Face à l’imprévisible, une seule certitude : se battre

Face à l’imprévisible, une seule certitude : se battre

L’imprévisible est ce qu’il y a de plus sûr. Qui eut dit que Poutine allait enclencher une guerre aussi stupide ? Qui eût dit que le cuisiner de Poutine allait se retourner contre son maître ? Les renseignements américains prétendent qu’ils savaient. Depuis le 11 septembre, ils prédisent tout et son contraire, pour ne jamais être pris en défaut.

Poutine a perdu sa guerre depuis longtemps. En revanche, l’Ukraine n’a pas gagné la sienne. Sa seule vraie chance, c’est la déroute de l’armée  russe, un refus de combattre, comme en 17. La rébellion de Prigojine montre que c’est bien possible. Il a pris Rostov parce que l’armée russe l’a laissé passer.

Tout Etat fort repose sur l’illusion de la force de l’Etat 

Qu’il soit parti en sauvant ses milliards et sa tête, provisoirement ou non, montre que l’Etat russe, comme tout Etat fort, repose sur l’illusion de la force de l’Etat. Tout le danger est là. 

Les milices remplacent les armées. Les mafias remplacent les partis. Il y a de plus en plus d’Etats faillis, à commencer par ceux qui se veulent les plus solides. On sait qu’Haïti, le Mali, l’Éthiopie, le Soudan, la Syrie, la Libye,  le Liban, le Yémen, et tant d’autres ne sont plus des Etats. Mais l’URSS, l’Irak, la Syrie, se voulaient policiers et forts. Comment la deuxième armée du monde a-t-elle pu caler devant Kiev ? Comment s’est-elle fait humilier par une milice d’anciens taulards ? L’armée, comme le FSB, c’est l’Etat russe, avec les mafias qui les servent et s’en servent. Qui sait s’il n’y aura pas demain d’autres Prigojine, s’il ne reviendra pas ? Que vont devenir les troupes Wagner en Afrique ? Et les gouvernements qui les paient, les « Etats » qui les abritent sont-ils des Etats ? Que serait une Russie aux mains de seigneurs de guerre, avec six mille têtes nucléaires ? 

Démonstration est à nouveau faite que chaque crise entraîne d’autres crises : une guerre extérieure se transforme en crise interne, une crise interne peut déboucher sur une guerre. 

Démonstration est faite que les Etats forts sont faibles, les autocrates sont à la merci de leur cuisinier, de leur garde du corps, de n’importe quel commensal.

Il faut espérer et laisser la porte ouverte à une Russie libre

Démonstration est faite que la croisade contre l’Occident qu’a voulu utiliser Poutine pour justifier son invasion, renforce l’Occident. Si Poutine avait choisi, comme Eltsine, l’alliance avec l’Europe, la Russie serait un pays riche, et libre. Et l’Europe plus sûre. Il faut espérer et laisser la porte ouverte à une Russie libre. Y travailler dès maintenant. L’Etat russe est d’une extrême fragilité.

Vladimir Poutine rencontre le président Boris Eltsine au Kremlin, à Moscou (Russie), le 27 juillet 1999. ©AFP

Derrière la transition écologique et la « nouvelle architecture financière », choisir son camp

A Paris, une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement étaient invités pour une « nouvelle architecture financière internationale ». Le « Nord » expliquant au « Sud » que les financements viendraient accompagner la transition écologique, obsession de la jeunesse occidentale. Belle générosité, beau succès diplomatique d’une France qui se voit comme un pont entre le Sud et le Nord, d’autant que ses finances commencent à ressembler à celles d’un pays du Sud. 

Derrière les lieux communs et les envolées lyriques, deux réalités : la première, la petite Finlande l’a, en marge du sommet, clairement expliqué, elle ne financera plus d’aide au développement avec les pays qui ne condamnent pas la Russie. Comme une délégation de pays africains venaient de rentrer de Kiev, puis de Moscou, où ils avaient été reçus avec le tapis rouge par Poutine, le message était clair. Derrière la transition écologique et la « nouvelle architecture financière », choisir son camp. Aussi Macron embrassa-t-il Lula le Poutinien avec autant de chaleur qu’il s’exclama : « la Russie déstabilise l’Afrique ». Et le Brésil ? 

Il n’est pas sûr que ce sommet change la finance internationale. Il est certain que les messages sont d’autant mieux passés que Prigojine s’est rebellé, que ses troupes en Afrique sont défaillantes dans des Etats eux aussi faillis. 

