Bruno Le Maire se démène face à S&P pour éviter une dégradation de la note française

Bruno Le Maire se démène face à S&P pour éviter une dégradation de la note française

Le gouvernement se bat bec et ongles pour prouver à l’agence de notation S&P Global qu’elle ne devrait pas dégrader la note de la France, malgré un niveau d’endettement parmi les plus élevés de l’Union européenne.

« Nous avons de bons arguments à faire valoir », a déclaré le ministre de I’Économie Bruno Le Maire à France Inter, quelques jours avant la publication par S&P de la nouvelle notation financière de la France, vendredi (2 juin).

La note actuelle de « AA – » est susceptible d’être dégradée, alors que le niveau d’endettement français est parmi les plus élevés de l’UE, à 111,6 % du PIB en 2022. Le déficit, quant à lui, est légèrement inférieur à 5 % du PIB – bien loin des 3 % ancrés dans les traités européens.

Une autre agence de notation, Fitch, avait déjà dégradé la note de la France de « AA » à « AA – » à la fin du mois d’avril, faisant état d’un plan de réduction de la dette insatisfaisant et alertant sur le risque relatif aux mouvements sociaux.

« L’impasse politique [actuelle] et les mouvements sociaux (parfois violents) constituent un risque dans la mise en œuvre du programme de réformes d’Emmanuel Macron », avait averti Fitch.

Mais M. Le Maire garde le cap sur les réformes : « nous avons une stratégie crédible de l’accélération du désendettement », a-t-il déclaré sur France Inter. Le gouvernement s’est déjà engagé à ramener le niveau d’endettement à 108,3 % d’ici 2027.

Le pays est également sorti de la phase la plus grave de l’inflation, a annoncé mercredi (31 mai) le directeur de la Banque centrale française, François Villeroy de Galhau.

Tous les voyants sont donc au vert pour être « intraitable » sur le plan de réduction de la dette, a affirmé M. Le Maire : un message qu’il explique avoir fait passer de manière claire aux représentants de S&P, qu’il a rencontré dans le courant de la semaine.

Du « quoi qu’il en coûte » au serrage de vis

La volonté politique à reprendre le contrôle des finances publiques fait suite à des années de dépenses massives afin de lutter contre les pires effets de la pandémie de Covid-19, et soutenir l’économie à bout de bras.

En l’espace d’un an, le gouvernement français a fait part de sa volonté de changer de cap : la réforme des retraites, sujet de tant de controverses, devrait permettre d’économiser jusqu’à 13,5 milliards d’euros d’ici à 2030.

En outre, une réforme de l’assurance chômage, mise en œuvre le 1er février 2023 et qui vise à réduire le temps pendant lequel les chercheurs d’emploi peuvent bénéficier d’allocations si le taux de chômage est sous la barre de 9 %, devrait rapporter 4,5 milliards d’euros par an à partir de 2025.

L’étendue du bouclier tarifaire, enfin, a été réduite au profit d’aides plus spécifiques.

«La question de la maîtrise des finances publiques revient sur le devant de la scène parce que l’économie ralentit et que les taux d’intérêt augmentent », a déclaré à EURACTIV Charlotte de Montpellier, économiste senior chez ING.

Tant et si bien que le coût de la dette représentait près de 50 milliards d’euros en 2022, selon le média spécialisé fipeco.

« Nous avons de bons arguments à faire valoir », a déclaré le ministre de I’Économie Bruno Le Maire à France Inter, quelques jours avant la publication par S&P de la nouvelle notation financière de la France, vendredi (2 juin). [CHRISTOPHE PETIT TESSON/EPA-EFE]

Une dégradation est-elle grave ?

Le gouvernement s’est donc attelé à la tâche pour prouver à S&P — et, indirectement, aux marchés financiers — qu’il prend la réduction de la dette au sérieux.

Si la dégradation de la note se concrétise vendredi, « le coût de financement sur le marché obligataire augmentera pour l’Etat français, rendant les emprunts plus coûteux. En conséquence, la charge de la dette s’en trouvera augmentée », a expliqué à EURACTIV Jezabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférence à Paris I-Sorbonne et spécialiste de l’économie financière.

Les agences de notation de crédit suivent et accentuent les réalités du marché, plutôt qu’elles n’anticipent de nouvelles tendances, a-t-elle ajouté.

En ce sens, une dégradation de la note « est déjà largement intégrée dans le calcul des taux par les investisseurs », souligne Mme de Montpellier, de telle sorte que l’annonce vendredi, si effectivement elle se confirme, n’aura que peu ou pas d’effet sur la situation économique du pays.

Quant à Eric Heyer, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il va même plus loin : même dégradée, « la note reste bonne », écrit-il pour The Conversation.

Tout investisseur raisonne en termes relatifs, explique M. Hayer, et la France conserve l’une des notes les plus élevées au monde. Elle se situe en dessous de l’Allemagne, des Pays-Bas et des États-Unis, mais au même niveau que le Royaume-Uni et la Belgique, et mieux placée que la Chine et le Japon.

Financer la transition écologique

Alors que la réduction de la dette semble revenir dans l’agenda politique, d’autres avertissent que la transition écologique nécessitera des financements importants : jusqu’à 66 milliards d’euros chaque année à l’horizon 2030, selon un rapport publié récemment, qui ne veut pas exclure l’endettement public.

« Retarder au nom de la maîtrise de l’endettement public des investissements nécessaires
à l’atteinte de la neutralité climatique n’améliorerait que facialement la situation, sans aucun bénéfice sur le fond », écrivent Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, coauteurs du rapport.

La question n’est pas tant l’utilisation de la dette comme mécanisme de financement, que les projets et dépenses pour lesquels elle est utilisée. Ainsi doit-elle se concentrer sur des projets rentables sur le temps long – tant sur le plan financier qu’écologique, par exemple.

Il est donc impératif de commencer à réfléchir à des financements alternatifs pour les dépenses relatives à la transition écologique mais dont la rentabilité est faible ou nulle, explique Mme Couppey-Soubeyran, qui préconise la création de sociétés financières publiques, dont le rôle serait de subventionner les dépenses non-éligibles à de la dette.

Le rapport Pisani-Mahfouz parle aussi d’un Impôt sur la fortune (ISF) « vert », qui prendrait la forme d’un prélèvement forfaitaire exceptionnel de 5 % sur les actifs financiers des 10 % des ménages les plus aisés. Une telle mesure rapporterait 150 milliards d’euros sur trente ans, soit cinq milliards par an.

Loin des 66 milliards d’euros nécessaires chaque année, mais un bon début, soulignent les experts.

Toutefois, M. Le Maire a totalement exclu cette option, refusant d’alourdir la charge fiscale des Français les plus fortunés, « qui payent 75 % de l’impôt sur le revenu ».

En espérant que le message passe chez S&P.

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