Les campagnes électorales ne sont pas des périodes propices aux réformes économiques. La crise sanitaire qui n’est pas encore achevée rend plus encore difficile leur adoption et leur déploiement. Les sujets difficiles à traiter sont donc renvoyés à l’après-juin 2022 quand les Français auront choisi leur Président (10 et 24 avril) et élu leurs députés (12 et 19 juin). Compte tenu de la fragmentation de l’électorat, il n’est pas impossible que le Président de la République soit contraint de constituer une majorité de coalition, ce qui retardera d’autant l’élaboration des projets de réformes.
La future majorité, quelle qu’elle soit, aura en effet à relever plusieurs défis économiques et sociaux dont l’assainissement des comptes publics, la crise du logement, les problèmes de recrutement des entreprises, la mutation de l’économie occasionnée par la digitalisation et la transition énergétique.
L’assainissement complexe des comptes publics
Le déficit public de la France s’est élevé en 2020 à 9,2 % du PIB, soit deux fois celui de l’Allemagne. En 2021, il devrait, une nouvelle fois, dépasser 9%. La dette publique est passée de 2019 à 2020 de 98 à 116% du PIB. Malgré le retour de la croissance et l’amélioration de la situation de l’emploi, le déficit structurel français devrait rester, sans réforme, à un niveau élevé, autour de 6% du PIB.
Avec la réduction des rachats d’obligations par la Banque Centrale Européenne, les pouvoirs publics devront faire appel plus massivement à l’épargne nationale ou extérieure au risque de générer des effets d’éviction. En 2021, 25% de la dette publique française a été acquise par la BCE. La hausse probable des taux pèsera sur le budget de l’État.
L’endettement de la France se cumulant avec un déficit de la balance des paiements courants, la France sera de plus en plus sous la pression de la Commission européenne et des États d’Europe du Nord. La réduction des déficits publics sera un exercice compliqué en France en raison de la forte appétence de la population à la dépense publique.
Depuis 2002, les dépenses publiques dans notre pays ont augmenté de 40 %. Par ailleurs, plusieurs postes sont amenés à progresser durant les prochaines années dont ceux liés à la santé, la retraite, la dépendance, la formation, la sécurité intérieure et la défense, auxquels vient s’ajouter la transition énergétique.
Lors des crises précédentes, les gouvernements ont privilégié l’arme fiscale aux économies budgétaires au point que le niveau de prélèvements obligatoires français est le plus élevé des pays de l’OCDE.
Pour rassurer ses partenaires, le Président de la République répète que la réflexion sur la réforme des retraites engagée en 2019 sera poursuivie tout en indiquant que celle-ci ne pourra pas intervenir avant la présidentielle. Les dépenses de retraites en France sont, avec celles de l’Italie, les plus élevées de l’OCDE. Elles atteignent 14% du PIB, contre une moyenne de 8%. Ce haut niveau de dépenses est lié au choix d’un système qui repose sur des régimes obligatoires (régimes de base et complémentaires).
La France dépense plus que ses partenaires sur la majorité des postes, en particulier la santé, le logement et les aides aux entreprises.
Le déficit extérieur, le prix de la désindustrialisation
Depuis 2003, la France accumule des déficits commerciaux en lien avec la désindustrialisation qu’elle subit depuis les années 1990. Depuis le début de la crise sanitaire, le déficit industriel s’est accru avec le recul des ventes d’aéronefs et de véhicules. En moins de vingt ans, le poids de la France dans les exportations mondiales a été divisé par deux. Il est passé de 6 à moins de 3% quand l’Allemagne passait sur la même période de 10 à 8%. Le déficit n’étant plus totalement compensé par les recettes issues du tourisme et des services. La France est confrontée à un déficit extérieur qui commence à être notable.