Les chefs d’Etat à Paris ce 23 juin 2023 ©AFP

Personne n’a osé dire lors de cette conférence que les courbes de la prospérité suivent, à quelques années près, celles de la démocratie. Personne ne prête ni n’investit dans des Etats gouvernés par des gangs mafieux, où le volume de corruption dépasse celui des recettes fiscales. C’est pourquoi l’Uruguay est riche et le Venezuela pauvre. C’est pourquoi les oligarques russes (et chinois) sortent l’argent de leur pays. Et que le yuan ne remplacera jamais le dollar.

Ne faut-il pas jouer, y compris dans la diplomatie, les peuples plutôt que les gouvernements ?

La Russie était gouvernée par une association de clans mafieux, dont Prigojine était l’un des piliers. Est-ce le seul pays en ce cas ? Le président Tebboune, qui lui aussi est allé féliciter Poutine, un « grand homme » selon lui, (« petit couillon » d’après Prigojine qui le connaît mieux), n’est-il pas, lui aussi, à la tête d’un de ces clans qui pillent l’Algérie ? La France a-t-elle raison de faire tant d’efforts pour plaire à un gouvernement qui la méprise, alors que le peuple algérien, notamment ceux qui sont en France, déteste ce régime ? Ne faut-il pas jouer, y compris dans la diplomatie, les peuples plutôt que les gouvernements ? N’est-ce pas ce qu’il s’est passé en Ukraine, où la Révolution de Maïdan renversa un pouvoir assujetti au Kremlin ? Ce qui se passa en Pologne, du temps de Solidarnosc ? Ce qui doit se passer en Iran, avec la révolte des femmes que l’on soutient si peu, si mal ? 

Le Prince Ben Salman est venu à Paris chercher le soutien de la France pour l’Exposition universelle. Il s’est réconcilié avec l’Iran, sous le parrainage de la Chine. A chaque fois que l’Arabie s’éloigne des États-Unis, la France pense qu’elle a une carte à jouer. La France soutiendra donc l’Arabie, au détriment de l’Italie. Giorgia Meloni est pourtant venue elle aussi. Elle n’a pas le charme de MBS. Quoique post fasciste, elle ne découpe pas ses opposants en rondelles.

Les Etats démocratiques, s’ils ne défendent pas leur modèle, ne défendent rien.  

Les Etats démocratiques ne sont pas si forts que cela non plus. S’ils ne défendent pas leur modèle, ils ne défendent rien. S’ils ne sont pas unis, ils sont soumis. Au pétrole, à la Chine, ou à d’autres, à l’Amérique incertaine. Avec Trump, Poutine aurait pris l’Ukraine.   

La Conférence Nord/Sud de Paris a posé cette évidence : la révolution énergétique ne se fera pas contre le développement. Les pays du sud préféreront le charbon et le pétrole à la misère. Autre évidence : personne ne les financera sans confiance, ou seulement pour acheter leurs dirigeants, comme le font Prigojine et les Chinois. 

Il y a plus d’avenir pour la révolution financière et écologique à Vivatech qu’au sommet de Paris des gouvernements.

Toujours à Paris, le salon VivaTech est devenu le plus grand salon des nouvelles technologies du monde. 150 000 visiteurs, presque un milliard de connexions. De vrais gens. Il y a plus d’avenir pour la révolution financière et écologique à Vivatech qu’au sommet de Paris des gouvernements.

La Russie repose sur un modèle d’État dépassé, gangrené par les mafias et le seigneurs de guerre, elle s’effondre. Ce type d’Etat n’est pas rare. N’est-ce pas celui de la Chine ?

Quel sera l’Etat moderne au XXIème siècle ?

Cette fois, un seigneur de guerre démontre qu’un autocrate mafieux est à la merci de ses complices. Le défi n’est pas que militaire, ou financier, il est politique : comment créer un modèle qui soit celui d’un développement enviable pour les peuples? Quel sera l’Etat moderne au XXIème siècle ? Ce ne sera pas la Russie, ce ne sera pas la Chine, ce ne sera pas l’anti-Occident. La réponse est en nous, elle n’est pas encore aboutie. Elle est, hélas ou heureusement, imprévisible. Seule certitude : il n’y aurait pas eu de rébellion de Prigojine sans résistance ukrainienne. Donc, se battre.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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