À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont construit un nouvel ordre mondial reposant sur le dollar et le libre-échange. Ils ont imposé une pax americana. Le mouvement des non-alignés emmené, à partir de 1956 par l’Inde, l’Égypte, la Yougoslavie et l’Indonésie tout en rêvant d’incarner une troisième voie entre les États-Unis et l’URSS, a penché en faveur de cette dernière. L’implosion de l’URSS, en 1991, fit des États-Unis l’unique superpuissance durant une vingtaine d’années.
Les guerres en Irak et en Afghanistan ainsi que la crise financière des années 2007/2009 ont ébranlé la toute-puissance des États-Unis qui sont également fragilisés par l’antagonisme croissant des opinions. L’émergence de la Chine comme acteur de premier plan a bouleversé l’ordre géopolitique mondial. Dans une période de doute tant interne qu’externe, les gouvernements américains ont eu tendance à privilégier une approche plus égoïste, plus autocentrée. Ils ont développé un arsenal juridique pour imposer leur politique à leurs adversaires comme à leurs alliés (règle de l’extraterritorialité).
Les États-Unis ne sont plus en capacité d’imposer leur vision au reste du monde
Au niveau international, les rapports de force ont profondément évolué. Les pays du G7 représentent 40 % du PIB mondial en 2022, contre 62 % en 1975. Les pays émergents et du Sud rechignent à appliquer les consignes des États de l’OCDE. Nombreux sont ceux qui refusent d’appliquer les embargos à l’encontre de la Russie à l’image du Brésil ou de l’Inde.
Les États-Unis ne sont plus en capacité d’imposer leur vision au reste du monde. La Russie a décidé de manière unilatérale de redessiner ses frontières à l’Ouest et la Chine menace de conquérir par la force Taïwan. Le risque d’un conflit entre les deux grandes puissances mondiales rééditant celui entre Athènes et Sparte qui fut décrit par Thucydide n’est pas impossible comme vient de le souligner Henry Kissinger dans une interview à The Economist. À ses yeux, « les deux parties se sont convaincues que l’autre représente un danger stratégique ». Les deux États sont dotés de l’arme nucléaire et sont les plus avancés dans l’utilisation de l’intelligence artificielle. Un enchaînement tel que le monde l’a connu avec la Première Guerre mondiale pourrait se reproduire.
Réaffirmer le rôle des États-Unis tout en évitant les risques d’une montée aux extrêmes
Joe Biden tente depuis son arrivée à la Maison Blanche de réaffirmer le rôle des États-Unis tout en évitant les risques d’une montée aux extrêmes. Il mène une politique visant à améliorer la situation des classes moyennes et à accélérer la transition énergétique. Il a répudié le « consensus de Washington » du marché libre et souhaite que l’État puisse jouer un rôle plus important dans la société. Il demeure vigilant face aux provocations chinoises vis-à-vis de Taïwan sans pour autant prendre des mesures irréparables. Il soutient l’Ukraine financièrement et militairement tout en veillant à ce que le conflit reste cantonné.
Joe Biden a décidé de mettre en œuvre une politique industrielle dynamique reposant sur des crédits d’impôt (loi IRA). Cette politique vise à restaurer la puissance industrielle américaine, à accélérer la transition énergétique et à rallier aux Démocrates les populations d’ouvriers et d’employés qui ont basculé dans le camp des Républicains.
L’intervention de l’État et le protectionnisme stimuleront l’industrie, aidant la classe moyenne et refroidissant les fièvres populistes américaines.
Par rapport à la Chine, l’administration démocrate a abandonné la rhétorique guerrière de Donald Trump ; la vigilance a remplacé le découplage. Joe Biden souhaite trouver un terrain d’entente avec les autorités chinoises sur le changement climatique, la dette africaine et même l’Ukraine. Les 10 et 11 mai, Le conseiller à la sécurité nationale américain Jack Sullivan a passé huit heures avec son homologue chinois. Ce premier contact de haut niveau depuis des mois traduit une volonté d’accalmie avec les tensions en lien avec la situation de Taïwan.
Joe Biden entend assumer un leadership moins erratique que celui de Donald Trump même si l’administration américaine enfreint quelques règles économiques mondiales. À ce titre, elle ne manque pas de souligner que l’Union européenne recourt également à une politique protectionniste en multipliant les subventions que ce soit pour la fabrication des batteries, les transports ou l’agriculture. Si Joe Biden défend l’idée de relations internationales apaisées, les États-Unis continuent d’augmenter le budget de leur Défense tant pour venir en aide à l’Ukraine que pour dissuader la Chine d’attaquer Taïwan.
Les États-Unis représentent 25 % du PIB mondial, part constante depuis quarante ans
Au-delà des divisions internes de plus en plus criantes, les États-Unis demeurent la première puissance mondiale. Avec moins de 5 % de la population mondiale, le pays est à l’origine de 25 % du PIB mondial, part constante depuis près de quarante ans. Le dollar dont la fin est annoncée depuis cinquante ans est toujours la première monnaie internationale. Aucun autre pays n’est aussi prospère, innovant et productif.
Les États-Unis restent la seule puissance militaire capable d’être présente tout autour de la planète et disposant d’une panoplie complète d’armes.
Dotés d’une population en croissance, d’une économie attirant les capitaux et les talents de toute la planète, les États-Unis sont moins faibles qu’il n’y paraît. Or, les autorités américaines tendent à considérer que le pays est menacé. En conservant les mesures protectionnistes de l’ère Trump en particulier celles contre la Chine, elles créent dans les autres pays une acrimonie. Le recours croissant à la règle d’extraterritorialité est une source d’incompréhension au sein même des pays alliés. L’Inflation Reduction Act par son ampleur est également perçu, à l’extérieur, comme une menace.
Le nationalisme économique des États-Unis et sa réticence à ouvrir ses marchés sapent son influence. L’Europe craint une course aux subventions et une escalade des tensions avec la Chine dont elle serait la première victime. L’économie allemande est deux fois plus exposée à la Chine que les États-Unis en cas de réduction des échanges.
Des partenaires plus méfiants d’autant plus que leur allié est devenu imprévisible
Les États-Unis avec le FMI, les accords du GATT avaient, après la Seconde Guerre mondiale, promu un ordre mondial reposant sur le multilatéralisme. Par peur d’en perdre le contrôle, ils privilégient depuis plusieurs années un bilatéralisme fondé sur les rapports de force. Les partenaires des États-Unis sont de plus en plus méfiants à l’encontre de leur allié d’autant plus qu’il est devenu imprévisible.
Nul ne sait quelle sera l’orientation de l’administration américaine après 2024. La constance américaine qui a prévalu entre 1945 et les années 2000 semble avoir disparu. Les Américains doivent être persuadés qu’une approche plus optimiste sera la clé d’un pays fort et respecté. Par leur puissance, les États-Unis ont seuls la capacité à fixer un cadre cohérent en matière de transition énergétique, d’intelligence artificielle ou de commerce.
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