L’euro numérique concerne la société et pas seulement la finance

L’euro numérique concerne la société et pas seulement la finance

Si le développement d’un euro numérique offre de nouvelles opportunités pour l’Europe, celles-ci ne peuvent être saisies que si la société civile peut prendre part à cette discussion, affirment Tristan Dissaux, Jézabel Couppey-Soubeyran et Wojtek Kalinowski dans une tribune signée par plus de 100 universitaires et ONG.

Tristan Dissaux est chercheur à l’Université Libre de Bruxelles. Jézabel Couppey-Soubeyran est maîtresse de conférence à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École d’économie de Paris. Wojtek Kalinowski est le co-directeur de l’Institut Veblen pour les réformes économiques.

Alors que l’euro fête ses vingt ans, la Banque centrale européenne (BCE) étudie actuellement la possibilité de mettre en circulation un « euro numérique » en complément des pièces et des billets que nous utilisons encore, mais de moins en moins, dans nos transactions quotidiennes.

À la différence des cartes bancaires et des autres systèmes de paiement, l’euro numérique serait une « monnaie numérique de banque centrale », c’est-à-dire une monnaie émise et garantie directement par la BCE, accessible et utilisable par tous.

Une telle innovation ouvre de nouvelles opportunités pour nos sociétés et pour l’euro lui-même, défié comme il est par de nombreux projets de monnaies numériques privées. Mais la BCE est-elle disposée à saisir ces opportunités ?

L’accès à la monnaie de banque centrale dans sa forme dématérialisée est pour l’instant réservé aux acteurs bancaires et financiers ; l’euro numérique permettrait de l’ouvrir à l’ensemble des particuliers et des acteurs économiques. L’euro numérique pourrait rendre nos systèmes de paiement plus inclusifs et moins coûteux pour les catégories les plus pauvres. Il pourrait aussi permettre la mise en place de nouvelles politiques économiques, sociales ou environnementales en rendant possibles des transferts monétaires vers l’ensemble des citoyens européens. Il pourrait enfin renforcer la légitimité de la monnaie unique en la mettant plus clairement au service des citoyens européens.

Cependant, on peut craindre une occasion manquée. La BCE semble n’envisager la nouvelle monnaie numérique que comme un simple outil technique dénué de toute dimension sociale et politique, et sa construction avance sans réelle implication des citoyens, de manière descendante et technocratique.

Si la BCE a bien annoncé son intention de collaborer avec l’ensemble des acteurs de la société, pour l’instant, elle n’a fait que constituer un groupe de trente experts (le Digital Euro Market Advisory Group) exclusivement issus des secteurs bancaire et financier. Ceux-ci se retrouvent de fait en position privilégiée pour orienter les modalités concrètes de l’euro numérique.

Quant à l’Euro Retail Payments Board, qui compte certes deux associations de consommateurs parmi ses vingt membres, il est seulement invité à rendre des avis sur les éléments spécifiques qui lui seront soumis par la BCE. Les citoyens ne seront quant à eux impliqués qu’à travers quelques « focus groups » dont on ignore les modalités.

La consultation publique déjà organisée par la BCE et close en janvier 2021 ne saurait justifier de ne pas impliquer plus largement les citoyens européens. L’enjeu démocratique mérite bien plus qu’un questionnaire en ligne peu publicisé, peu accessible et ne permettant pas l’appropriation du sujet, alors que la majorité de la population en est peu familière.

Nous appelons donc la BCE à véritablement s’ouvrir à la société pour la construction de l’euro numérique et à élargir la discussion sur les objectifs qui pourraient être poursuivis grâce à cette innovation monétaire. Cela requiert d’abord la transparence sur les activités et les réflexions menées au sein de la BCE, ainsi que la possibilité donnée aux acteurs de la société civile et du monde académique d’y prendre part. De plus, nous demandons à la BCE de lancer un véritable débat public sur l’euro numérique, qui soit informé et éclairé, au sein des États membres.

Jézabel Couppey-Soubeyran, l’une des autrice de la tribune

Mais surtout, c’est notre notre démocratie qui doit s’impliquer. Le sujet n’est pas seulement technique, il est avant tout politique car l’euro numérique nous concerne tous. Nous appelons donc le Parlement européen à se saisir de cet enjeu dans le cadre du dialogue monétaire qu’il mène avec la BCE. Ce dialogue est le seul principal cadre prévu par les Traités où la démocratie puisse s’exprimer sur les objectifs de la politique monétaire. Il devrait inclure les objectifs de l’euro numérique, sans que ce dialogue ne soit réduit à une pure formalité dans laquelle le Parlement acterait simplement des décisions déjà prises.

Le futur euro numérique doit être considéré comme un bien public. Sa phase d’étude offre une occasion unique d’impliquer les citoyens, leurs représentants et les acteurs de la société civile dans une réflexion étendue aux manières dont l’euro numérique pourrait aider les pays de la zone euro à mieux faire face aux multiples crises auxquelles ils sont confrontés. Ces options dépendront fortement des choix techniques qui seront faits, qui ne doivent donc pas être préemptés par les acteurs bancaires et financiers.

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