Panne de l’ascenseur social en France, la faute à qui ?

Panne de l’ascenseur social en France, la faute à qui ?

La panne de l’ascenseur social, la faute du patrimoine, de l’école et de la mobilité ?

Au sein de l’Union européenne, la France est le pays où les inégalités de revenus après impôts et prestations sociales sont les plus faibles (rapport de 3,5 entre les 10% les plus modestes et les 10% les plus aisés en ce qui concerne les revenus) mais elle est également celui où l’ascenseur fonctionne le moins bien. Selon une étude de l’OCDE, en moyenne, il faut six générations pour atteindre le revenu moyen en France en partant du premier décile. Au Danemark, deux générations suffisent. Néanmoins, l’Allemagne ne fait pas mieux que nous quand, en Hongrie, il faut sept générations pour obtenir le même résultat.

En 2015, parmi les enfants d’ouvriers ou d’employés, 50% étaient ouvriers ou employés. Parmi les enfants d’ouvriers et employés peu qualifiés, 66% étaient également peu qualifiés. De même, toujours en 2015, 26,7% des fils d’agriculteurs exercent eux-mêmes cette profession, 50% des enfants de cadres supérieurs le sont également quand ce taux n’était que de 20% il y a trente ans.

L’ascenseur social s’est ralenti avec la succession des crises. Des années 1960 aux années 1990, la proportion de cadres au sein de la population active avait fortement augmenté facilitant les promotions. Le faible nombre de diplômés de l’enseignement supérieur facilitait également le brassage social. Paradoxalement, la massification de l’enseignement supérieur a contribué à rigidifier la société française. La France a connu en cinquante ans une forte progression du nombre d’étudiants. Ils sont passés de 777 000 à 2,6 millions de 1970 à 2020. Mais cette progression ne s’est pas accompagnée par une augmentation équivalente du nombre d’emplois qualifiés, ce qui a provoqué une progression des frustrations au sein des diplômés.

 

Nouveaux types de sélection

La non-sélection à l’entrée des universités ne facilite pas l’orientation des étudiants vers des filières débouchant sur des emplois stables et valorisant. Les enquêtes Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA de l’OCDE) relèvent la difficulté du système éducatif français à corriger les inégalités sociales. Le décrochage d’un nombre croissant d’élèves, en particulier de garçons issus des quartiers sensibles, est souligné depuis plusieurs années.

En vingt ans, la proportion d’élèves en difficulté a considérablement augmenté (25% en 2018 contre 16% en 2003). En France, seuls 22% des jeunes les plus défavorisés sont en situation de réussite contre 26% en moyenne dans l’OCDE et plus de la moitié dans les pays asiatiques. Certains pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Pologne ou la Turquie ont réussi en moins d’une génération à améliorer l’équité sociale de leur système scolaire.

La panne de l’ascenseur social est également la conséquence de la mutation structurelle qu’a connue l’économie française depuis quarante ans. Le déclin de l’industrie a réduit les emplois d’ouvriers qualifiés pouvant déboucher sur des emplois d’encadrement. Les entreprises industrielles formaient leurs salariés, ce qui favorisait leur progression au sein de la hiérarchie. La suppression des échelons intermédiaires au sein des entreprises réduit également la mobilité interne. Ce phénomène joue tant pour l’industrie que pour les services. Au sein de ces derniers, les entreprises étant de plus petites tailles, elles offrent moins de possibilités de promotion. Si certains secteurs exigent un niveau élevé de formation (secteur financier, conseils en entreprise, informatique), beaucoup d’autres, en revanche, recourent à des salariés à faibles qualifications (services domestiques, logistique, etc.). Le tertiaire recourt fortement aux CDD et à l’intérim, ce qui ne facilite pas non plus l’ascension sociale.

 

L’atout international

Par ailleurs, le développement de nouvelles formes d’emplois, la micro-entreprise par exemple, contribue également à la rigidité des positions sociales. L’essor des chauffeurs de véhicules (VTC), de la livraison à domicile a créé de nombreux emplois mais qui ne permettent pas une réelle élévation sociale.

