J’ai tenu parole, j’ai fait ton éloge. Vois-tu, je l’ai dit publiquement, tu étais un homme talentueux, mais qui a fait quelques erreurs. Ah mon ami, pourquoi n’as-tu pas su rester à ta place ? Nous formions un beau couple, toi et moi. Toi la brute, moi le cerveau ; toi le truand, moi le Président ; toi le milliardaire, moi le peuple ; toi le mercenaire, moi le drapeau.
Mais tu t’es pris pour qui ? Tu m’as pris pour qui ? « Papy couillon qui est au Kremlin » as-tu osé ! Et maintenant, qui est le couillon ?
J’ai dû faire creuser des tranchées sur les autoroutes à deux cents kilomètres de Moscou. Tous ces idiots du FSB, pire encore, ceux de l’armée, crevaient de trouille. Ils ne perdent rien pour attendre. J’en ai déjà liquidé quelques-uns, le reste suivra.
Tu as vraiment cru, avec tes menaces, que j’allais oublier ? Te laisser faire ton beurre en Afrique ? C’est ce que j’ai toujours aimé chez toi : ton côté simplet, naïf. Tu m’as longuement expliqué ce qui allait se passer si on touchait à ta vie. Tu avais prévu un grand déballage. Un certain nombre de dossiers, financiers, militaires, iraient tout droit à la CIA, aux services étrangers. Tu n’étais pas idiot : tu avais bien prévu qu’on essaierait de t’éliminer. Et je t’ai donné ma parole, que non, que je l’empêcherais, que tu pouvais compter sur moi, que je savais bien tout ce que tu savais, sur moi, sur d’autres, que je ne te prenais pas pour un imbécile. Que je ne prendrais pas un tel risque.
Et tu m’as cru. Imbécile.
Des dossiers sur les uns et les autres
Il n’y a pas que toi qui parle aux Américains ! Moi aussi j’ai des dossiers sur les uns et les autres, sur toi, sur eux, à défaut, j’en fabrique. J’ai même les preuves que tu leur avais transmis des renseignements et qu’ils n’en ont rien fait, qu’ils n’ont rien dit, ni à leurs alliés, ni aux Ukrainiens. Quant à ce qui pourrait sortir, il suffira de dire que c’est la CIA. Et puis, toi mort, tes amis sont moins amicaux, sauf avec moi : ils pensent à sauver leur peau, et ne sont pas chers.
Regarde, qui se plaint de ces disparitions : Leonid, notre directeur général de Gazprom, le bon Leonid, Shulman, suicidé dans sa salle de bain ? Son collègue, Alexander Tyulyakov, directeur financier, apprenant sa mort, de désespoir s’est pendu dans son garage. Beau geste de solidarité.
Pendu dans le garage, tu te rappelles, c’est une signature : Mikhail Watford aussi s’est pendu dans son garage. C’était à Londres. Lui aussi pensait que le gaz et le pétrole étaient à lui. Alors qu’il est à moi. Comme tout, comme toi. Tu étais à moi. Il se croyait milliardaire. Toi, j’aurais pu te laisser en prison. Ou en cuisine. Tu es un plat qui a trop cuit, trop brûlé.
Et Vassily, tu te souviens de Vassily ? Melnikov voyons. Le patron de Medsom, le groupe pharmaceutique. Lui aussi milliardaire. Suicidé. Sa femme et ses deux enfants aussi. 14 et 10 ans. Il les a poignardés. Il avait dû prendre un de ses médicaments, un excitant.
Suicides, accidents, etc.
Et Avaev, Vladilav, de la Gazprom Bank, il était avec moi au Kremlin. Lui aussi a tué sa femme et sa fille. Et puis suicide. Logique. Comme Serge, Protosenya, tu sais celui de Bordeaux qui surveillait de temps en temps ma villa à Biarritz, il était dans le gaz jusqu’au cou : pendu en Espagne. Le remords. En vacances, tranquille, qu’est ce qui lui passe par la tête : il tue sa femme et sa fille. Alors, forcément, il regrette, et se pend à un arbre.
