Très chers paradis fiscaux.

Qu’est ce qu’un paradis fiscal ?

Le père Noël des riches sous les tropiques : Bahamas, iles Vierges, Trinidad et Tobago, Panama, Guatemala, Costa-Rica, Uruguay, Iles Caïman… Des eaux turquoises qu’il n’est même pas nécessaire de connaitre pour y laisser sa fortune, ses trusts, ses entreprises écran. Telle est l’image de ces refuges héritiers des pirates des Caraïbes, même si la réalité a bien évolué. Tout d’abord parce que si la lutte contre les paradis fiscaux a été engagée avec la mondialisation, qui facilite les opérations financières au détriment du contrôle fiscal des Etats, celle-ci ne va jamais jusqu’au bout. Pourquoi ? Parce que ces paradis semblant protégées par ces mêmes Etats.

Dés 1998, l’OCDE publie un rapport sur les conséquences économiques et financières des paradis fiscaux. La mondialisation des échanges fait exploser le rôle de ce qui paraissait marginal, exotique, réservé à des opérateurs multinationaux et d’une certaine taille. Quand monsieur tout le monde, ou presque, s’est vu proposé de constituer sa société au paradis, les fuites sont devenues énormes et les grands Etats se sont inquiétés.

En 2000, l’OCDE publie une liste de 35 pays considérés comme des paradis, et 47 autres comme des quasi paradis. Quatre ans plus tard, la liste a fondu : il ne reste que cinq moutons noirs (Monaco, Andorre, Lichtenstein, Liberia, Iles Marshall). La liste, on le comprend, évolue en fonction des pressions et intérêts diplomatiques. Ainsi, quatre ans plus tard, il n’y a plus de pays dans l’aire européenne mais apparaissent l’Uruguay, la Malaisie, le Costa-Rica et la Malaisie. Finalement, dés 2009 l’OCDE considère que plus aucun pays n’est un paradis fiscal.

On peut en rire. Tous se sont agités, soit en faisant des efforts, soit en trouvent des alliés. L’OCDE avait établi des critères « objectifs » pour justifier de l’inscription ou du retrait de tel ou tel pays sur la liste. Ainsi, chaque pays devait obtenir 12 accords de coopération en matière fiscale avec un pays tiers. Le plus simple, pour les petits Etats-paradis, fut de signer de tels accords les uns avec les autres. Ce qu’ils firent, et sortirent ainsi de la liste de l’OCDE.

L’OCDE établit donc d’autres critères. Notamment deux : l’un sur la transparence fiscale, l’autre sur l’échange automatique d’information. Parallèlement à l’OCDE, est créé le GAFI (Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux) qui met en place une évaluation des efforts des Etats en matière de lutte contre le blanchiment. Régulièrement, le Gafi publie ses listes et recommandations. La philosophie du Gafi est celle de la concertation, ce qui fait que plus personne n’est, au bout de quelques années, sur liste noire.

Est-ce que ces organismes ont réussi à limiter les pratiques des paradis fiscaux ? D’une certaine façon oui, dans la mesure où ils ont eu le feu vert des Etats. En fait, c’est l’attitude des Etats unis vis-à-vis du secret bancaire suisse qui a ouvert la voie. La menace qu’a faite peser les Etats-Unis sur les banques suisses a incité l’Union Européenne, et notamment la France, à agir de même, et a débloqué les mesures d’automatisation des échanges, progressivement entérinées par la plupart des Etats. Depuis 2017, les administrations fiscales doivent en outre échanger automatiquement les rescrits fiscaux accordés aux entreprises. Une directive anti-évasion a été adoptée.

Pourtant, les Etats se protègent. Ainsi la liste noire de l’Union Européenne a évidemment épargné les pays membres de l’UE, comme le Luxembourg, Chypre ou Malte, mais aussi les Etats Proches (Lichtenstein, Monaco, Suisse) ou les territoires dépendants (Jersey, Bermudes, Iles vierges…). Mais elle a aussi tenu compte des relations diplomatiques avec certains acteurs : comme les Emirats Arabes unis, ou le Qatar. Cette mansuétude n’est pas plus étonnante que celle dont bénéficie la Russie, où la transparence n’est pas assurée, et la transmission des données refusée, comme aux Etats-Unis.

On se rappelle qu’Apple a été condamné à payer 13 milliards d’impôts à l’Irlande, et a désormais fixé sa résidence fiscale à Jersey. Nike réduirait, grâce à ses montages de délocalisation financière, ses montants d’imposition à 2%. Facebook, Twitter, Wells Fargo, Louis-Dreyfus, sont sous surveillance.

France et Allemagne plaident, en Europe, pour une politique offensive vis-à-vis des Paradis fiscaux. Le départ du Royaume-Uni leur enlèvera un opposant, qui risque de le payer par le sort prochain réservé à ses territoires hors sol que sont Jersey, Guernesey, Ile de Man, Ils Vierges, Bermudes, Iles Caïmans, Gibraltar). Il n’est pas certain que sans le Royaume-Uni, l’Irlande, le Luxembourg, Chypre et Malte puissent s’opposer à de nouvelles exigences franco-allemandes, si elles étaient formulées.

La France publie sa propre liste des «paradis». Mais celle-ci est sensible aux pratiques des grandes entreprises françaises, comme Total, Renault, BNP, Engie, Dassault, et la Mutuelle des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur… Ces entreprises font valoir que leurs concurrents agissent de même. Il est vrai que par rapport à la fiscalité française, la plupart des pays font office sinon de paradis, en tout cas d’antichambres du paradis.

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