Sur les sept premiers mois de l’année 2021, le déficit commercial demeure élevé du fait d’une vive progression des importations entre les mois de janvier et avril. Sur un an, de juillet 2020 à juillet 2021, le déficit s’établit à un niveau élevé de près de 68 milliards d’euros, soit quatre milliards d’euros de plus que le résultat de l’année 2020. Selon la Banque de France, en 2020, la France a enregistré son déficit des transactions courantes le plus élevé depuis 1982. Il a atteint 43,7 milliards d’euros, soit 1,9 % du PIB.
Ce déficit a accru la position extérieure négative de la France qui a atteint, à la fin de l’année dernière, 30 % du PIB. Elle se situe désormais jute 5 points au-dessous du niveau de déclenchement de la procédure de déséquilibre macroéconomique. La restauration des comptes extérieurs suppose une amélioration du solde industriel. Or, la France a enregistré une diminution du poids industriel au sein de sa valeur ajoutée important. Il est passé de 12 à moins de 10 % de 2000 à 2020.
La réindustrialisation suppose un effort de formation et de recherche important.
Le problème de recrutement des entreprises
Dès la reprise économique, les difficultés de recrutement des entreprises françaises sont devenues très importantes. Plus de 15% des entreprises sont confrontées à des problèmes de recrutement, ce taux atteignant 40% au sein du secteur du bâtiment. Ces difficultés sont de nature structurelle et non cyclique. Ce problème a plusieurs origines. L’inadéquation entre offre et demande de travail est traditionnelle en France. Depuis de nombreuses années, les entreprises éprouvent des difficultés à trouver des ingénieurs ou des techniciens en particulier en informatique, en robotique ou en électronique. De plus en plus d’actifs se détournent des emplois pénibles soumis à des horaires atypiques (construction, hébergement, restauration). Certains secteurs peinent à trouver des candidats en raison de rémunérations trop faibles (services à la personne, secteur de la santé, éducation). La crise sanitaire a renforcé cette tendance.
En outre, le niveau de compétences des actifs français est faible au regard des standards internationaux. Selon le classement PIAAC de l’OCDE, la France se classe au 21e rang en ce qui concerne le niveau des actifs. En raison également des piètres résultats enregistrés selon la dernière enquête TIMMS sur le niveau en sciences des élèves, aucun progrès n’est attendu en la matière pour les prochaines années.
Les goulots d’étranglement sur le marché du travail pourraient nuire sur le long terme à la croissance. Une croissance pérenne suppose une amélioration sensible du taux d’emploi en France qui, avant la crise sanitaire, était inférieur de dix points à celui de l’Allemagne, du Japon ou du Royaume (65 % contre plus de 75 %).
Le problème majeur de l’accès au logement
Un nombre croissant de ménages éprouve des problèmes pour se loger décemment en raison de l’augmentation du prix des logements, à l’achat comme en location. Au sein des grandes métropoles, depuis une dizaine d’années, la qualité des logements est en baisse du fait de la réduction de leur taille. Le coût médian des dépenses de logement en France est de 22 %. Il est en hausse constante depuis les années 1980. Cette progression contribue au ressenti de diminution des conditions de vie. Une grande partie des gains de pouvoir d’achat de ces trente dernières années a été captée par les dépenses contraintes que sont les dépenses de logements et celles liées aux assurances et aux abonnements. Elles sont passées de 12 à 29 % de 1960 à 2019. Pour les 20% du bas de l’échelle des revenus, ces dépenses représentent près du tiers de leur revenu, contre moins d’un cinquième pour les 20% les plus riches, selon une étude de l’INSEE de 2017.
