Les Etats-Unis sont vraiment un grand pays. Ils peuvent avoir des Présidents médiocres, voire vraiment mauvais, et engranger des succès. Trump en est le meilleur exemple, la caricature des caricatures, « le pire des Présidents » selon Obama. Pendant son mandat, l’image des Etats-Unis s’est dégradée dans la quasi-totalité des pays du monde. Selon un récent sondage du Pew Research Center, il ne reste que 26% des Allemands qui ont une bonne image des Etats-Unis, encore 31% des Français, 35% des Canadiens, et seulement 41% des Britanniques, l’allié par excellence. Rarement un Président n’aura suscité autant de rejet, y compris aux Etats-Unis, y compris dans son parti.
Pourtant, le bilan de Donald Trump n’est pas aussi mauvais que son image internationale. Difficile, de l’extérieur, de juger son action en politique intérieure, d’autant que le système américain ne laisse pas le Président décider de tout, loin de là.
Ce qui explique d’ailleurs que les critiques qui lui sont faites quant à la gestion du Covid tiennent plus à la polémique, qu’il a souvent lui-même lancée, que d’une véritable évaluation. Maires et gouverneurs ont autant de latitude dans la gestion de l’épidémie que le Président.
En ce qui concerne la réponse économique et sociale à la crise, l’administration Trump a été rapide et efficace. Les plans de relance sont massifs, -2.200 milliards de dollars- et si les Démocrates en veulent plus, c’est qu’ils sont dans le rôle confortable de l’opposition. On peut expliquer que la Fed et le Congrès y ont leur part de responsabilité, ce qui est vrai, mais la Présidence aussi.
Une croissance économique inédite
Dans cette surenchère de dépenses publiques et d’ « helicopter money », plus personne ne reproche à Trump ce qui reste pourtant une tache inquiétante sur sa politique économique : l’abyssal déficit budgétaire. Hors Covid, le déficit s’était déjà accru de 1000 milliards de dollars, -4.6% du PIB, pire que la France. C’est aussi ce qui a permis le grand succès de Donald Trump : une croissance de 2.5%, supérieure en rythme à celle connue sous Obama et prolongée, malgré tous les pronostics. Jamais les Etats-Unis n’avaient connu une telle période de croissance. On peut toujours dire qu’il n’y est pour rien, si cela avait été une récession, on le lui reprocherait. D’autant que sa politique de baisses d’impôts n’est pas étrangère à ce succès. L’impôt sur les sociétés a baissé de 35% à 21% et cela eu un effet considérable sur l’économie américaine.
Il lui a été beaucoup reproché d’avoir baissé l’impôt des riches, sans relever que le chômage est à son plus bas, il est descendu de 4.7 à 3.5%. Le taux de pauvreté a baissé de 12.5% à 10.5% avant la coronacrise, soit son taux le plus faible jamais enregistré aux Etats-Unis. L’accroissement du pouvoir d’achat des plus pauvres a été le plus important jamais enregistré. Les salaires ont augmenté de 3% par an en moyenne. Ce qui explique un soutien populaire qui reste élevé à la grande surprise des commentateurs européens, qui enregistrent surtout le talent de Trump pour mettre de l’huile sur le feu des maux de la société américaine. Trump aime le conflit, en politique intérieure comme en politique extérieure.
Des baisses d’impôts efficaces, le protectionnisme en échec
Ce succès économique se double d’une rhétorique agressive et d’une politique protectionniste. Elle n’a quasiment eu aucun effet sur le commerce extérieur. Elle aurait couté, selon Oxford Economics, 500.000 emplois et 0.5% de croissance. Ce ne sont pas les Chinois qui paient les droits de douane mais les contribuables et les entreprises américaines. Le déficit commercial américain n’a pas diminué, malgré le fait, pour les Etats-Unis, d’être devenu en 2018 exportateur net d’hydrocarbures grâce au gaz et au pétrole de schiste.
Les attaques contre l’Union européenne ont resserré les liens entre les pays membres. Ils n’ont pas renoncé à la taxe Gafa, engrangent les surplus commerciaux, continuent de signer des accords de libre échange.
La renégociation des accords Alena avec le Mexique et le Canada n’a pas provoqué de relocalisation d’emplois industriels. La guerre commerciale avec la Chine non plus. Elle n’a même pas diminué le déficit commercial bilatéral.
Le conflit avec la Chine, un axe stratégique
Il n’empêche : Personne ne reproche à Trump le durcissement de la politique américaine vis-à-vis de la Chine. Les Européens commencent à le suivre, surtout depuis les pressions sur Hong Kong et Taïwan. Joe Biden, s’il est élu, ne reviendra pas sur ce qui est désormais perçu comme un axe stratégique de la politique étrangère américaine, qui fait consensus dans l’opinion publique américaine. La Chine communiste remplace la Russie comme rival géopolitique, idéologique et économique.
