Quand la Chine basculera

Quand la Chine basculera

Le sacre de Xi Jinping pourrait être le sommet l’acmé de la Chine, c’est-à-dire le début de sa chute. Apparemment, la Chine poursuit sa formidable ascension. Même la crise de la Covid l’aurait épargnée. Rare pays à avoir évité la récession en 2020, sa croissance l’an dernier atteindrait les 8%. L’an prochain, elle devrait baisser à 5%, taux considérable vu d’Europe, mais insuffisant pour sortir les millions de Chinois sous le seuil de pauvreté. L’immobilier, qui assure 25% du PIB et 20% des emplois, est surendetté. Le plus grand promoteur, Evergrande, a fait défaut : 260 milliards de dettes. Il n’est pas le seul en difficultés. L’Etat baisse les taux d’intérêt pour redonner un peu d’air. La dette chinoise, publique et privée, dépasse les 300% du PIB. Sa croissance a toujours été supérieure à la croissance du PIB.

Petites failles ou mauvais signes

Esprit malin, le « virus chinois » revient au berceau. Les Jeux Olympiques d’hiver se dérouleront sans public. Accrochée à sa stratégie « zéro covid », la Chine ferme villes, ports, entreprises. Si la faillite d’Evergrande peut déstabiliser le système financier chinois, le virus peut fissurer son économie. Ce qui pose des problèmes d’approvisionnement dans toutes les économies mondiales. La dépendance des économies incite Coréens, Japonais, Américains et Européens à rapatrier les implantations industrielles. Les menaces sur Taïwan, premier producteur de micro processeurs, la mainmise sur Hong Kong, le contrôle politique sur les entreprises, freinent les investissements et brisent la confiance.

La loi du parti au dessus des lois

Beaucoup commencent à douter de cette évidence longtemps partagée, selon laquelle les dirigeants chinois ne seraient plus  communistes. La Chine se présente comme un « gouvernement par la loi », mais la loi est celle du parti. Les règles peuvent changer en un jour, les contrôles sont omniprésents. Au lieu d’assurer la stabilité, l’incertitude est, en fait, permanente, chez les cadres.

Autre défi : la population chinoise vieillit, et bientôt déclinera. Avec un problème de retraite bien plus grave qu’en Occident. D’où la gravité de la crise immobilière : c’est la propriété de son logement qui garantit la retraite. D’autant que la décroissance de la population devrait se constater plus tôt que prévu et induirait automatiquement une décroissance économique.

Une crise chinoise est possible, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour le monde

Si ces différentes failles s’accentuent, la Chine ne rattrapera jamais les États-Unis, contrairement à ce qui est annoncé. Une crise chinoise est possible, assez vite. La confrontation avec les États-Unis l’accélère.

Pour autant, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour le monde.

Tout d’abord parce qu’une crise chinoise entrainerait une crise de l’économie mondiale. Ensuite parce que les régimes autocratiques, et la Chine en est un des plus performants, voient souvent dans l’agressivité extérieure une porte de sortie nationaliste. Les dirigeants chinois n’ont jamais abandonné leur rhétorique révolutionnaire, il leur suffirait de l’appliquer. Dernièrement, des manœuvres militaires conjointes entre la Chine, la Russie et l’Iran ont été organisées dans l’Océan indien. Le budget militaire de la Chine a considérablement augmenté ces dernières années. Le budget de la diplomatie chinoise plus encore : la Chine a constitué le premier réseau diplomatique du monde, avec plus de 8 milliards d’euros, un budget qui a doublé en dix ans. Cela fonctionne bien : 53 pays votent avec la Chine aux Nations Unies dans sa politique de reprise en main de Hong Kong.

Une crise de l’économie chinoise puis mondiale alimentera des foyers de tensions et de guerres supplémentaires

Ce ne seront pas les Etats-Unis qui provoqueront la confrontation, mais, comme d’habitude, leur habileté est telle qu’ils la faciliteront. Après avoir financé l’essor de la Chine, ils en recevront les coups. Mais seront-ils ceux qui en souffriront le plus ?

Une crise de l’économie mondiale alimentera des foyers de tensions et de guerres supplémentaires. La carte des alliances et des conflits dessine les futures éruptions : Asie centrale, Asie du sud-est, Moyen-Orient, Afrique.

Quel rôle est dévolu à l’Europe ? Les Etats-Unis souhaitent que l’Europe fixe la Russie. Et l’Europe n’aura évidemment pas le choix, si la Russie reste alliée à la Chine, si la Russie continue son jeu de tensions.

La politique étrangère de la Chine est fondée, officiellement sur le multilatéralisme, le libre échange et la non-intervention. En fait, il faudrait plutôt traduire : clientélisme, mercantilisme, soutien aux régimes autoritaires. Les Chinois ont des bases militaires en Asie centrale, Djibouti mais aussi en Argentine. L’atout chinois, outre le financement d’infrastructures et les prêts, est la garantie d’un soutien sans faille aux dirigeants en place (avec la corruption qui accompagne les contrats d’Etat).

Pour ne pas être à la traine, l’Europe doit oser se poser face à la Chine

Junte birmane, théocratie iranienne, Talibans, tous peuvent compter sur la compréhension chinoise quant à leur façon de gouverner. Et comme les Occidentaux, eux, font la morale démocratique, la clientèle est de plus en large.

Le principal handicap de la Chine, ce qui la fera basculer, et qui risque d’entrainer une déflagration mondiale, c’est son appétit pour le contrôle : pas une entreprise, un collège, un quartier, sans le contrôle du parti. Cela coûte cher. Pas un cadre qui ne doive apprendre la pensée de Xi Jinping.

Que la Chine bascule ou poursuive son rêve de conquête, le défi est là. Intelligence artificielle, semi-conducteurs, énergie, l’économie européenne a raté bien des marches. Elle est le plus grand marché mondial, mais ne participe à cette nouvelle économie digitale qu’en consommatrice – et en productrice de normes (atout non négligeable).

Se préparer au choc de cette déflagration est un impératif pour chaque pays. Comment ? Le rêve européen a perdu de sa superbe face au rêve chinois. Ce serait le moment de le raviver, à l’extérieur et à l’intérieur car cette ambition ne peut se faire en opposant caricaturalement « européistes » et « nationalistes ».

Le principal atout de l’Europe est de devenir l’espace politique le plus stable, le plus serein, le plus divers, le plus fiable de la planète. Construire, en anticipant les déflagrations à venir, une aire de paix, de sureté, une « communauté de destin commun », pour reprendre la phraséologie de Xi Jinping, qui légitimerait son aire d’influence. Si l’Europe ne veut pas être à la traine d’une rivalité sino-américaine, elle doit oser se poser elle-même en modèle face à la Chine.

Pour le 95ème anniversaire du Parti communiste chinois, en 2016, Xi Jinping définissait les « 4 confiances en soi » comme un des axes majeurs de sa pensée[1] : confiance en sa propre voie (son modèle de développement), en ses propres théories, son propre système et sa propre culture. Les cadres du parti apprennent par cœur ces discours pour s’imprégner de ces « 4 confiances ». On ne demandera pas aux Européens d’apprendre par cœur, mais d’avoir confiance en eux-mêmes. Après tout, les vainqueurs de la dernière guerre froide, qui en a tiré le plus d’avantages, c’est l’Europe. Il se pourrait qu’il en soit de même pour la prochaine.


[1] Discours du 1er juillet 2016.

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