Rendez-nous Giscard ?

Rendez-nous Giscard ?

« Vous habitez chez vos parents ?». « Non, je vis avec ma femme, j’ai deux enfants, Monsieur le Président. » J’avais 25 ans et j’étais candidat sur sa liste aux élections européennes. Comment peut-on être si intelligent et dire une telle bêtise? Giscard est un cas. Jacques Chirac provoquait l’affection, Mitterrand la méfiance, Giscard la distance.  

Comme il était, de sa génération et de bien d’autres, le plus intelligent, tous, hier assassins et moqueurs, aujourd’hui font son éloge[1]. Il était temps. Xi Jinping ne s’y est pas trompé, il a salué « un grand homme d’Etat ». La Chine a des archives et vit dans le temps long. 

Il a été le plus mal aimé des Présidents. Destin d’autant plus cruel qu’il ne demandait que cela: être aimé. Normal, il avait tout : Engagé volontaire, Croix de guerre, polytechnicien, énarque, député à 30 ans, ministre à 32, de l’intelligence à en distribuer, l’appétit de l’avenir, du dynamisme, et même, -qui s’en souvient ?- de l’élégance. Trop c’est trop. Il fut méprisé, trahi, rejeté. 

Un destin de star déchue

Trop de fées à son berceau. Alors il traina sa défaite pendant la moitié de sa vie comme un gâchis, espérant un sourire, une marque d’affection, un regret. On déteste toujours les premiers de la classe. Or Giscard prétendait à l’excellence, ce qui était insupportable.

Si l’on essaie de faire la liste des réformes qu’il a décidées, on est certain d’en oublier. De la création du Parlement européen à la Caisse des Français de l’étranger, du statut de Paris à la saisine du Conseil Constitutionnel, de la majorité à 18 ans à l’éclatement de l’ORTF, du programme nucléaire au système monétaire international, de l’indemnisation du chômage à la loi sur le divorce, du droit à l’avortement à la création du G7, de l’accès aux documents administratifs à la fin de la censure, de l’agence spatiale européenne au Musée d’Orsay, à la cité des sciences, au musée Picasso, à la loi sur le handicap, au CDD, au minimum vieillesse… la liste est très incomplète. Les initiatives giscardiennes portent toutes la marque de la modernité, d’une avancée, voire d’un risque. Pourtant, il eut un mal fou à faire voter ses lois et ses budgets.

Tous contre 

Tous contre, mais aucun n’a remis en cause ce qu’il avait fait. Ni Mitterrand, ni Chirac, ses successeurs et meilleurs ennemis, bien plus aimés que lui, n’ont pas laissé un tel héritage, hélas. 

Giscard avait laissé la France sans dette, avec une croissance de 3%, l’une des plus élevées du monde, et un chômage à 5%. Durant son septennat, malgré deux crises pétrolières, le pouvoir d’achat a continué à croitre. En deux ans, elle était au bord de la banqueroute et Mitterrand, avec Delors, faisait heureusement le choix de l’Europe contre les ultras et Chevènement. Nous avons toujours le record des prélèvements et une dette à 120% du PIB. Avec Giscard, la France se croyait en crise, c’était l’Eldorado. 

Libéral, social, européen

A gauche, il incarnait la bourgeoisie, à droite, il apparaissait comme un usurpateur. C’est pourquoi il fut trahi. Pour tous, il était trop libéral, ou trop social, ou trop européen, pour reprendre la formule par laquelle il se définissait.

Le problème n’était pas sa politique. C’était la meilleure possible. Le problème, c’était lui. Il écrasait tout le monde de son intelligence. Je l’ai vu, à l’Assemblée, capable, en un discours, de renverser l’opinion de ses collègues. Du coup, ils préféraient ne pas l’écouter. De cette aisance, tout le monde lui en voulait. Plus il cherchait à être aimable, plus il paraissait condescendant. A faire « populo », en invitant les éboueurs, il apparaissait comme une marquise jouant à la bergère. Comme il parlait avec affectation, on moquait le bourgeois qui prétendait descendre de Louis XV. Lui qui avait critiqué « l’exercice solitaire du pouvoir » de De Gaulle  paraissait jouer au Roi bourgeois, au Président-citoyen. La simplicité affectée ne marche pas. Pourtant, depuis, la dérive monarchique s’est terriblement accentuée. 

Une France capable d’affronter les crises 

Giscard tenta désespérément de revenir. Son parti préféra Barre ou Balladur plutôt que lui. Jamais il n’a pu retrouver ce lien qu’il avait créé avec les Français en 1974, campagne insolite dans laquelle il incarnait la modernité triomphante. Le film de Depardon, qu’il a longtemps bloqué, en rend justice. 

On n’aime pas les meilleurs

Il est difficile d’accepter d’être gouverné par les meilleurs. Etre contre ne rend pas plus intelligent mais çà fait plaisir. Ils ont tous été contre, à se payer Giscard. Et pourtant, tous se sont ralliés, tôt ou tard, à ses vues, notamment sur l’Europe. Malheureusement aucun ne l’a suivi sur la politique économique.

Depuis sont apparus les nouveaux pauvres, les restos du cœur, et, ces dix dernières années le nombre de bénéficiaires des minimas sociaux a augmenté d’un million. 

Macron, nouveau Giscard ?

Certains voient en Macron un héritier de Giscard. Dans les mots, la jeunesse, la foi dans le progrès, la recherche d’un corps central, sans doute. Si c’était le cas, ce ne serait pas bon signe pour sa réélection. Pour l’instant, il lui manque ce pour quoi Giscard mérite d’être salué : cette boulimie de réformes qui caractérisa son mandat. On attend encore une seule réforme d’envergure. On peut dire qu’il y a la crise ; avec Giscard il y en eut deux, sans compter la révolution islamique et l’invasion de l’Afghanistan par une URSS oppressante en Europe.  

la société libérale n’a pas beaucoup avancé

S’il y avait un Giscard aujourd’hui, la France, Covid ou Gilets jaunes, ne serait pas arrêtée. Innovation, écologie, méditerranée, indépendance de la justice, institutions, pouvoirs locaux, universités, recherche, création culturelle, éducation, droit d’asile, immigration, défense, énergie, fiscalité, déficits, dans tout ces domaines, il y aurait une nouveauté, avec une empreinte européenne, et l’ambition de faire de la France un modèle.

Il rêvait de faire de la France une société libérale avancée. La France est tout sauf libérale. Rarement le contrôle des citoyens a autant progressé, que ce soit dans la vie économique ou la vie personnelle. 

Pays-Bas, Suisse, Allemagne, Suède, Finlande, autant de pays plus « giscardiens » que le nôtre. Vont-ils plus mal ? Ce n’est pas dans le passé qu’il faut chercher notre inspiration, mais simplement chez nos voisins. 

Laurent Dominati

Laurent Dominati

Editeur du site Lesfrancais.press. 

Ancien Ambassadeur de France au Conseil de l’Europe, ancien député de Paris. 


[1] J’avoue ne pas être objectif : Mon père faisait partie des cinq fondateurs des Républicains indépendants.

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