Laissez-vous captiver par « L’imposteur », le dernier roman à suspense de Luc Templier

Laissez-vous captiver par « L’imposteur », le dernier roman à suspense de Luc Templier

Luc Templier a eu mille vies. Comédien, metteur en scène, auteur de théâtre, cet homme aux talents multiples est né français mais réside en Belgique à Marche-en-Famenne. D’une plume au style ample et ironique, avec un sens du récit mêlant le drame à la grande Histoire, l’écrivain franco-belge vient de publier « L’imposteur », un deuxième roman après « Le Maître de Waha » qui avait touché un large public.

Un personnage qui évolue entre la clarté de la foi et l’obscurité des desseins criminels

L’imposteur c’est ce personnage en clair-obscur qui occupe le centre d’un récit haletant. L’auteur a d’ailleurs joué de la frontière entre fiction et réalité en présentant son livre comme une enquête, un récit qui permettrait de remonter sur les traces d’un prêtre assassin. Cet individu, divisé en lui-même, torturé entre la foi en Dieu et des pulsions de mort démoniaques est un orphelin de père nommé Pierre Mansœur.  Il grandit pendant l’après-guerre dans une France encore toute couturée des cicatrices du second conflit mondial. Sa mère a été violée par des soldats allemands et s’enferme depuis dans la bigoterie. 

Luc Templier

Séminariste et assassin

Elle éduque son enfant unique dans cette foi des campagnes, frustre et un peu ignorante du monde, qui va emmener Pierre dans un séminaire austère alors que sa cousine Rosalie lui tend les bras pour lui faire découvrir les amours terrestres qu’il refuse violemment. Au séminaire, en lieu de se rapprocher de Dieu définitivement il commet son premier assassinat.

Un roman parcouru par les soubresauts de l’histoire européenne

Si le récit qui s’en suit est à découvrir pour sa densité criminelle, pour des scènes mêlant tourments de la chair et pulsions de mort soudaines, la fiction vaut aussi pour l’histoire en filigrane que l’on voit se dérouler au second plan. Derrière l’enfermement propre aux hommes et femmes de Dieu qui ont fait vœu de se retirer du monde ou de servir le Seigneur dans l’exclusivité, l’on voit l’Histoire de France s’écrire à travers le discours de De Gaulle à la BBC, l’appel émouvant de l’Abbé Pierre, la publication éclatante de ce classique du féminisme que fut le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, mais aussi les grandes grèves en Belgique et la construction du Mur.

Par contraste c’est toute la folie de Pierre Mancoeur qui en est soulignée, lui qui vit dans un moment fixe de son histoire personnelle, fruit de ses premiers traumatismes subis en tant qu’enfant au séminaire, et qui n’a de cesse de fomenter sa vengeance contre celui qui l’a outragé.

Une réflexion sur la banalité du mal

La plume de Luc Templier puise dans une culture historique qu’on sent solide des réflexions sur la banalité du mal, sur le pardon impossible et l’absence de paix intérieure d’un homme qui se sait tiraillé entre son animalité, son alcoolisme destructeur, et sa violence dévorante, mais qui est en permanence exposé au message du Nouveau Testament, au salut possible pour les criminels et les êtres dévoyés que promet l’évangile.

Loin de tout message métaphysique pesant ou d’un prêchi-prêcha qui serait peu romanesque, Pierre Mancoeur sous la plume de Luc Templier devient un criminel exemplaire au sens où Eichmann le nazi assassin ou les tueurs du récit « De sang-froid » de Truman Capote sont devenus des personnes marquantes, à la fois monstres hors normes et individus ordinaires responsables de leurs actes terribles.

Un livre à recommander

Je recommande cette exposition salutaire mais terrible à la banalité du mal  avec la rencontre d’un personnage abouti que Luc Templier aura su rendre vivant et troublant. J’ai aimé le style d’un écrivain qui a atteint sa pleine maturité, l’ambiguïté de son anti-héros, des passages sensuels et impudiques, et la plongée dans la foi qui pourrait sauver les damnés mais ne le fait pas. Pénétrer les coulisses d’écoles religieuses où le pire se dissimule derrière les beaux sermons plaira aux plus anticléricaux comme aux esprits épris de la vraie foi. Enfin l’histoire sera appréciée par tous ceux qui aiment se replonger dans l’après-guerre. Je ne dirai rien de sa fin, qui est surprenante à souhait et qui éclaire tout le récit d’un jour nouveau… Au final un roman à découvrir. Aux Éditions Académia et dans toutes les meilleures librairies.

Trois questions à l’auteur

Boris Faure : Ce roman nous plonge dans la banalité du mal d’un personnage tiraillé entre l’impossibilité de la rencontre avec Dieu et la tentation de s’abandonner à des pulsions diaboliques. C’est à la fois un roman métaphysique et policier, un thriller qui se déroule durant l’après seconde guerre mondiale. Comment en vient-on à écrire un roman aussi fort et violent ?