Ce ralentissement de l’ascension sociale par le travail est également explicable par le moindre rôle que joue ce dernier dans la quête de sens pour une partie non négligeable de la population. Selon différentes enquêtes menées notamment par le Crédoc, la réussite professionnelle a perdu de sa valeur depuis une vingtaine d’années. Selon une enquête du Crédoc du mois de mai 2020, 80% de la population français considère qu’il convient de ralentir sur le plan professionnel.

 

La faute au système éducatif ?

Le système éducatif français reste très sélectif. La massification a même renforcé la sélection. Les grandes écoles qui s’étaient ouvertes aux enfants des classes moyennes durant les Trente Glorieuses se sont refermées depuis. Ces grandes écoles assurent la formation de 4% des étudiantes et étudiants. Les dépenses par élève au sein de ces écoles sont deux fois supérieures à celles des étudiants des universités. Ces dernières années, quelques progrès ont été, certes, accomplis pour assurer une plus grande diversité du recrutement au sein de ces établissements avec la mise en place de nouvelles filières comme à Sciences Po. Il n’en demeure pas moins que 50% des étudiants des grandes écoles ont des parents cadres ou professions libérales quand ceux-ci ne représentent que 17% de la population active. De plus en plus, l’accès aux emplois les mieux valorisés passe par un parcours tant au niveau éducatif que professionnel par l’étranger. Cette ouverture internationale reste l’apanage des catégories supérieures.

 

La faute au patrimoine ?

Selon l’OCDE, la concentration du patrimoine sur une part restreinte de la population jouerait également un rôle dans la moindre mobilité sociale. Début 2018, la moitié des ménages vivant en France concentre 92 % de la masse de ce patrimoine. Les 5% des ménages les mieux dotés en patrimoine financier en détiennent plus de la moitié alors que 1% des ménages en possèdent 31%. En 2017, le patrimoine maximum des 10% de ménages les moins pourvus est 160 fois moins élevé que le patrimoine minimum des 10% de ménages les mieux dotés.

La succession des crises depuis 1973 affecte fort logiquement plus durement les ménages modestes. Disposant d’un faible patrimoine, leur situation en termes de revenus devient délicate en cas de retournement conjoncturel. Durant les Trente Glorieuses, l’absence de crise longue réduisait la dépendance au patrimoine. Depuis vingt ans, la valorisation des actifs immobiliers et financiers a accru les écarts entre les différentes catégories sociales. La part des dépenses de logement a augmenté pour les ménages les plus modestes et tout particulièrement pour ceux ne pouvant pas accéder aux logements sociaux. Cette part peut atteindre 30% quand la norme, dans les années 1970, était de 20%.

La répartition du patrimoine est plus inégalitaire que celle des revenus. Le patrimoine est majoritairement détenu par les plus de 55 ans. Le poids de l’héritage qui intervient en règle générale après 55 ans a doublé en quarante ans. L’absence de patrimoine familial va souvent de pair avec la pauvreté monétaire. Selon l’OCDE, la moitié des jeunes ne bénéficie pas de l’effet amortisseur du patrimoine en cas de difficultés économiques.

 

La faute à la mobilité ?

L’accès aux transports constitue un vecteur de mobilité sociale. Les personnes n’ayant pas la possibilité de se déplacer facilement ont une forte probabilité de ne pas connaître d’ascension sociale durant leur vie. Cette corrélation commence dès la période d’enseignement. Les jeunes dont l’ancrage géographique restreint le champ des études sont pénalisés. Les ruraux et les habitants des quartiers périphériques des grandes agglomérations sont les premiers concernés par cette situation. Les différentes études réalisées notamment par l’OCDE soulignent que la capacité des individus à progresser socialement est fortement déterminée par le niveau d’éveil obtenu entre 3 et 10 ans.

Les premières années d’enseignement et la capacité des parents à s’occuper de leurs enfants en leur assurant une ouverture sociale ainsi que culturelle seraient déterminante.

Les pouvoirs publics devraient donc concentrer leurs moyens sur l’école primaire pour lutter contre le décrochage qui intervient souvent au moment du collège. Si les pays asiatiques comptent parmi les principaux pays de créateurs de logiciels de jeux vidéo, leurs gouvernements en limitent l’accès aux jeunes enfants et privilégient la lecture et l’enseignement des sciences dans un cadre qui demeure plus autoritaire que celui qui a cours en Occident. Les bons résultats au test PISA sont-ils la conséquence de cette politique ?

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