L’exil, ce lieu commun, une nouvelle patrie.

L’exil, ce lieu commun, une nouvelle patrie.

Une partie de l’Arménie n’est plus. Avec le retour de la guerre, avec les moyens du pétrole, la dynastie postsoviétique d’Aliev a repris le Haut-Karabakh. La protection de l’Arménie par la Russie, s’est évaporée comme l’armée russe, peu à peu, en Ukraine. L’amitié de la France ne suffit pas. Pas plus qu’au Liban, autre pays déchiré, autre source d’exilés. En trente ans, la diplomatie n’a pas trouvé de solution. D’un côté Bakou, parfumé du pétrole de la mer Caspienne, avec des immeubles neufs copiant tous les styles, y compris ceux de Paris. De l’autre, des montagnes, des vallées de poussières que les Arméniens disent être le Paradis. Au bout de la route, « Voilà, c’est ici : La montagne sacrée de l’Arménie, Le mont Ararat. » Devant, rien. Des nuages. «Où est-il ?» « Bon, aujourd’hui on ne le voit pas bien parce qu’il y a des nuages, mais derrière les nuages, c’est lui. C’est sûr. On ne peut pas y aller parce que la frontière est juste là. C’est la Turquie. Mais parfois on le voit. »

Il vaut mieux des gendarmes que des seigneurs de guerre.

Du mont Ararat j’avais déjà touché un bout d’ardoise : un reste de l’arche de Noé, m’a-t-on dit. Déjà, la France tentait, avec d’autres, de trouver des solutions au conflit. Faute de diplomatie, la solution, la voilà : la guerre, l’exil. Quand il n’y a pas de police, la violence triomphe. Dans le monde, il vaut mieux des gendarmes que des seigneurs de guerre. 

Au Mali, au Niger, au Burkina, la France a cessé d’être gendarme. Accusée par des esprits manipulés de « néocolonialisme », elle recule, abandonne le Sahel, auquel elle avait imposé la paix pendant plus d’un siècle. Les guerres du Sahel, entre Touaregs du nord et populations noires du sud, l’islam en prétexte, reprennent. Des milliers de morts, déjà. 2500 en une semaine. Tombouctou au risque d’être encerclé. Belle efficacité des mercenaires, belle ,victoire des anticolonialistes de pacotille, bel aveuglement des Américains qui croient pouvoir ignorer la France, comme ils le font au Maroc, belle indifférence des Européens.

Si le Med 9 définit une politique pour la Méditerranée, alors l’Europe aura enfin une boussole.

Le Med 9 se réunit à Malte. Le Med 9, L’Europe de la Méditerranée France, Italie, Espagne Portugal, Grèce, Chypre, Malte et désormais Croatie et Slovénie : deux cents millions d’habitants, presque la moitié du PIB de l’Union européenne. Principal sujet : l’immigration. Cette fois, France et Italie sont d’accord.  Giorgia Meloni dénonce aujourd’hui « l’aveuglement » de ceux qui croient aux « réponses nationales » (comme elle avant d’être au gouvernement). Robert Abela, Premier ministre maltais, demande à l’Europe des « partenariats solides et globaux avec tous nos partenaires du sud de la Méditerranée ». Si le Med 9 arrive à définir une politique pour l’ensemble de la Méditerranée, alors l’Europe aura enfin une boussole, pas seulement sur l’immigration. 

Car est-il possible que l’Europe perde le sud ? Faites entrer l’Afrique dans l’ère digitale, construisez des écoles, celles du 21ᵉ siècle, avec des tablettes numériques, l’accès au savoir, à l’image, à d’autres modes de vie que celles des écoles coraniques, des « sugar daddies », des juntes militaires, des trafiquants et pirates. 

Pour éviter la contamination subversive européenne, les régimes interdisent peu à peu les médias français. Mais les ondes passent. L’Algérie punit désormais l’enseignement du français dans ses classes. Le Maroc boude la France. Le maréchal Haftar va en Russie. Dans l’autre Libye, les Turcs installent une base militaire à Al-Khoms, avec l’appui du gouvernement concurrent. L’Europe appuie enfin la Tunisie, au moment où elle tourne le dos à la démocratie, avec un président incompétent, autocrate, antisémite, raciste. Sans vision d’ensemble, sans action solidaire, impossible de régler les questions migratoires, économiques, énergétiques, sécuritaires, monétaires, religieuses et … politiques : celles des régimes et du droit.

