Tout le monde ne paiera pas la crise.

Tout le monde ne paiera pas la crise.

Les gouvernements ont volé au secours de l’économie avec une rapidité et une efficacité indéniable. Alors qu’en 2008 ils avaient tergiversé, cette fois, ils n’ont pas hésité : Des milliards ont été créés. Les banques centrales ont appris à faire tourner une économie à l’arrêt.

Les dettes s’accumulent. Qu’est ce que çà peut faire ? Personne ne remboursera, dit-on. Pas tout à fait vrai, mais pas tout à fait faux. Tout le monde ne paiera pas la même chose, ni de la même manière. Rembourser, il le faudra. Qui ne rembourse pas n’a plus de capacité d’emprunt : on ne prête qu’aux riches.

La dette sera payée, d’une façon ou d’une autre

Comme les banques ont injecté des milliards dans les circuits, l’argent abonde. Les Etats le distribuent : Joe Biden a ajouté 1900 milliards de dollars aux 900 de Trump. 1400 dollars d’aide directe aux familles, doublement du salaire horaire, le reste suivra. En France, les revenus n’ont quasiment pas diminué alors que le PIB a plongé de -10%. 

Hier on disait non aux Gilets Jaunes, on comptait les lits dans les hôpitaux, on rognait les points de retraite, tout cela parait très loin. Demain, demander des sacrifices pour rembourser la dette du Covid, quand on aura vu l’argent couler à flot, sera un exercice impossible. Mais la dette sera payée, d’une façon ou d’une autre.

Comment ? Par l’inflation ? Certains l’espèrent, sans mesurer que le retour de l’inflation serait aussi celui de l’augmentation des taux d’intérêts. Une chance pour liquider le stock de dettes et ruiner l’épargnant, à condition de ne plus avoir à emprunter, ce qui n’est pas le cas de la France. Mauvaise pioche.

Et puis l’inflation n’est jamais une bonne nouvelle pour les bas salaires, toujours en retard sur les prix. Heureusement, pour mille raisons (la concurrence mondiale) l’inflation est morte. En Europe, elle n’atteint pas 2% depuis 2009. Donc pas d’inflation, vive la dette : Plus l’argent abonde, plus les taux d’intérêt sont bas. La France emprunte à taux négatifs jusqu’à 16 ans, une chance, vu ce qu’elle emprunte (230 milliards). Dernier emprunt : -0.6% à un an d’échéance. 

Certains souffrent plus que d’autres. Deux mondes dans l’entreprise.

Pourtant, il se passe déjà quelque chose. Certains pays souffrent plus que d’autres. Certaines catégories aussi. 

Cette semaine un grand groupe (Accor), chiffre d’affaires en berne, va licencier plus d’un millier de personnes. Il ne sera pas le seul. Les entreprises ont découvert le télétravail, la digitalisation du monde galope. Certaines entreprises sont maintenues en vie par les aides, d’autres, les plus performantes, vont avoir accès à un crédit quasiment illimité.

L’épargne bat des records. Vers où se tourner, si ce n’est vers des valeurs « sûres »? Ainsi l’immobilier se maintient. Les prix devraient chuter, ils résistent. +6% à Paris en 2020. D’où l’inflation des cours de bourse, pour les intouchables de l’après crise : luxe et nouvelles technologies – et banques. Goldman Sachs, au dernier trimestre, augmente ses bénéfices de + de 150%, 4.4 milliards de dollars.

Si vous avez du crédit, vous en aurez encore plus. Ce qui équivaut à : si vous êtes riche, vous le serez encore plus. En revanche malgré les aides, la capacité d’emprunt est nulle.

Une remontée tragique de la grande pauvreté 

De même entre les Etats. En un an, la dette des Etats a augmenté de 10.000 milliards de dollars, autant que le montant des sept années précédentes. L’argent a été distribué comme s’il en pleuvait. Mais pas partout. Les Etats-Unis ont ainsi augmenté leur masse monétaire de 30%, la BCE seulement de 12%. Ces privilèges sont réservés à ceux qui peuvent le faire parce qu’ils ont des monnaies fiables : les Européens et les Etats-Unis. Les autres, tant pis. (Tiens, les critiques contre l’euro se sont tues.) L’écart entre les puissances monétaires et les autres va se creuser.

L’ONU prévoit une remontée tragique et historique de la grande pauvreté. Selon l’agence Fitch, les pays émergents paient désormais autant d’intérêt que les pays développés, soit 860 milliards $ par an. Seule différence, les pays riches ont une dette trois fois plus importante (60.000 milliards de $) que les pays émergents (20.000 milliards de $). En 2020, Argentine, Equateur, Liban, Suriname et Zambie n’ont pu payer leurs échéances. En Afrique subsaharienne, les paiements d’intérêts représentent 16% des revenus des Etats contre 5% en 2012.

La dette cantonnée, un impôt européen post covid ?

Seule la Chine a maintenu une croissance positive (2.5%), ce qui est en grande partie illusoire. Les chiffres sont à la chinoise, incertains, et les taux d’intérêts sont supérieurs à la croissance. Mais c’est mieux qu’aux Etats-Unis -3%, Allemagne -5 %, France -9%. L’écart en Europe entre les pays du nord et du sud s’accroit. On peut imaginer que la dette mutualisée entre pays européens sera l’objet d’une attention particulière. La dette covid pourrait être cantonnée, ce qui suppose une source de financement ad hoc, un impôt européen. Alors tout le monde paiera.

La crise ne sera pas payée par l’impôt

Mais ce ne sera pas l’impôt qui sera la contrepartie la plus évidente de la crise. D’un coté, ceux qui rebondiront, qui investiront, qui bénéficieront de taux d’emprunts de plus en plus faibles par rapport à la croissance de leur entreprise ou de leur pays. De l’autre ceux qui ne pourront pas emprunter ou ceux dont l’épargne sera faiblement, voire absolument pas rémunérée : la piétaille.

Cela augure d’un divorce. Entre les plus riches et les plus pauvres, entre les pays riches et les pays pauvres, entre l’Europe du nord et celle du sud.

Ceux qui pensaient que la mondialisation, dans chaque pays, creusait les inégalités vont s’apercevoir que démondialiser est pire. La mondialisation est déjà regrettée par les millions de pauvres qui sont sortis de l’extreme pauvreté ces dernières années et craignent, comme le prévoit l’ONU, la FAO, l’Unicef et la Banque mondiale, d’y replonger.

D’un coté, l’abondance des liquidités permet aux détenteurs d’actifs de s’enrichir mécaniquement par la captation de la création monétaire. De l’autre, la décroissance punit les plus modestes, les moins qualifiés, par le chômage, la stagnation de salaires, la non rémunération de l’épargne, puis l’impôt-solidarité-covid. Ceux qui veulent faire payer les riches par un impôt spécial sont les mêmes qui n’ont pas compris que l’impôt des riches n’est pas payé par les riches mais par l’économie.

Ne pas rater la croissance

Habituellement, les crises réduisent les inégalités par destruction du patrimoine (guerre ou inflation). Cette fois c’est l’inverse. 

Mais la crise n’est pas finie. Elle peut engendrer de nouveaux conflits, entre pays, au sein des pays. Il ne faut rater la reprise, et libérer la croissance. Les pays ne sont jamais égaux face aux crises, les  personnes non plus : tout le monde ne paiera pas la crise au même prix.

Laurent Dominati  

Laurent Dominati  

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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