Le plus drôle c’est Yuri. Voronov. Il s’est suicidé en se noyant dans sa piscine avec une balle dans la tête. On n’est jamais trop sûr. Si la balle ne te tue pas, au moins tu meurs noyé.
Subbotin, Alexandre, lui a toujours fait l’original. Il a voulu jouer les grands patrons de Lukoil. Alors que c’est moi Lukoil ! Il a dit qu’il était contre la guerre. Quelle guerre ? Il a été voir un chaman pour connaître l’avenir : le chaman lui a incisé la peau pour le guérir. Il lui a mis du venin de crapaud. Guéri. De tout. De l’avenir.
Alors que, tu m’excuseras, Ravil Maganovn, Lukoil toujours, c’est d’un banal… On le met à l’hôpital pour le soigner, voilà qu’il se jette par la fenêtre. Aucune confiance dans la médecine russe ? Alors qu’on a été les premiers à sortir le Sputnik, le vaccin contre la Covid ! Tu te rappelles, le blé qu’on s’est fait sur le vaccin ? Ah, c’était le bon temps. Et les vieilles qui ne voulaient pas se faire vacciner ! Il a fallu les faire traîner par la milice. Enfin, qu’est-ce qu’on a rigolé.
Le vieux Ravcil se jette du 6ème étage, et le jeunot Ivan, Pechorin, tombe de son voilier. Il ne sait pas faire de la voile, il ne sait même pas nager. Tu savais qu’il avait un voilier, toi ? C’est marrant : lui non plus. L’accident bête. Tu prends la mer, tu ne sais pas nager, tu bois pas que de l’eau, et hop, une gorgée de trop et tu tombes à bâbord.
C’est comme ça, le destin. Comme Anatoly, Gerashenko, drôle aussi. Il adorait l’aviation. Il tombe dans l’escalier. Pour un looping, c’est un loupé. Il n’avait pas vu qu’il n’y avait pas de rampe. Une farce, non ? Le spécialiste de l’aviation qui saute dans le vide de l’escalier.
D’un autre côté, les escaliers n’ont pas toujours des rambardes. Même quand il y en a, c’est pas sûr. Pour Dmitry Zelenov, il y avait une balustrade dans l’escalier. Il est passé par-dessus quand même. On n’y est pour rien : c’était une balustrade française. À Antibes. Tu crois que les Français sont dans le coup ? Je rigole ! Spécial comme type. Tu lui donnes des milliards, il se croit libre, il critique. De France, en plus. Alors qu’en France, on a quand même pas mal d’amis : Ségolène, Nicolas, Marine, Jean Luc. C’est moche quand même, alors qu’il y a de bons Français qui me comprennent… lui, cousu d’or, parle contre la sainte Russie. La divine Providence se venge, elle s’appelle « balustrade ». Pouf.
Kristina Baikova, la vice-présidente de la Loko Bank, tombée elle aussi de la fenêtre de son appartement. Son petit-ami a filmé la scène : elle s’y précipite. Quelle mouche l’a piquée ?
Pavel, le député Panov, s’est jeté de la terrasse de son hôtel. Suicide encore. Il n’a pas supporté la mort de son ami, Bidonov, dans le même hôtel. Hôtel porte-poisse, il va perdre des étoiles. Un drogué, un alcoolique, Bidenov. Et Pavel n’a pas supporté sa disparition. C’est beau l’amitié.
Moi, j’ai bien supporté la tienne. Mais tu n’étais pas mon ami : tu étais mon serviteur.
Tous sont des serviteurs. On t’a retrouvé calciné. Comme Dimitry Pawochka, le patron de Rocosmos. Son domicile a brûlé. Lui et ses secrets avec.
Je ne te fais pas la liste des autres, disparus, suicidés, malades, accidentés, amis, critiques, milliardaires, opposants, ministres, diplomates, généraux, scientifiques, tous des prétentieux : les Rovneiko, Shkurko, Bortsov, Pavochka, Makarov, Yankina, Rovneiko, Kucherenko, Bartenev, Klinishov, Fomin, Avramenko, Nikolayev, et puis toi, Prigojine.