Absence de vision globale : Ursula von der Leyen a signé un accord il y a quelques mois avec l’Azerbaïdjan pour se fournir en gaz. De 5% du gaz fourni à l’Europe, l’Azerbaïdjan passerait à 18% d’ici à 2027. Des sanctions européennes contre le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh ? Erdogan pavoise, en attendant que l’Azerbaïdjan lance une nouvelle offensive qui le lierait directement à son allié. Seule l’Iran semble s’inquiéter. Elle se méfie de l’Azerbaïdjan « laïque », elle est en partie peuplée d’Azéris (entre 15 et 30 millions). Les cartes au Moyen-Orient se redistribuent. L’Arabie se rapproche de l’Iran, de la Chine, d’Israël ; qui arme l’Azerbaïdjan. Les accords d’Abraham font des petits. L’Europe et la France regardent. Nous avons pourtant des soldats là-bas. Et même des amis.

Sur 108 millions de « déplacés » dans le monde, 35 millions de réfugiés, dont la majorité vienne de quatre pays.

120.000 Arméniens vont s’exiler. Que va dire le Med 9 ? l’Europe va-t-elle ouvrir ses portes, comme au temps du génocide arménien ? Selon l’ONU, il y avait, sur 108 millions de « déplacés » dans le monde, 35 millions de réfugiés. Ce qui, en fait, est extrêmement peu. Ce qui justifie de ne pas remettre en cause la notion de « réfugié », mais de la distinguer de celle de « migrant ». 23,5 millions de réfugiés sur 35 viennent de quatre pays : Syrie (6,5 M), Ukraine (5,7 M), Afghanistan (5,6 M), Venezuela (5,4 M). Suivent les Soudans du nord et du sud, (3M) et la Birmanie (1,8). La France accueille 100.000 réfugiés. Est-ce insurmontable ? 

Le monde est peuplé d’exilés qui s’adaptent à de nouvelles frontières et en hérissent nouvelles. C’est la culture qui compte. Les terres et les fleuves, comme la vallée du paradis et le mont Ararat, peuplent les imaginaires et les paysages mentaux, avec les langues et les villes. Les Bulgares chrétiens orthodoxes d’aujourd’hui étaient des Turcs nomades chamanistes hier. Des paysans grecs sont devenus turcs ottomans. Des Maures se veulent arabes. Des Khazars sont devenus juifs ashkénazes New-Yorkais. Un Indien est premier ministre de Charles III, héritier de la reine Victoria, de familles allemandes. Les nations sont des mythes. Les cultures respirent au-delà des mythes. La France et les États-Unis prétendent porter des messages universels, parce forgés à partir de peuples et de récits différents. Pour concilier ces langues et droits coutumiers divers, il faut penser l’universalité et la liberté, l’égalité et la spécificité de chacun. 98% des Américains sont des descendants d’exilés, 50% des Suisses, 25% des Français. Plus de Grecs vivent en dehors de la Grèce qu’en Grèce.

Si la France s’affaiblit, si l’Europe s’affaiblit, une certaine idée de l’humanité désespère.

Ces 35 millions de réfugiés le sont pour des raisons purement politiques : Afghanistan, Venezuela, Syrie, Ukraine, théâtre de conflits religieux, idéologiques, nationalistes. 

Si la France s’affaiblit, si l’Europe s’affaiblit, une certaine idée de l’humanité désespère. On peut dire que nous n’avons pas assez fait pour les Arméniens. Sommes-nous capables de faire plus ? Qui fait plus ? La France a envoyé des soldats en Afghanistan, en Syrie,  en Afrique. Sans résultat politique. Faut-il en envoyer en Arménie, en Ukraine ? En protection, peut-être, avec les Nations Unies, comme au Liban : ne pas oublier le droit.

Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu revient de Kiev. Il confirme l’engagement de la France, il rappelle que notre présence en Afrique fut à la fois nécessaire et isolée, hélas. Les armes ne suffisent pas. 

Les larmes non plus. L’exil ne dépend ni du courage, ni de l’enracinement, mais de la politique. Accueillons les Ukrainiens et les Arméniens : ils défendront la France, ce qu’elle veut dire dans le monde. Aime qui t’aime. Alors le pays d’exil devient une patrie. Ce n’est pas un idéal, c’est l’histoire qui le montre.

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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