Paris, capitale de la diplomatie mondiale

Paris, capitale de la diplomatie mondiale

Le Quai sur le pont

Quel boulot ! Quel ballet ! On se serait cru à la Conférence de la paix du siècle dernier : Paris, pour un instant, pour un instant seulement, est redevenue la capitale de la diplomatie mondiale. Le « Forum de la paix » d’un coté, la Conférence sur la Lybie de l’autre, les rendez-vous avec la Russie en travers, sans compter les zakouskis divers comme pour un dîner mondain : rencontres bilatérales en brochettes, un œil sur le feu de la Cop 26 à Glasgow, des canapés de Conférence générale de l’Unesco, un zeste de réforme en Conseil des ministres pour les Expats… cette semaine, nos amis du Quai auraient mérité la prime de Noël avant l’heure.

Difficile de conclure par un bilan du Forum: si beaucoup d’idées ont été lancées –l’Appel de Paris sur le numérique semblant la plus prometteuse -, tous nos amis du Forum peuvent-ils parler de paix quand Russes, Turcs, Iraniens, Chinois ne sont pas là ? S’agit-il d’un club de valeurs pacifiques, comme le devient la Cop, de grands salons d’exposition des bonnes volontés, surtout du monde européen vis-à-vis des pays moins développés ? Comme le dit si bien le ministre indien : « les pays en développement doivent encore s’attaquer aux questions d’éradication de la pauvreté ». 

Se placer au centre du jeu n’est pas négligeable. A condition d’avoir du jeu.

Certes, pour la France, se placer au centre du jeu n’est pas négligeable. A condition d’avoir du jeu. Sinon, ce n’est qu’une pente douce de devenir une ONU bis, une ONG qui vendrait des armes, une Suisse neutre mais pauvre. A défaut de diriger le monde, il ne serait pas inutile de défendre nos intérêts. 

Ce qui fut fait face aux Russes, sans que l’on sache déjà si la conversation aura des effets au Sahel, en Ukraine ou en Lybie. En regardant en arrière, on s’aperçoit que les talents du quai d’Orsay, la parole de la France, n’ont pas été toujours bien compris. Nous sommes en froid, sinon fâchés – pour d’excellentes raisons- avec : Le Royaume-Uni (pêche et sous-marins), les Etats-Unis et l’Australie (sous-marins), la Belgique et la Suisse (Rafales), le Maroc (visas), l’Algérie, le Venezuela (trop à gauche), le Brésil (trop à droite), le Mali (trop de soldats), le Pakistan, l’Afghanistan, la Turquie, l’Iran, le Liban, la Pologne, la Hongrie, et quelques autres. Tous ont tort, c’est sûr. Mais nous ne leur avons peut-être pas assez expliqué pourquoi ils ont tort. Peut-être aussi avons-nous quelques failles, soit dans nos informations, soit dans notre analyse du monde, soit dans notre façon de parler… Comme la France va prendre les rênes de l’Union européenne, peut-être faut-il ne pas confondre les lampions du Quai pour des fusées, ni prendre les lampistes pour des génies. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

Y a-t-il une place entre la Chine et les Etats-Unis ? 

La seule question qui vaille, pour la France et l’Europe est celle-ci : y a-t-il une place – et une politique, entre la Chine et les Etats-Unis ? Le Royaume-Uni dit non. Les reculs des positions françaises en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient doivent poser à nos dirigeants, y compris quant ils parlent aux Russes ; qu’avons-nous dit sur le Nord Stream ?- la question de notre crédibilité. 

(Photo by GONZALO FUENTES / POOL / AFP)

Au lendemain du « Forum pour la Paix » et de la Cop 26, Joe Biden et Xi Jinping se sont parlé, pour la troisième fois, au téléphone.  L’un incarne la vieillesse et le déclin, l’autre la force et la sérénité. La pensée de Xi est officiellement devenue la quintessence de la Chine. Celle de Joe n’a pas cette prétention. La Chine affiche son irrésistible dessein de conquérir le monde, l’Amérique son retrait. En Chine, l’ordre règne. L’administration fonctionne aussi vite que la justice ; une classe de serviteurs dévoués dépasse toujours les objectifs fixés, l’idéologie agrège peuples et récalcitrants. Tout l’inverse de l’anarchie galopante qui submerge l’Amérique jusqu’au Capitole.

Quel empire périra ? 

A jeter un œil, on devine dans quel sens tourne le vent de l’Histoire. « L’araignée tisse les tentures dans le palais des Césars » chantait Mehmed le Conquérant de Constantinople, dans Sainte-Sophie ensanglantée. « Tout empire périra », dit-on plus sobrement au Quai. Mais lequel ? Le modèle ottoman, sa bureaucratie exemplaire, son idéologie inépuisable (l’islam), ses serviteurs dévoués, ses peuples heureux de vivre dans le plus paisible empire de la terre, finit, lui aussi, par sombrer. L’Europe anarchique, divisée, barbare, le dépassa, le dépeça. 

La Vice-présidente américaine Kamala Harris à l’ouverture du Forum pour la Paix.

Il est donc tout à fait possible que les images de paix du Forum, les échecs répétés des Cops, la lassitude affichée de l’Amérique, les divisions de l’Europe, ne dessinent que l’apparence des rapports de forces. La tradition pacifiste des Européens est assez modeste.

Remettre en cause les outils et les habitudes 

Tout cela remet en cause les habitudes. Tout d’abord celle de la proclamation des bons sentiments comme axe politique. Face aux migrants jetés aux frontières de la Pologne, l’Union européenne se retrouve prise dans les filets du cynisme, en décalage avec ses discours sur le droit d’asile, impuissante dans sa politique inefficace de sanctions. Cela remet en cause aussi les outils diplomatiques : le multilatéralisme n’est-il pas, lui aussi, à usage limité ? Les grands organismes de la diplomatie internationale, les sommets, sont ils encore efficaces ? Unesco, OSCE, OIT, OMC, OMS, ONU, ne sont ils pas un tant soit peu hors sol ? Ne fonctionnent-ils pas en vase clos, préoccupés de leur autopromotion ? Leurs discours ne véhiculent ils pas les clichés convenus plutôt que les réalités du monde ?  Ne sont- ils pas en train de rater les révolutions en cours ? Sur la monnaie, l’art, l’éducation, ils sont perdus.

Beaucoup d’outils diplomatiques sont dépassés, comme le sont ceux de la force. Quelques cyberattaques en Europe, aux Etats-Unis, en Iran, ont transmis plus de messages qu’il n’y en eu au Forum de la paix. C’est cette nouvelle diplomatie que doit mettre en œuvre la Quai d’Orsay. La France pourrait ainsi régler quelques questions en Turquie, en Afrique et ailleurs sans avoir besoin de beaucoup de déclarations. Agir sans se fâcher, plutôt que se fâcher sans agir. Moins d’ambition, plus de succès.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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