Luc Templier : La plupart du temps, les sujets de mes livres arrivent par « hasard », lors d’une rencontre, d’une conversation, un fait divers… Je dis souvent que « j’aime le hasard parce que j’aide la chance ». Je suis sans cesse à l’affût d’un livre à venir. Il ne s’agit pas d’attirer la trame complète d’un futur roman, mais de tirer un fil. Un roman, chez moi, se construit sans plan, par la force des personnages, des intuitions – surtout celles qui me sont le plus étrangères et me mettent au défi. Un plan m’empêcherait de m’égarer et de traiter des espaces inconnus – c’est ce qui est le plus passionnant. Je crois que la littérature doit mettre au défi l’auteur et le lecteur (positivement et/ou négativement). J’ai situé l’action de « L’Imposteur » dans l’après-guerre afin de pouvoir traiter de thèmes d’aujourd’hui, mais avec distance ; cette distance dans le temps me permet, me semble-t-il, de mieux immerger le lecteur dans l’intrigue… Ainsi avais-je traité les thèmes de l’Abandon et du Pardon dans mon roman à succès « Le  Maître de Waha » (Ed. Mols) en transposant ces mêmes sujets à la fin du Moyen Age.  

Boris Faure : Dans « L’IMPOSTEUR », je souhaitais aborder, de près ou de loin – comme je l’explique dans l’avant-propos – des fatales « erreurs d’aiguillage », de la banalité du mal, de la rédemption (parfois impossible ou jouée), de la personnalité et de la biographie inventée (le vrai/le faux). Que dit-on et que retient-on de soi ?!

Luc Templier : Si le roman est fort (et violent) c’est parce que j’ai osé m’aventurer dans l’ombre ; la nôtre et celle des personnages, sans me censurer… Je n’ai pas inventé le climat de violence ; il m’a été offert par toutes les rencontres préparatoires et celles que j’ai faites au fil de l’écriture du roman : les prêtres mariés , les enfants abusés, les femmes victimes, les psychiatres, les avocats de prédateurs…

Quant à la charge assez frontale envers l’Église Catholique romaine (le Vatican, sa hiérarchie et sa curie) elle vient d’un constat simple : avec leurs dogmes, leurs interdits, ils ont créé énormément de violence et ont vidé les églises… mais bien plus grave : ils ont détourné de la spiritualité.

Boris Faure : On sent une culture historique solide chez vous, votre précédent roman se déroulait au 16ème siècle dans cette partie de l’Europe du Nord qui allait devenir la Belgique. Est-ce que derrière l’écrivain il y a aussi un historien qui demeure ?

Luc Templier : J’aime l’Histoire, c’est un fait. Mes études universitaires (Sciences de l’Art à Paris 1- Sorbonne) m’ont permis de traverser l’Histoire à travers le prisme de l’Art. J’ai par ailleurs été Conservateur d’un Musée pendant de nombreuses années. L’Art et l’Histoire sont indissociables et reflètent toutes les émotions humaines. J’aime situer mes actions dans un temps passé pour donner plus d’ampleur aux décors et aux sujets d’aujourd’hui que je traite.

Ici, je parsème le roman des événements les plus tragiques du vingtième siècle, ce qui donne une autre indication de l’origine de la violence ambiante et dont Pierre Mansœur semble se servir pour se dédouaner.

Boris Faure : Le jugement de l’écrivain sur le personnage de l’assassin, Pierre Mansœur, est, de mon point de vue, porteur d’une ambivalence toute littéraire : pas de pardon possible, mais une explication de ses gestes par les traumas subis. Sans révéler la fin du livre, on peut affirmer que ce roman n’est pas une psychanalyse, que le personnage principal garde son mystère  et son épaisseur psychologique de bout en bout (en tout cas c’est mon point de vue de lecteur). Comment jugez-vous votre propre personnage et ses gestes ?

Luc Templier : C’est tout à fait juste. Le lecteur, comme l’auteur, sont ici devant une énigme difficile à déchiffrer. Le vrai et le faux se damassent, se mêlent et s’emmêlent, le récit se contredit, s’efface, se réécrit… le lecteur est sur les montagnes russes de ses émotions et jugements… et ces subterfuges, ces acrobaties d’écriture, forment une toile dans laquelle Pierre Mansœur et le lecteur sont pris au piège. J’ai rarement écrit un texte aussi faux qui donne un tel sentiment de vérité. 

J’ai passé ce W-E dans les librairies et les cercles littéraires où j’ai pu constater combien ce héros suscite des commentaires et des analyses passionnés.

Je ne juge pas mon personnage : je le peins ; je le sculpte ; je l’anime ; je lui offre la vie, forcément nuancée, forcément sublime, forcément tragique ! 

Sans oublier qu’on ne connaît jamais personne…

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