Au moins tu as eu droit à un enterrement. Dans le bled pourri où tu es né. Comme on n’a voulu pas voir trop de monde, on a baladé des corbillards dans toute la ville pour que personne n’arrive à suivre le bon. C’était d’un drôle. Un ballet de corbillards vides, toi on t’a foutu dans une camionnette.
Maintenant ils crèvent tous de trouille. Ils ont peur d’être sur ma liste. Ils savent que je frappe quand je veux, où je veux. Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent. Le peuple me suit. Je suis le peuple. Je suis la Russie. Toi tu n’es rien, un pauvre type qui est mort pour moi, comme des centaines de milliers d’autres pauvres types.
La guerre, ça permet de vider les prisons, d’éliminer les traîtres, d’enfermer les douteux, d’entretenir la tension, d’alimenter l’énergie nationale. Tu verras, on gagnera. Ils nous paieront pour qu’on arrête. On trouvera une solution « diplomatique » qui maintiendra la pression. Même s’ils reprennent tous les territoires, même s’ils reprennent la Crimée, comme ils n’oseront jamais attaquer le sol russe, on recommencera à les harceler. Ce qui justifiera mon pouvoir.
La guerre m’autorise tout. On n’est vaincu que quand on l’accepte. Ou quand on meurt.
Il fallait me tuer Evgueni, tu n’as pas osé. Tu aurais dû. Grâce à toi, plus personne n’osera. Tu as voulu jouer au héros ? Il y a des crétins qui te mettent des fleurs à Moscou ? Ils ne perdent rien pour attendre. Je t’ai toujours répété que ce ne sont pas les héros qui font l’Histoire, mais les salauds. La terre, ô sainte Russie, c’est l’enfer. J’y suis bien, j’y resterai longtemps. Toi, tu ne seras pas rongé par les vers, il n’y avait déjà plus rien à ronger.
Ton patron,
Vladimir.
date | Nom | Âge | Fonction | Circonstance de la mort |
---|---|---|---|---|
26/01 | Dmitry Pavochka | 49 ans | Haut responsable associé à Roscosmos | Mort dans l’incendie de son appartement |
13/02 | Vladimir Makarov | 72 ans | Ancien général de la police russe | Suicide |
16/02 | Marina Yankina | 58 ans | Chef du département des finances, ministère russe de la Défense | Chute mortelle du 16e étage d’un immeuble |
22/02 | Viatcheslav Rovneiko | 59 ans | Ancien espion du KGB | Retrouvé inconscient à son domicile à Moscou |
04/04 | Igor Shkurko | 49 ans | Cadre russe su secteur de l’énergie | Retrouvé mort dans sa cellule en prison |
20/05 | Pyotr Kucherenko | 46 ans | Vice-ministre des Sciences et de l’Enseignement | Tombé malade lors d’un vol |
08/06 | Artyom Bartenev | 42 ans | Juge fédéral | Chute mortelle du 12e étage d’un immeuble |
17/06 | Grigory Klinishov | 92 ans | Physicien nucléaire | Suicide |
24/06 | Kristina Baikova | 28 ans | Vice présidente d’une banque russe | Chute mortelle du 11e étage d’un immeuble |
01/07 | Andrei Fomin | 57 ans | Procureur russe de la région de Tchouvachie | Défaillance cardiovasculaire aiguë alors qu’il nageait |
04/07 | Aleksey Avramenko | 47 ans | ministre des transports et des communications du Biélorussie | Mort soudaine |
juillet | Alexander Nikolayev | 72 ans | Ancien diplomate russe | Victime des suites d’une agression près de sa maison dans la région de Tver |
14/07 | Natalia Bochkareva | 44 ans | Fille d’un ancien gouverneur de Penza Oblast | Retrouvée morte chez elle |
22/07 | Anton Cherepennikov | 40 ans | Homme d’affaires russe | Arrêt cardiaque |