Le retour des années 70 ?

Le retour des années 70 ?

Avec la crise sanitaire, le temps serait au retour du keynésianisme et de l’inflation. Un petit air « seventies » flotte sur l’économie mondiale. Avec le stop and go économique qu’elle induit, la crise sanitaire provoque des goulots d’étranglement, des pénuries et des tensions au niveau de la production. Si des similitudes entre les années 1970 et les années 2020 existent, les différences sont néanmoins nombreuses

Au début des années 1970, avant le premier choc pétrolier, l’industrie employait plus du quart de la population active, voire le tiers, dans certains États. Elle était portée par l’essor de l’automobile. Au sein de l’OCDE, le taux de syndicalisation était alors de 34 % quand il ne dépasse pas 18 % actuellement. Les gains de productivité étaient jusqu’au début des années 1980 affectés aux salaires au détriment des actionnaires. Depuis, la répartition s’est inversée. Le développement du secteur tertiaire qui repose sur des entreprises de plus petite taille et sur la désindustrialisation ont modifié les rapports de force.

Chômage et concurrence 

L’affaiblissement des gains de productivité qui sont passés de plus de 2 % à moins de 1 % par tête rend le partage plus délicat à organiser. Afin de mieux rémunérer les actionnaires, dans un contexte d’aversion aux risques croissant, les profits augmentent de 1970 à 2019, passant de 8 à 13 % du PIB. L’inflation s’était répandue dans les années 1970 avec la hausse continue des prix des matières premières et de l’énergie ainsi qu’avec la généralisation des règles d’indexation notamment des salaires. La désinflation compétitive qui s’est imposée à compter des années 1980 a changé la donne. Les clauses d’indexation ont été abandonnées. La progression des salaires nominaux est progressivement passée de 10 à moins de 2 %. 

Le développement du chômage à partir du premier choc pétrolier et l’accroissement de la concurrence avec la mondialisation et la digitalisation pèsent de plus en plus sur la courbe des prix. Le rapport de force entre salariés et employeurs n’est plus du tout le même entre 1970 et 2020. 

La pénurie de pétrole repoussée aux calendes grecques

Au-delà de ces différences, quelques ressemblances sont à noter entre les deux décennies. La hausse des matières premières et de l’énergie n’est pas comparable. Dans les années 1970, les deux chocs pétroliers sont la conséquence d’un changement de rapport de forces entre les producteurs et les consommateurs. En 2021, l’augmentation du cours du pétrole est rendue possible grâce au maintien de quotas de production par l’Arabie saoudite avec l’accord implicite des États-Unis qui sont redevenus autosuffisants. La menace d’une pénurie de pétrole a été renvoyée aux calendes grecques d’autant plus qu’à terme le processus de décarbonisation devrait en diminuer l’usage.

Contestation de la société de consommation

En revanche, les pénuries de certains biens intermédiaires comme les microprocesseurs sont liées à une forte hausse de la demande qui peut s’assimiler à celles que nous connaissions à la fin des Trente Glorieuses. Sur le plan salarial, des revendications se font jour tant aux États-Unis avec l’engagement d’un débat sur le niveau du salaire minimum qu’en Europe après de nombreuses années de stagnation des salaires. Certaines professions dans le secteur de la santé ou dans la grande distribution par exemple réclament à la fois de meilleures rémunérations et la reconnaissance de leur travail. 

L’idée d’un partage des revenus plus favorable aux salariés revient régulièrement au cœur de débats comme cela était déjà le cas dans les années 1970. Sous couvert de transition énergétique, les concepts de circuits courts, d’économie circulaire ou d’agriculture maitrisée reprennent des thèmes qui avaient été popularisés par le Club de Rome en 1972. Un fort courant de contestation de la société de la consommation s’était alors développé débouchant même sur des actes terroristes. Au sein des pays occidentaux, des ministres de l’environnement sont alors créés. C’est également l’époque des grands combats pour l’égalité entre les hommes et les femmes, thème à nouveau au cœur de l’actualité.

Dépenses et déficits publics 

Avec les chocs pétroliers, les gouvernements sont contraints d’intervenir pour soutenir l’économie et les revenus. Le montant des dépenses publiques augmente et les déficits publics réapparaissent après avoir disparu au début des années 1960. Les banques centrales sont alors appelées à l’aide à travers des avances aux États, avances accusées de favoriser l’inflation et les déficits et qui seront progressivement interdites (en France en 1973). L’interventionnisme prend alors de multiples formes: indemnisation du chômage, préretraite, nationalisation des entreprises en difficulté. 

En 2020, les outils diffèrent mais les objectifs restent les mêmes avec l’essor du chômage partiel, le fonds de solidarité ou les plans de soutien aux filières en difficulté. La nature des chocs subis par les économies est néanmoins très différente. Les crises de 1973 étaient imputables à une augmentation des coûts dans un contexte de forte demande nourrie par trente ans de croissance économique et démographique. En 2020, le contexte est différent. La crise est le produit d’une priorité donnée à la vie au sein de pays en proie à un rapide vieillissement.

Hier, la promesse d’un monde meilleur 

L’état des opinions n’est également pas le même. Dans les années 1970, la croyance en un monde meilleur était forte, monde que les pouvoirs publics pouvaient changer. En 2021, l’état d’esprit est plus sombre, plus fataliste. L’épidémie conjuguée à la menace climatique constituent une lourde épée de Damoclès. Certains experts prédisent une sixième extinction des espèces sur terre et une augmentation des températures de 2 à 6 degrés rendant en partie la planète inhabitable. Face à de telles prévisions, les pantalons à pattes d’éléphant et la musique disco semblent loin, très loin. 

Il ne serait peut-être pas inutile de renouer un peu avec l’esprit plus léger de cette décennie vieille de cinquante ans.

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