Sans doute Joe Biden reviendra-t-il sur l’attitude agressive vis-à-vis de l’Europe. Mais il n’est pas certain qu’il revienne sans négocier dans le cadre des accords de Paris, ni qu’il change d’attitude sur la taxe numérique ou Nordstream2.
Pas sûr non plus qu’il change fondamentalement d’attitude vis-à-vis de l’Iran. Au Moyen-Orient, Trump n’a pas été plus fiable qu’Obama avec ses alliés et soutiens, et le retrait américain, dans le désordre, a laissé le champ libre aux Russes, Iraniens et Turcs. Avec, en sous main, l’intérêt et l’appui de la Chine.
Mais Trump peut se targuer de succès qu’aucun président depuis Clinton n’avait obtenu, de quoi se moquer du prix Nobel d’Obama. Alors qu’on prédisait le pire après l’installation à Jérusalem de l’ambassade américaine, la question palestinienne est devenue un conflit quasiment local. Après l’Egypte et la Jordanie, de nouveaux pays arabes ont établi des relations diplomatiques avec Israël. Minimiser cette nouvelle donne serait de l’aveuglement. Elle est structurelle, c’est un changement considérable, historique, pour la région.
Succès pour la paix entre Israël et les pays arabes
Ce qui a marché au Moyen-Orient (ce qui ne signifie pas qu’il y tout réussi, mais quel dirigeant américain peut se targuer d’avoir réussi au Moyen Orient ?) n’a pas vraiment fonctionné en Corée et en Asie, mais explique peut-être cette audace qu’ont les inconscients ou les matamores et qu’illustre sa tentative avec la Corée du Nord. Comme si Trump avait refusé de voir que la Corée était un pays vassal de la Chine ; comme si, sûr de son charme, il croyait pouvoir chiper la fiancée de son rival Xi Jinping. Il s’est fait manipulé, il reste le seul à ne pas le voir. Sur le fond, ce n’est pas très grave, la stratégie américaine dans le bassin pacifique et en mer de Chine ne repose pas sur la Corée du nord, même si cette connivence surprenait et inquiétait ses alliés.
Son retrait du Traité de Partenariat a laissé la place à la Chine. De même que son hostilité aux organisations internationales a permis à la Chine de développer une vraie stratégie d’alliances et de points d’appui. Biden, s’il est élu, reviendra sans aucun doute sur les retraits américains, il aura l’avantage de négocier le retour de l’Amérique en position de force, que ce soit à l’OMS, OMC ou l’Unesco, car il faut aussi reconnaitre que les critiques américaines ne sont pas toujours infondées. L’influence de la Chine sur l’OMS lors de la crise du Coronavirus l’a montré.
Sa politique mieux jugée que sa personnalité
Au total, l’Amérique de Trump est sans doute plus divisée qu’auparavant, elle est plus isolée, elle a refroidi ses alliés et inquiété ses amis, elle fait moins rêver, mais elle n’est pas moins attirante, son économie est structurellement plus forte.
Comme la crise du coronavirus a plongé l’économie américaine, comme les autres, dans la récession, Trump n’en profitera pas. Le virus chinois l’a cloué. D’autant qu’à force de donner des coups de boutoir dans le système, il est vu comme une vraie menace pour le système démocratique.
Rares sont ceux qui le regretteront sur la scène internationale. Son caractère imprévisible inquiète ses alliés et maintient ses adversaires en alerte, voire leur a laissé le champ libre. Mais tout n’est pas à jeter dans la politique de Trump, et certains axes forts resteront. Quand on aura oublié sa personnalité, sa politique sera jugée plus objectivement.
Le savoir faire de Biden
Pour l’instant, à quelques jours du vote final, il semble qu’il a perdu toute chance de l’emporter. De nombreux analystes s’aventurent même à prédire un raz de marée démocrate. Biden semble avoir réussi à unifier -grâce à Trump- les Démocrates. Après 45 ans de vie publique son plus grand talent est de ne pas laisser voir trop précisément ce qu’il fera une fois Président. Il ne faut pas forcément le lui reprocher, c’était pareil pour Kennedy. Il ne faut donc pas mésestimer son savoir faire politique.
La principale certitude que l’on peut avancer sur l’élection américaine, c’est donc que certaines des politiques définies sous la présidence Trump ne seront pas remises en cause par Biden, ni par le successeur de Biden, quel qu’il soit. Ce qui permettra à Trump de continuer à se prendre pour un génie, au moins sur Twitter.
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