Pour les ménages les plus modestes qui ne disposent pas d’un HLM et pour les jeunes actifs, les dépenses de logement peuvent représenter jusqu’à 40% du budget. Du fait de l’augmentation du prix de l’immobilier, les primo-accédants sont de moins en moins nombreux malgré la baisse des taux d’intérêt. En France, en moyenne, les prix des logements ont doublé en vingt ans ; à Paris, ils ont été multipliés par quatre. Pour tenter de freiner la croissance des crédits immobiliers et les prix, le Haut Conseil à la stabilité financière (HCSF), qui associe entre autres le ministère de l’Économie et la Banque de France, a indiqué le 14 septembre, qu’il rendrait contraignant, à compter du 1er janvier 2022, les recommandations prudentielles (limitation à 25 ans la durée des prêts immobiliers, et à 35% la part des revenus consacrée au remboursement du crédit et au paiement de l’assurance-emprunteur). Les banques ne peuvent déroger à ces règles que pour 20 % de leur production. Ces mesures si elles visent à éviter une dérive du marché immobilier risquent néanmoins de pénaliser les emprunteurs les plus jeunes avec peu d’apport personnel.
Les prix de l’immobilier augmentent en France en lien avec une forte demande provoquée par la concentration croissante de la population au sein des grandes métropoles et à proximité des littoraux. Ils sont également la conséquence d’une rareté du foncier et d’un coût de construction élevé du fait d’une faible industrialisation du secteur du bâtiment. Les mises en chantier sont nettement inférieures à 500 000, le niveau jugé nécessaire pour répondre à la demande.
Le coût du logement pourrait générer d’importantes tensions sociales. Après Paris, plusieurs grandes villes ont décidé d’encadrer les loyers mais cela ne résout pas la totalité du problème. De nombreux ménages sont contraints de résider de plus en plus loin de leur lieu de travail, les obligeant à utiliser de coûteux moyens de transports.
En France, un plan de relance de construction de logements pourrait être engagé.
Le défi de la transition énergétique
La France s’est engagée à respecter la neutralité carbone nette en 2050 et réduire de 55 % en 2030 ses émissions de CO2 par rapport à 1990. En 2020, la moitié du chemin a été réalisée, sachant que l’année dernière était atypique avec la mise en place des confinements. Les efforts à réaliser d’ici 2030 demeurent conséquents. La réalisation de nombreux investissements en matière de production d’énergie, la transformation du parc automobile et la rénovation de millions de logements auront un coût important pour les pouvoirs publics, les entreprises et les ménages. Pour la première fois, un changement d’énergie s’effectue non pas au nom de la productivité mais de manière réglementaire au nom de la protection de l’environnement.
La transition énergétique bouleverse de nombreux secteurs d’activité avec, à la clef, la transformation de millions d’emplois. La filière automobile (construction, réparation, commerce, station d’essence) est évidemment fortement exposée tout comme celles de l’énergie et des biens intermédiaires fortement émettrices de CO2. Le secteur au sens large de l’automobile emploie plus de 500 000 personnes en France. Une reconversion des salariés vers les nouveaux secteurs liés aux énergies renouvelables (solaire, éolien, batteries, etc.) devra être organisée.
La transition énergétique devrait occasionner un renchérissement des énergies carbonées ce qui pourrait pénaliser les ménages se chauffant au fioul ou au gaz ainsi que ceux qui effectuent de nombreux déplacements en véhicules à moteur thermique.
Le défi de la recherche
En baisse depuis 2007, les dépenses publiques de recherche et développement en France s’élevaient à 0,8% du PIB en 2019, quand elles atteignaient 1% en Allemagne et en Suède. Toujours en 2019, les dépenses privées en la matière étaient inférieures à 1,5% du PIB en France. Elles dépassaient 2,1% du PIB aux États-Unis ainsi qu’en Allemagne et atteignaient 2,5% au Japon et en Suède. Le nombre de brevets pour 100 000 habitants était de 0,3, en 2019, en France, contre 0,4 aux États-Unis, 0,6 en Allemagne et 1,4 au Japon. La faiblesse de la recherche développement est une des causes et une des conséquences de la désindustrialisation. Elle contribue également au recul des parts de marché à l’exportation.
Les dossiers économiques et sociaux seront donc nombreux, la liste ci-dessus étant loin d’être exhaustive. L’aménagement du territoire avec la question des transports, la modernisation du système de santé, la dépendance sont autant de sujets sensibles qui seront également au cœur des débats des prochaines années.
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