tests PCR.  

C’est, donc à notre connaissance, la première fois depuis la création de la 5e République qu’une telle limitation est imposée aux ressortissants français désirant se rendre sur ou quitter le territoire national.

« Les nouvelles décisions gouvernementales drastiques feront très certainement l’objet de nombreux recours judiciaires au Canada comme en France, ce qui est parfaitement normal et permettra de préciser un cadre défini à la fois par l’exécutif et le judiciaire, mais force est de constater que les mesures prises jusqu’à présent n’ont pas été suffisantes pour empêcher la propagation de nouvelles souches virales C’est là le cœur du problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, avec l’arrivée de nouveaux variants du virus, nous risquons d’effacer le résultat de tous les efforts et privations consenties jusqu’à présent.« 

Marc Albert Cormier – élu consulaire à Toronto (Canada)

En effet, le Conseil Constitutionnel, ainsi que le Conseil d’Etat, ont jugé, à de multiples reprises, que le droit à entrer, séjourner, et demeurer en France constitue une liberté fondamentale au sens de la Constitution.  Ainsi, les ressortissants français, contrairement aux étrangers, ont seuls un droit « général et absolu » à entrer, séjourner et demeurer sur le territoire métropolitain. 

« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays »).

Protocole n° 4 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, article 2. Article 13, paragraphe 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Un droit au retour inaliénable

Par conséquent, le droit au retour sur le territoire national de ressortissants français est général et absolu. Il ne peut faire l’objet des mêmes restrictions que la liberté d’aller et venir sur le territoire national

Cette disposition constitutionnelle ne souffre aucune condition de restriction, par exemple liée à des considérations de sécurité nationale, sanitaire ou de police. Ainsi, en droit français, le droit au retour sur le territoire national de ressortissants français est absolu et ne saurait souffrir une quelconque restriction.

Aux fins de dissiper tout doute sur le caractère absolu de ce droit fondamental, il convient de rappeler que la France a ratifié, par le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 le Protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après « Protocole n° 4 »). En effet, l’article 3 du protocole suscité prévoit que « [n]ul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant. » Protocole No 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à cette dernière, 16 septembre 1963, 1496 RTNU 263, art. 3, para. 2 (entrée en vigueur : 2 mai 1968).

Par conséquent, l’Etat ne peut instaurer AUCUNE restriction au droit de retour sur le territoire national de ces citoyens.  Une fois sur le territoire national, l’Etat peut, à contrario, organiser, par voie législative soumise aux conditions de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire toute restriction proportionnée, par exemple des procédures de quarantaine du fait de la pandémie liée au virus covid-19.

Ce décret va donc, immanquablement, entrainer de toutes parts des remises des actions auprès des juridictions compétents. Le « feuilleton des frontières » est donc relancé pour quelques semaines. Et pendant ce temps, des familles sont séparées, des entreprises et des projets de vie sont mis en danger, et la Covid-19 circule toujours…

Un article écrit par Fabien Ferasson de Quental avec l’analyse juridique de Maitre Pierre Ciric (avocat à New-York).

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